Madeleine de Proust

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Cela faisait bien quelques mois déjà que Loup Rouge avait lu les signes. Il s’en souvenait encore comme si c’était hier. Il avait douté, au premier abord. Bien que parfaitement rôdé à l’exercice, depuis le temps qu’il le pratiquait, il entretenait toujours une certaine méfiance à l’égard de ses interprétations. La symbologie n’était pas matièreà se laisser aisément maîtriser. Certains la qualifiaient de science. Pour d’autres, c’était un jeu. Les derniers s’accordaient à penser que c’était un art.

Loup Rouge, lui, avait accepté depuis longtemps qu’il s’agissait en fait d’une combinaison des trois. Elle nécessitait de la rigueur, de la méthode et comportait quelques vérités absolues, concrètes et vérifiables, qui en faisaient le domaine des savants en blouse blanche, s’ils existaient encore. Sans connaissance de ces caractéristiques, il était pratiquement impossible d’effectuer de bonnes prédictions. Les jeunes chamans, généralement pétris d’arrogance et de confiance, omettaient souvent cet aspect de la discipline. Après quelques pronostics erronés, qui occasionnaient la plupart du temps des sinistres pour les leurs, ils y laissaient la vie. Les clans n’acceptaient en aucun cas d’héberger un oracle incompétent et se faisaient fort de l’exécuter dès qu’il prouvait son inutilité. La vie dans le Nouveau Monde était rude. La sélection naturelle y était permanente et sans pitié.

La vanité causait toujours des ravages parmi les chamans qui réussissaient à survivre. Ils avaient beau avoir assisté au massacre de leur prédécesseur et savoir que leur vie ne tenait qu’à un fil, ils n’en restaient pas moins persuadés qu’ils arriveraient facilement à faire mieux que l’incapable qui était là avant eux. Conscients qu’ils devaient leur survie à l’assimilation de la méthode de la symbologie, ils ne saisissaient que rarement que leur plus grand prédateur était en fait leur fierté. C’est pourquoi les quelques heureux élus survivants continuaient dans leur travers. Trop attachés à leur mode opératoire et aveuglés par leur crânerie, ils interprétaient de manière exagérément logique et passaient à côté du caractère artistique de la discipline. Ils commettaient des erreurs à leur tour et terminaient dans l’estomac de leur bande. Pas de gaspillage.

À ce stade, il ne restait que peu de privilégiés capables de prendre en compte la dimension ludique de leur activité pour améliorer leur pratique. Et là encore, les tribus moissonnaient quelques âmes.

Loup Rouge avait échappé à ces trois occasions de mourir en remettant continuellement en doute ses convictions pour gagner en expérience et en restant exceptionnellement prudent dans l’annonce de ses découvertes. Loin de souffrir d’une réputation de craintif, d’indécis ou de couard, il y avait gagné d’être auréolé de mystère, ce qui convenait fort bien à une personne de son rang. Il était craint et respecté. Mais il savait que le moindre faux pas briserait tout l’édifice qu’il avait mis quelques années à construire et que la chute serait mortelle.

C’est pour cela qu’il s’était défié de ses prédictions ce jour-là. Il avait analysé les signes encore et encore. Il avait fouillé dans son esprit à la recherche d’autres significations. Il avait tordu son cerveau dans tous les sens pour en extraire la vérité. Pour en avoir le cœur net, il avait même recouru à sa technique la plus sûre pour valider ses visions. Après s’être nourri le plus possible, il avait senti une douce torpeur postprandiale l’envahir. C’est alors qu’il avait jeté une poignée d’herbes dans le feu pour emplir sa case de la fumée qui aidait son esprit à s’élever.

Une main le secoua vigoureusement.

-          « Loup Rouge ! Loup Rouge ! Réveille-toi ! Les Scorpions nous attaquent ! »

Ramené brutalement à la violence de l’existence, le chaman ouvrit les yeux pour se retrouver nez à nez avec Lynx Souriant. Celui-ci paraissait inquiet. Voire terrorisé, si Loup Rouge avait voulu être plus incisif. Mais cela ne l’étonna pas. Le jeune homme avait rejoint la bande depuis peu et il n’avait pas encore eu l’occasion de combattre. Sa massue n’avait pas encore goûté au sang de l’ennemi. Tout en éprouvant de la honte à cet égard, et bien qu’il désirât prouver à la tribu qu’il méritait d’en faire partie, il ne pouvait s’empêcher de concevoir de la crainte à l’endroit de ce qu’il ne connaissait pas encore. Il en était toujours de même chez les jeunes guerriers. Leur valeur se mesurait à l’aune de leur courage pendant les premiers affrontements.

Loup Rouge soupira. Il détestait être réveillé lorsqu’il rêvait. C’était ce qu’il déplorait le plus dans son univers. Il était très difficile de parvenir à se reposer réellement ou à méditer. Tôt ou tard, et le plus souvent tôt, un danger surgissait. L’art de la symbologie nécessitait alors des capacités de concentration à toute épreuve.

Pour l’heure, il n’avait pas le choix, il allait devoir se battre. Il se leva prestement, fort de sa jeunesse, et enfila son blouson en cuir. Au dos de celui-ci, l’emblème de sa bande était dessiné. Rien d’autre ne le rendait plus fier. Il représentait un insecte volant strié de jaune et de noir, armé d’un dard venimeux au bout de son abdomen. Quelques gouttes de poison en suintaient. L’animal était également doté de caractéristiques humaines. Il pointait l’une de ses pattes, d’un air de défi, en direction de ceux qui le regardaient. Et un sourire carnassier s’étalait sur ce qui lui tenait lieu de figure.

Après s’être chaussé de ses bottes de cuir à éperons, Loup Rouge attrapa sa massue. À son contact, il se sentit confiant, puissant et hardi. Il eut envie de fracasser quelques crânes. Du sang séché maculait son arme. Il n’avait pas pris le temps de la nettoyer depuis la dernière escarmouche. Cela prenait toujours des heures de faire briller chaque clou dont le gourdin était hérissé et il n’avait pas toujours liberté de s’y consacrer. Il s’assura tout de même que son équipement fût suffisamment chargé en venin avant de sortir. Une Guêpe sans poison ne pouvait être une vraie Guêpe. Aussi prit-il volontairement quelques minutes pour s’assurer que chaque pic en était imprégné.

Lynx Souriant le regardait faire, ébahi et fébrile. Loup Rouge le plaint d’être aussi peu expérimenté. Il ne pouvait pas savoir que les moteurs que l’on entendait vrombir étaient suffisamment éloignés pour laisser toute latitude au chaman de se préparer. Dans son esprit, un ordre de combat devait être pris au pied de la lettre sitôt qu’il était lancé et il fallait se lancer instantanément dans la mêlée. Attendre ainsi ne faisait qu’augmenter son stress et son appréhension. L’oracle eut pitié un instant.

-          « Tends l’oreille, tu percevras qu’ils ne sont pas tout à fait là. Nous avons encore quelques minutes. »

Et négligeant d’attendre une réponse, il passa à la dernière étape de son rituel, celle qui lui avait valu son nom et qui avait fait sa légende. Il joint ses deux mains et frotta. L’une avait été enduite de pigment de roche écarlate, l’autre avait été préalablement humectée. Ses mains ruisselèrent rapidement d’un liquide qui évoquait le sang. Il en aspergea vivement son corps de quelques gouttelettes. Puis, il en répandit méticuleusement sur chaque millimètre carré de son visage, n’épargnant que les yeux. Le jeune guerrier, qui assistait à la transformation de son chaman, écarquilla les yeux et tomba respectueusement à genoux. Loup Rouge l’entendit marmonner.

-          « Loup Rouge ! Le Démon Écarlate ! »

Il fit mine de ne pas l’avoir entendu. Le silence était le meilleur moyen de répondre aux louanges et de les attiser. Il se contenta de sortir de sa tente. Le soleil, ce redoutable protagoniste du Nouveau Monde, l’agressa instantanément. Il était déjà tard dans l’après-midi, le jeune homme ne ressentit qu’une légère brûlure sur sa peau et un éclair ardent dans ses yeux. Bien évidemment, les Scorpions avaient justement attendu l’heure où la luminosité et la chaleur permettaient de sortir pour attaquer. Leur stratégie n’avait rien de nouveau, ce qui la rendait pathétique. Toutes les tribus procédaient ainsi.

Loup Rouge se dirigea vers un monticule recouvert de toile grise. Les regards se tournèrent dans sa direction. Il continua de les ignorer. Il fallait entretenir le mystère. Saisissant le tissu de ses mains gantées, il tira dessus avec force pour révéler le véhicule qui était caché dessous. Un murmure parcourut la bande. Rutilante comme un premier jour, la moto du chaman attendait sagement son maître. C’était une authentique Harley Davidson, comme on en trouvait rarement dans le Nouveau Monde. La plupart avaient été détruites lors du Grand Fléau, de même que l’usine qui les construisait. La plupart des hommes ayant œuvré à leur production étaient morts. Aussi, la possession d’un tel engin était signe de richesse et de pouvoir. La moto contribuait à l’image du personnage que Loup Rouge s’était construit. Son aura de gloire et de mystère avait bondi le jour où il avait arraché cette perle au membre d’un gang ennemi. La rumeur disait qu’il conservait en souvenir la masse avec laquelle il avait ôté la vie au précédent propriétaire de la Harley. On racontait même que des morceaux de crâne du malheureux étaient toujours collés dessus.

Avec des gestes lents et mesurés, il caressa la bécane, presque avec amour. Habituée à ce rituel, sa bande observa cette fois-ci un silence religieux. Lorsqu’il enfourcha sa moto, tous sourirent. C’était ce qu’ils attendaient tous. Loup Rouge leur en donna pour leur patience. Il mit la machine en route et fit rugir le moteur de manière à ce que les assaillants l’entendent également. Le cœur de tous les hommes présents gonfla d’orgueil. Avec un sorcier d’un tel acabit dans leur rang, ils ne pourraient être défaits au combat. Le chaman sentit cette énergie et la mit immédiatement à profit en l’alimentant de son charisme.

-          « Guêpes ! » hurla-t-il.

Une clameur retentit instantanément pour lui répondre.

-          « Guêpes ! » brailla-t-il.

Ses troupes tonnèrent de nouveau.

-          « Enfourchez vos ailes mes frères ! Allez vrombir aux oreilles de l’ennemi ! Ce soir, nous mangeons du Scorpion ! »

Un tumulte joyeux salua ses paroles. Et ce fut la ruée. Tous coururent vers leurs destriers. Un grondement formidable s’éleva au fur et à mesure que les moteurs étaient mis en marche. L’ensemble donnait l’impression d’entendre le grondement d’une ruche. Les Guêpes ne déméritaient pas leur nom. Brandissant leurs massues serties de dards, ils se jetèrent sur les talons de Loup Rouge qui s’était rué en avant. Et trente secondes plus tard à peine, ils se heurtaient aux rangs ennemis.

Comme à son habitude, Loup Rouge fit un carnage. Quasiment aucun de ces imbéciles de Scorpions n’était casqué et il lui fut aisé de leur faire sauter la cervelle. Il hurla de joie lorsque ses clous déchirèrent la figure d’un des leurs. Ceux qu’il ne faisait qu’effleurer, il les vit se jeter à bas de leur moto et se tordre de douleur, la peau fumante et cloquée. Le poison des Guêpes était réputé dans les environs. Il rendait malheureusement la viande impropre à être consommée, un gaspillage important dans un Nouveau Monde aussi avare en ressources. Mais il inspirait une forte peur à tous les ennemis du clan et faisait réfléchir ses agresseurs à deux fois avant d’agir. Cela constituait un avantage non négligeable dans cet univers brutal.

Les Scorpions, eux, étaient renommés pour les lourdes chaînes qu’ils faisaient tournoyer au-dessus de leurs têtes. Le sifflement en était effrayant mais heureusement imperceptible dans le chaos de la bataille. Loup Rouge esquiva plusieurs attaques qui lui étaient destinées. Une seule pouvait lui broyer les os ou le tuer sur le coup. Il fut surpris de voir que plusieurs Scorpions poussaient l’audace jusqu’à lâcher leurs chaînes pour les lancer sur les membres de son clan. Ils n’avaient encore jamais utilisés cette technique auparavant. Plusieurs de ses guerriers en firent les frais et furent abattus.

Très vite, grisé par la violence, la vitesse et le bruit des moteurs, Loup Rouge s’oublia dans le chaos de la bataille.  On le vit comme à son habitude avec les bras colorés de sang jusqu’aux épaules. Mais il ne s’agissait nullement du sien.

***

Des signes, il y en avait eu plusieurs. L’aspect de la fumée, la manière dont elle se déplaçait paresseusement dans l’air. Les bruits qui avaient résonné et qui n’existaient, il le savait, que dans sa tête. Et pleins d’autres encore. Ces signes, il les avait lus et interprétés. Maintes et maintes fois. Il doutait encore jusqu’à ce que l’odeur se fasse sentir. Cette odeur si particulière qu’il n’avait pas sentie depuis dix ans. Cette odeur qui n’avait plus lieu d’exister dans le Nouveau Monde. Il l’adorait. Elle évoquait pour lui son enfance insouciante dans l’Ancien Monde, quand tout était encore simple et joyeux. Il avait respiré avidement à plusieurs reprises, de peur que la senteur ne lui échappât. Il avait déjà perdu le mot associé à cet arôme et ne tenait pas à perdre davantage. Une sorte d’ivresse l’avait gagné et la tête lui avait tourné.

Mais peu importait la nausée qui s’en était ensuivie. Dès lors, il avait été persuadé qu’elle était encore en vie. Même si la logique lui criait que c’était impossible, il savait qu’elle était vivante. Même si tout raisonnement lui prouvait le contraire, il sentait qu’elle l’attendait quelque part. Cela faisait pourtant déjà sept ans depuis le Grand Fléau. Il n’avait pas reçu de signes auparavant. Les Dieux avaient voulu qu’elle ne l’appelle que maintenant, tant d’années après. À la joie de la savoir survivante avait succédé la douleur de se souvenir du temps jadis. Son cœur s’était serré et il était resté à genoux, le souffle coupé, envahi de souvenirs qui avaient été réprimés au plus profond de son être dès qu’il s’était retrouvé tout seul pour affronter ce monde qu’il ne connaissait pas et allait invariablement l’agresser. Il se souvint de ses parents, il se souvint de la maison, il se souvint de l’école où il allait étant enfant. Il se souvint des amis avec qui il jouait. Tous avaient disparus.

Puis le sable était venu. Et la poussière. Et la maladie. Et les guerres. Et les cataclysmes. Tout ça, nul n’était besoin de s’en rappeler. Tout était resté gravé dans sa mémoire. Il en avait fait des cauchemars des nuits entières pendant les premières années. Jusqu’à ce qu’il se rende compte que d’infimes détails s’ajoutaient régulièrement à ces tableaux vivants que son esprit reconstituait. Mais il était incapable de déterminer s’il s’agissait de véritables souvenirs ou si son esprit malade brodait compulsivement autour de la réalité.

Il avait pris peur et s’était lancé à corps perdu dans le chamanisme et la symbologie. La nouvelle ère humaine en était friande.

-          « Loup Rouge, tu as faim ? »

Quelqu’un était encore entré dans sa tente. Le chaman foudroya l’intrus du regard sans dire un mot, furieux d’avoir encore été dérangé. L’homme prit peur et craignit une malédiction. Il délivra son message et battit immédiatement en retraite. Il ne faisait pas bon s’attirer le courroux d’un sorcier.

-          « On…on t’a conservé un bon morceau du chef de la horde des Scorpions. Tiens, je te le laisse là. »

L’homme avait déposé de gros morceaux de chair encore sanguinolente. C’étaient de très bons morceaux, une cuisse, une épaule, un morceau de foie. Mais Loup Rouge n’avait pas faim. Tiré de ses rêveries, il s’appliqua à réfléchir à des problèmes plus pratiques. Il savait qu’il allait devoir bientôt quitter sa bande. Il s’allongea. Et en attendant le moment propice qu’il avait choisi, il s’endormit.

***

Comme prévu, il se réveilla au plus fort de la nuit. Sa décision n’avait pas changé d’un pouce, il était décidé à partir. Il savait que le gang ne lui pardonnerait jamais de les avoir emmenés aussi profondément en territoire ennemi. De nombreux groupes s’affrontaient dans les environs et Loup Rouge avait dû faire miroiter maintes richesses pour les attirer jusqu’ici. C’était la première fois qu’il mentait sur ses prédictions. Et la découverte de la supercherie se solderait irrémédiablement par sa mort. Mais c’était le seul moyen pour lui de se rapprocher d’elle, il n’avait pas eu le choix. Et de toute façon, ce monde était ainsi fait, la trahison y était monnaie courante. Il ne devait pas avoir de scrupules.

Il eut tout de même un léger pincement au cœur en passant devant la tente des blessés. Leurs plaintes douloureuses couvraient ses bruits de pas. Lynx Souriant était du nombre. Il s’était vaillamment battu mais avait succombé sous le nombre et avait été bastonné violemment. Son corps était strié de marques qui ne s’effaceraient jamais. Mais il avait gagné ses galons au sein du gang. Loup Rouge l’avait rebaptisé Lynx Zébré pour rendre honneur à son courage.

Il hésita un instant à emporter son bijou. L’absence de sa moto confirmerait immédiatement sa fuite et mettrait probablement les autres sur ses traces. Il serait plus facile à suivre aussi. Mais il ne put se résoudre à l’abandonner là. Il la poussa difficilement sur plusieurs kilomètres avant de s’autoriser à la mettre en marche.

Quand il conduisait, il oubliait tout. Ses soucis ne tenaient pas la vitesse et se laissaient distancer. Il roula pendant des heures et parcourut plusieurs centaines de kilomètres. Il tenait à mettre le maximum de distance entre lui et sa bande pour s’épargner leur courroux. Et si c’était elle qui faisait les frais de leur vendetta, il ne se le pardonnerait jamais. Pas un instant il ne réfléchit ou n’hésita sur la route à prendre. Son instinct de chaman le poussait naturellement dans une direction qu’il suivait de bon gré. Chose curieuse pour lui qui avait pris l’habitude de douter des signes, il ne se méfia pas une seconde. Tout lui semblait naturel. Le ciel, le sable, le vent, les cris des animaux lui indiquaient le chemin.

Mais finalement, ce fut encore une fois l’odeur qui l’emporta et annonça la fin de son voyage. Il la sentit avant même d’être à portée des ruines. Cette odeur douce et si particulière. Elle lui mettait l’eau à la bouche. Il se souvenait presque du goût. Mais le mot lui échappait encore. Les maisons délabrées semblaient en assez bon état. C’était donc là qu’elle s’était réfugiée. Elle avait dû survivre en piochant dans les réserves de chaque maison du village. Quant à savoir comment elle était arrivée là, à plusieurs centaines de kilomètres de chez elle, il ne saurait le dire.

Il mit pied à terre et se mit en marche en direction du hameau. L’odeur se faisait de plus en plus forte. Son estomac gargouilla. Un sourire éclaira son visage avant qu’une détonation ne retentisse dans l’air et que le sable ne se soulève à quelques mètres devant lui. Heureusement pour lui, sa vue devait avoir fortement déclinée, depuis le temps. La voix avait vieilli également, mais cela ne l’empêcha nullement de la reconnaître.

-          « Qui va là ? N’approchez pas ou je tire ! Que voulez-vous ? »

C’était bien elle. Loup Rouge répondit d’une voix que l’émotion faisait chevroter.

-          « Mamie, c’est moi ! Tu te souviens de moi ? Marty, le fils de ta fille Claire ! »

La porte de l’une des maisons s’ouvrit, laissant apparaître une silhouette voûtée qui n’en tenait pas moins fermement une carabine dans ses mains tremblantes. Ses cheveux avaient blanchi, il s’y était attendu.

-          « Petit Marty, c’est toi ? Approche donc que je te vois mieux. Et garde bien les mains en l’air surtout, mon gars. »

Cela faisait longtemps que Loup Rouge n’avait pas entendu son nom de l’Ancien Monde. Il sonna bizarrement à ses oreilles. La vieille prit tout son temps pour effectuer son examen. Sa réaction fut des plus sobres.

-          « Il y a bien un air de famille. T’étais pas plus haut que ça la dernière fois que je t’ai vu. Je sais pas par quel miracle tu as survécu, mais c’est bien toi. Allez, suis-moi à l’intérieur. »

Pas de débordement d’affection, pas de réjouissance. Le Nouveau Monde était rude. Qu’ils se soient retrouvés était déjà une victoire en soi. Sa grand-mère passa directement aux remontrances.

-          « Mais regarde-moi donc comment tu es habillé petit sacripant ! Un vrai voyou ! Tu fais partie de ces bandes de malades qui écument le pays ? »

Loup Rouge ouvrit la bouche mais elle l’interrompit aussitôt.

-          « En fait, je ne veux pas le savoir. J’imagine que tu as fait ce que tu devais faire pour rester en vie. »

Elle soupira. Lorsqu’ils entrèrent dans le salon, l’odeur imprégnait la pièce et leur emplit les narines. Les larmes montèrent aux yeux de Loup Rouge. Voilà sept longues années qu’il n’avait pas pleuré. Mais cet effluve lui rappelait le temps d’avant. Sa prédiction était juste, il ne s’était pas trompé. Il avait lu les signes.

-          « Mamie, cette… cette odeur. C’est »

-          Oh, tu te souviens de ce gâteau que je faisais quand je venais vous voir ? Tu as reconnu l’odeur de la cannelle ? »

La Cannelle. C’était ça. Cette senteur si particulière. Les larmes ne se contentèrent pas de lui piquer les yeux. Elles se mirent à dévaler le long de ses joues, creusant des sillons dans la crasse de son visage. Malgré son regard embué, il jeta un œil sur la table et vit ce qui l’avait guidé jusqu’à si loin. Un gâteau encore fumant trônait au milieu des plats. Quelques pommes en crevaient la croûte de ci de là. Il entendit sa grand-mère s’esclaffer.

-          « Bah mon petit, après toutes ces années, on peut dire que tu tombes à pic pour le goûter ! »

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