Chapitre 15

5 minutes de lecture

  Resal l’emmena aussi sec chez le médecin impérial. Enfin du moins, c’est ce que Minchi se figura alors qu’il reprenait doucement conscience dans un des fauteuils du cabinet de Choi Hokshi. Taejun était là aussi, le visage inquiet. Le médecin venait de finir ses examens et notait ses résultats sur une plaquette, sous les yeux de la soldate.

« Minchi ! s’exclama Taejun en voyant qu’il revenait à lui. Tu m’entends ?

-Oui…, articula le danseur en essayant de garder les yeux ouverts. »

Resal s’approcha de lui et lui décocha une gifle. Minchi n’eut pas mal, elle avait fait ça juste pour la forme.

« Imbécile ! cracha-t-elle. Qu’est-ce qui t’a pris de fumer ce poison ? Et sur un terrain militaire, en plus! »

Minchi se contenta de baisser les yeux. Ce fut Taejun qui expliqua l’affaire à la soldate, la pipe, ses livraisons d’opium. Lui aussi reçut une gifle.

« Non mais tu as vu dans quel état tu te trouves, Minchi ? continua-t-elle. Depuis quand est-ce que tu consommes ça ?

-C’est le seigneur Han qui m’y a initié, expliqua piteusement le jeune homme. »

La soldate fit claquer sa langue.

« Et ces marques dans ton cou ? poursuivit-elle, plus inquiète que furieuse. Ce ne sont pas des coups. D’autres soldats ? »

Minchi lui raconta sa mauvaise rencontre. Resal pâlit en l’écoutant.

« Il est venu jusqu’à la caserne pour te retrouver ?

-Il voulait que je voie un de ses amis, ce soir, précisa Minchi.

-Il t’a fait du mal ? »

Cette fois ce fut au tour du danseur de devenir livide.

« Oui, déclara-t-il. Je ne veux pas en parler. »

La femme comprit de quoi il était question. Elle semblait réfléchir très vite. Taejun posa une main réconfortante sur l’épaule de son ami.

« C’est fini, maintenant, dit-il. On ne le laissera plus t’approcher.

-C’est ce que vous m’aviez déjà promis, ironisa Minchi. C’est vrai que ça a bien fonctionné.

-Ça, c’est parce que je n’ai pas employé la méthode la plus radicale, coupa Resal. Debout, Minchi, tu vas venir avec moi. Tout de suite. Taejun, je ne veux pas que vous nous accompagniez. »

Elle traîna Minchi à sa suite dans les couloirs. L’esprit du jeune homme n’était plus embrouillé par l’opium et il parvenait à marcher droit. Ils parcoururent plusieurs corridors et s’arrêtèrent devant ce que Minchi reconnut comme étant la salle du trône. L’empereur s’y trouvait, entouré de ses conseillers, pour la séance matinale de doléances. Celle-ci semblait justement prendre fin, les conseillers étaient en train de ranger leurs affaires et de défroisser leurs vêtements. Resal s’avança d’un pas rapide.

« Majesté, serait-il possible de s’entretenir en privé avec vous ? interpella-t-elle le souverain. J’ai une requête à vous faire. »

Minchi s’était prudemment approché dans son sillage. Installé de la sorte, Yeon Kimin paraissait nettement plus menaçant que lorsqu’il était assis dans la foule quand le danseur donnait ses représentations. Entièrement habillé de noir, son regard strict était souligné par une inquiétante cicatrice verticale qui lui coupait en deux une partie du visage. Si quelqu’un faisait plus peur à Minchi que le seigneur Han, c’était bien cet homme. Néanmoins, quand il s’adressa à la soldate, toute trace d’animosité disparut de ses traits.

« Bien sûr, Resal. Dépêchez-vous de sortir, vous autres, intima-t-il à ses conseillers. »

Une fois ceux-ci partis, Resal s’approcha encore du trône, s’agenouilla sur le sol. Minchi avait les pieds collés au plancher. Voyant que l’empereur le fixait en silence, il se prosterna le plus bas possible.

« Majesté, je vous amène ici Choi Minchi, le présenta la femme. Il est danseur impérial.

-Oh je vois, intervint le souverain. C’est toi qui est ami avec Taejun.

-Oui, votre Majesté, bredouilla Minchi en le regardant timidement par en dessous, toujours prosterné. C’est moi-même.

-Je t’en prie, tu peux t’asseoir correctement. »

Le jeune homme s’empressa d’imiter la position agenouillée de Resal à côté de lui.

« Majesté, je suis venue vous faire une requête, commença-t-elle.

-Tu l’as déjà dit, Resal. Viens-en donc aux faits.

-Majesté, j’ai conscience du caractère inhabituel de ma demande, mais je voudrais vous suggérer d’éloigner le seigneur Han de la cour. »

A sa place, Minchi aurait gardé les yeux au sol, et certainement bafouillé, mais la femme se tenait bien droite face à l’empereur, et sa voix n’avait pas flanché d’un pouce. Le souverain considéra ses paroles en clignant lentement des paupières.

« Que s’est-il passé Resal ? Pourquoi me demander ça ? finit-il par dire.

-Vous savez comme moi à quel point il est dangereux, poursuivit la soldate. Je voudrais qu’il s’éloigne de la cour, car il a une mauvaise influence sur vos vassaux, ça vous le savez, mais aussi parce qu’il s’est vu commettre des actes plus graves. »

Elle désigna Minchi.

« Il était le proxénète de ce jeune homme, et lui faisait subir de la maltraitance. J’ai essayé de l’éloigner, en lui faisant intégrer momentanément l’armée. Mais le seigneur Han l’a retrouvé, et l’a de nouveau agressé, dans le périmètre de la caserne. Montre-lui tes marques, Minchi, dit-elle. »

Le danseur dévoila son cou, tremblant.

« Je l’ai fait ausculter par Choi Hokshi et je peux attester qu’il n’en a pas seulement sur les clavicules, continua-t-elle. Tout son corps est marqué.

-Resal, ce n’est pas la première fois que des cas de prostitution sont vus à la cour, déclara Yeon Kimin. Cela fait partie de son fonctionnement naturel.

-Majesté, ce jeune homme est maltraité ! Il faut empêcher le seigneur Han de s’en prendre à lui, il risque peut-être sa vie.

-Resal, qu’est-ce que j’ai à voir dans cette histoire ? Je suis empereur, pas justicier.

-Vous seul pouvez ordonner à vos vassaux de quitter la cour. Éloigner le seigneur Han ne serait que bénéfique, vous l’avez dit vous-même.

-Le renvoyer pour une petite affaire comme celle-là ?

-Altesse, vous ne réalisez pas ce que vous dites, asséna Resal. Il en va de la vie d’un homme. »

Minchi se faisait de plus en plus petit à côté d’elle. Elle osait tenir tête à l’empereur ! Quel courage ! Ou quelle stupidité… Yeon Kimin paraissait agacé.

« Encore tes grandes valeurs, marmonna-t-il. Qu’est-ce que j’aurais à y gagner, si je fais cela ?

-Vous n’auriez déjà pas la mort de l’un de vos sujets sur la conscience. »

Minchi frémit. Il attendait le moment où l’empereur se lèverait de son siège pour les écraser tous les deux. Mais le souverain ne réagit pas.

« Et vous gagneriez en tranquillité, ajouta-t-elle. La cour serait plus sûre.

-Il est vrai que ne plus l’avoir dans les parages me ferait le plus grand bien. Il salit l’air du palais. »

  Le danseur n’aurait pas dit mieux.

« Et je pense enfin à votre fils, Taejun, conclut la soldate. Par son amitié avec le jeune homme ici présent, il s’expose plus qu’il ne le devrait au seigneur Han. Et les séparer tous deux n’y changerait rien, vous le savez, ajouta-t-elle alors que Yeon Kimin ouvrait la bouche pour protester. »

Celui-ci resta silencieux quelques instants.

« Permets-moi d’y réfléchir encore un peu.

-Majesté, le temps presse… Il pourrait bien vouloir se venger sur Minchi d’ici ce soir.

-Mais qu’est-ce que tu lui as fait ?

-Rien de plus que mon devoir, Majesté. Il y a quelques semaines, j’ai surpris le seigneur Han alors qu’il allait violenter cet innocent, je l’ai donc protégé. C’est du passé, à présent.

-Mmh… J’espère que tu ne l’as pas trop amoché. Je te donnerai ma réponse cet après-midi.

-Merci infiniment, Majesté. »

Resal s’inclina doucement. Minchi l’imita, se cognant le front sur le sol dans sa précipitation.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Samjae ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0