32 - La déesse

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Résumé des chapitres précédents – 1 à 31 :

Diana reçoit la visite d’une gendarme qui enquête sur la mort de Nicole Dunham. Celle-ci était jalouse de Grace Rockwell, une étudiante américaine. Nicole possédait une vidéo de Grace dévoilant son homosexualité. Parallèlement, la doyenne de la fac dit s’être disputée avec Grace pendant la fête. Le gardien confirme avoir vu le scooter de Grace quitter la propriété et la doyenne la suivre dans la nuit. A propos de nuit, Paul Debreuil, l’ancien compagnon de Diana, lui rend visite un soir, et celle-ci se réconcilie charnellement avec lui. Son comportement étrange et agressif n’empêche pas Olivia d’envisager une nouvelle relation. Avec la gendarme Olivia, Diana se rend à la grotte où a été retrouvée Nicole. Le corps était disposé en fœtus dans une crevasse tapissée de pétales, rite pratiqué à la fin de la préhistoire. Grace leur explique que les outils préhistoriques peuvent être datés. Olivia et Nicole en empruntent donc au mari de la doyenne Duguet pour les comparer à ceux découverts dans la tombe de Nicole. Le labo identifie ces derniers comme des faux. Olivia et Diana rendent alors visite à des fabricants de faux artefacts, sans succès. Puis Diana retrouve Paul une nouvelle fois.

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Ainsi que deux personnes qui dansent se donnent mutuellement la force pour tourner, nous étions parvenus au bonheur le plus extrême. Les embrasements annulent les pensées. J’ignore encore à l’heure où j’écris si l’amour abolit la morale. Mais la morale n’est-elle pas contenue tout entière dans l’amour ? Quand Paul serait en prison, je ne pourrai plus déroger.

Je rentrai dans la nuit, aussitôt ces fièvres éteintes et cette folie charnelle rassasiée. Le village n’était pas éclairé, et la campagne bien noire. Seule, dans mon dos, une lumière était restée éclairée chez Paul, lequel semblait se moquer de tout. Le lendemain, je me réveillai très tard. Pour oublier ma nouvelle incartade, j’occupai ma journée à faire cent kilomètres en direction de Salon de Provence afin d’interroger à tout hasard un autre anthropologue spécialiste de la taille de pierre. Encore une fois, je fis chou blanc, et ma suspicion se renforça vis-à-vis de Paul après ce nouveau constat. Dans mon esprit, le filet se resserrait. Alors désespérée, pour le questionner et le morigéner encore, avec comme prétexte de me renseigner sur la taille de ses misérables chaussures, j’allai lui rendre une autre fois visite à cette même heure où la campagne aride, sa garrigue brûlée et ses arbres solitaires, savane de nos contrées, grésillaient sous les rayons du couchant. Mais il demeurait scandaleusement silencieux, enfoncé dans son canapé. Il ne tentait rien, ne disait rien, ne bougeait pas. J’avais enfilé une robe, un gilet, en dessous mes plus suggestives dentelles. Cela ne tenait qu’à moi de m’accorder un autre intermède de débauche : lui ne le refuserait pas. J’avais senti Paul bénévole en tout, il le confirma. Son réflexe animal fonctionnait simplement à merveille.

– Pour l’empreinte, ce n’est pas la chaussure d’Andreas Öpfe, m’apprit Olivia tandis que le matin suivant, nous nous retrouvions toutes les deux comme convenu sur le marché de Lambron, où mon amie gendarme faisait ses courses. Sa pointure est plus petite. Hier, je devais aller à Aix pour une échographie, et je suis passé chez lui. Très ordonné comme garçon, notre étudiant allemand, je l’ai félicité.

Je songeai à Paul, à son gentil cloaque, ainsi qu’à la bacchanale à laquelle nous nous étions livrés la veille au milieu du tapis, sans que je ne pusse rien y faire. Si Olivia savait : une femme comme moi, qui n’avait jamais été attirée plus que cela par les plaisirs physiques, gênée aux entournures dès le moindre contact avec un homme, sur la retenue quand on lui touchait la peau, velléitaire et timide autrefois, sotte, timorée avec les autres, agaçante avec ses amis, peu inspirée, ridiculement précieuse, atrocement coincée, tombait à présent dans les pièges du stupre et se réveillait avec le mal de tête, si ce n’était avec le mal aux reins, aux genoux, aux cuisses. Mais passons. Je me dis que Paul était capable de se chausser avec n’importe quoi dans ses pieds. Pourtant, j’avais oublié de vérifier sa pointure. C’est d’autres parties du corps que j’avais explorées, par lesquelles j’avais atteint les sommets.

– Bon, en tout cas, résuma mon amie, c’est une chaussure d’homme. Néanmoins, je ne me vois pas établir la liste de tous les hommes des environs chaussant du quarante-trois et demi et en possession de pierres taillées.

Je la sentais passablement grognonne. Elle se rendait compte que nous n’avions pas non plus énormément d’éléments tangibles à nous mettre sur la dent, en définitive.

– Vous parliez d’échographie. Pour le bébé ?
– Oui, Olivier et moi nous connaissons son sexe…

Malgré ce ton désinvolte qui n’était qu’une comédie de plus, elle s’affichait enfin rose de plaisir. Comme elle me faisait envie.

– Et alors ?
– C’est une petite fille, Diana ! exclama-t-elle alors que nous arrivions sous l’auvent du marchand d’abricots. Mais ne me demandez pas le prénom, on n’est pas encore tout à fait fixé, Olivier et moi.

Je me précipitai pour l’embrasser. Et même si elle n’avait pas tout compris, l’épouse du marchand d’abricots à côté de nous applaudit. Cette bonne nouvelle me rassérénait, au fond. Elle me donna même le courage de retourner une fois encore chez Paul, cette fois pour réellement enquêter, fouiner dans ses affaires, être une véritable enquêtrice. Je voulais qu’Olivia triomphât et mît la pilée à ses collègues.

Mon plan se divisait en deux étapes, et pour l’exécuter, je ne partis qu’à la tombée de la nuit. La même lumière fixe brillait toujours chez Paul. Je pris une grande inspiration. Cette fois en tenue de bataille, - j’avais troqué ma robe fendue pour un jean tout terrain, - j’étais fermement décidée à vaincre, et pour commencer, à vaincre mes nouvelles et étonnantes pulsions.

Paul m’accueillit comme à son habitude, sans un mot. C’est un peu comme s’il m’attendait. Au prétexte de faire du rangement dans sa cahute, je manipulai les souliers qui traînaient par ci par là, mais ce fut bien ce à quoi je m’attendais, les pointures étaient variées, du quarante-deux au quarante-quatre et demi en passant par le quarante-trois. On eût dit qu’il y avait trois ours différents habitant ici. J’eus aussi l’impression que les manufactures de chaussures n’avaient plus autant le compas dans l’œil que jadis.

Comme Paul se révéla tout à coup extrêmement nerveux, ce qui m’étonna car c’était tout le contraire de son attitude en journée, je préférai interrompre mon ménage et passer directement à la seconde partie de mon plan.

Cette seconde idée, que je murissais depuis longtemps, était de le conduire jusqu’à la grotte où l’on avait découvert le corps de Nicole Dunham, afin de voir sa réaction. Je voulais éviter tout ennui, toute rencontre avec des promeneurs ou des curieux, encore moins qu’Olivia n’apprenne l’existence de Paul bien évidemment, de sorte que j’avais choisi pour cela le début de la nuit.

Quelques jours plus tôt, j’étais retournée à la grotte au petit matin, pour voir si j’étais capable de faire le chemin seule. Avec mon GPS, une carte, des repères que j’avais moi-même laissés en route, une boussole de secours, j’étais désormais parée. La difficulté était de le faire de nuit, mais je comptais sur mes instruments, ma mémoire et la pleine lune.

Paul se laissa emmener mollement, pour ne pas changer. Lui, je savais que la nuit ne l’effrayait pas. Après la voiture et une longue marche silencieuse, ce fut sans encombre et avec moult précautions que nous parvînmes à la petite grotte. Soulagée, quoique pleine d’appréhension, j’entraînai Paul, et il avança sans manifester d’opposition. Cela pouvait-il être un indice ? Nous pénétrâmes dans la large faille taillée dans l’enchevêtrement du coteau. J’éclairai les parois, pendant que mes poils se hérissaient. Le faisceau de ma lampe passa au-dessus du trou où se trouvait Nicole, recroquevillée et morte.

– Tu es déjà venu ici, Paul ?

Sans hésiter, et sans entrain, il me répondit oui. Il avait l’air triste, et son apathie semblait s’accentuer. Alors je glapis, puis, sentant monter la colère, je bégayai :

– Tu… Tu es venu ici, vraiment ? Tu… tu étais seul ?
– Non…
– Ah bon ? Mais avec qui ? Qui était avec toi ?
– Des gens…
– Des gens ? Mais qui, bon sang ? Exprime-toi ! Sois plus clair !
– Des amis, des compagnons. Ici et là…

Il avait levé la main, et il brassait l’air à présent, en pivotant pour m’indiquer des directions, si peu loquace qu’il était.

– Tu les connais, les noms de ces gens ? dis-je en tentant de me calmer, parce que j’étais intriguée au plus haut point.
– Je ne me rappelle plus…

Je réalisai que son discours était incohérent. Comment faire venir ici tout un groupe ?

– Ils avaient quel âge ?
– Comme moi, ou plus jeunes.
– Tu veux dire… qu’il y avait des enfants ?

Quelles sornettes me racontait-il là !

– Parfois, un ou deux. Le dernier était un petit garçon, cela j’en suis sûr !
– Son nom ?
– Je ne sais pas.
– Nicole Dunham, cela te dit quelque chose. Elle était avec toi ? Tu l’as amenée ici ? Parle ! Allez, réponds !

Paul s’était accroupi. On l’eût dit puni comme un petit garçon. Sa voix était lente, comme s’il avait du mal à rassembler ses esprits.

– Qui ? répéta-t-il avec son atonie habituelle.
– Mais Nicole Dunham ! Tu le sais très bien, la fille qui s’est faite étranglée. On a retrouvé son corps ici, dans cette grotte. Je t’en ai déjà parlé ! Tu l’a amenée ici, tu l’as violée ?

Cette fois, il retomba dans un mutisme incompressible. Au bout d’un moment, impatiente, je l’obligeai à se relever. Il faisait la sourde oreille comme un gamin, si bien que je le giflai, non sans mesure. Je n’avais jamais été violente. Au contraire, on me reprochait plus jeune mes minauderies, ma délicatesse exacerbée, ma poltronnerie irritante. Mais il demeurait de pierre.

Enfin, il articula les lèvres :

– Viens, Diana, on va se baigner. Ici, ce n’est pas pour nous… C’est un lieu de repos. Toi, il ne te faut pas le repos…

Que racontait-il ? Ses paroles absconses me navraient. Tout au moins, peut-être allait-il se confier en se déridant ? J’acceptai de le suivre, même s’il divaguait sans doute comme à son habitude. Cette scène et ses réactions énigmatiques me rappelaient un lointain passé. Nous nous approchâmes du ruisseau qu’il avait fallu traverser tout à l’heure en se déchaussant. Il ôta son pantalon, se mit nu, et je le laissai faire, observant son comportement de près, et habituée à ses fantaisies.

– Tu veux qu’on se trempe les pieds ?
– Non… Je veux la vie.

Mais qu’entendait-il par là ? Mon Dieu, dans ces phrases sibyllines je voyais surgir notre existence à Paris et à Tours, ses frasques les plus démentes. Et au lieu d’entrer dans le ruisseau qui s’élargissait, il décolla soudain en prenant un sentier. Je le rattrapai en l’éclairant avec ma lampe torche. Nu, frêle et musclé ainsi, on eût dit une sorte de créature spectrale parmi les troncs sombres. Il n’avait vraiment pas peur. Je parvins à lui saisir la main, il ne la repoussa pas. Mais où m’emmenait-il ? La végétation qui le griffait n’avait pas l’air de le déranger. De temps à autre, les chênes-lièges s’éclaircissaient. Au sol, des roches arrondies se firent plus denses, et dans le clair de lune qui les illuminait, on eût dit le sommet de crânes de géants, chauves, qu’on eût enterrés presque entièrement dans la terre. Le sable et la roche vinrent à s’entremêler. Une intuition me dit que Paul savait très bien où il m’entraînait. A la limite, lui n’aurait pas besoin de tout mon barda pour retrouver la route. Tant que nous longions plus ou moins le ruisseau, que j’entendais couler parfois, je savais que moi-même je serais capable de retourner à la grotte, et de là jusqu’à la voiture. La lune était maintenant haute dans le ciel. J’écarquillai les yeux quand nous arrivâmes à l’endroit dont j’ignorais tout, au contraire de lui, alors que le terrain partait en pente. Le ruisseau s’était considérablement élargi. Epousant le relief, de larges vasques placées en escalier s’étaient formées sous l’action combinée de l’eau, du calcaire et des bactéries. Elles ressemblaient à des huîtres de nacre géantes et splendides. Le rai de lune les rendait translucides et brillantes comme des écailles de diamant. Je demeurai bouche bée devant tant de féerie. Nous trempâmes nos pieds dans l’eau et les foulâmes une à une, et Paul, nu et silencieux tel un éphèbe antique, me tenait toujours la main. Je ne pus résister. Il fallait m’asseoir dans l’une de ces nacelles lumineuses. Je laissai Paul partir, et sur la berge je me déshabillai aussi. Les vasques, un ou deux mètres plus bas, débouchaient sur une sorte de lagon limpide, peu profond, bien plus large que la petite piscine repérée devant la grotte de Nicole. Paul, malgré son aversion de l’eau, y batifolait déjà sans demander son reste. Comme il était devenu à part ! Je retournai au milieu de l’une des coquilles éblouissantes et m’assis en tailleur. En tenue d’Eve, je me figurais naïade dans son huître de blancheur. Le clair de lune m’inondait. Je devenais statue d’albâtre, fermant les yeux et aspirant profondément. Je me fondai dans la nature de toute mon âme. La méditation dura, le différentiel entre la douceur de l’air et le froid liquide sous moi entretenant une légère tension qui, à force, devint confusion. Cela tenait du prodige. La coquille semblait vivante et me transmettait son effet paradisiaque, elle me réconciliait avec la vie. Il y avait donc de bien bonnes choses sur cette Terre. Mes bras s’ouvrirent. Eau, ciel, lune, végétaux, mousse, rochers, la nacre lisse et glissante sous mes fesses, je prenais tout, j’absorbais tout, je glorifiais tout, mon âme vibrait, mon âme était dedans.

Les minutes s’écoulaient, pour enfin du vrai repos. Cette quiétude fut interrompue par le retour de Paul, qui souhaitait se baigner avec moi. Dans ce lieu enchanteur, le bol d’eau fraîche où je m’étais assoupie rejoignait la coiffe des rayons lunaires pour aboutir à une sphère parfaite. L’instant était merveilleux. Au comble de l’exaltation, j’acceptai de me lever, puis, afin de faire plaisir à Paul, je finis par m’ébrouer et par esquisser quelques gestes d’une brasse fiévreuse dans le bassin en contrebas. Quelquefois, je me redressais. Entre mes seins, dans mes reins, le long de mes cuisses que le dessin de l’éclat lunaire malgré moi rendait sculpturales, des torrents de gouttelettes ruisselaient, d’argent et de cristal.

« Diana, Diana », scandait Paul en tentant de m’enlacer au travers cette pluie féconde. Cette fois, rappelé dans cette nature éblouissante à mon statut de nymphe sérieuse et pudibonde, je le repoussai gentiment. Sa joie simple était pourtant charmante. Je ne craignais plus rien, et finalement je me laissai attendrir. Charles Deuring avait raison quand il disait que Paul lui faisait penser à ces jeunes lions domestiques qui ne ressentaient pas leur force, bousculaient leur maître, mais étaient les plus affectueux des animaux.

Malgré mon désir d’être tranquille, je défaillis, et les jeux d’adultes nous submergèrent. L’idée me traversa qu’il était dangereux de côtoyer ainsi Paul plusieurs soirs d’affilée, car je lui donnais l’habitude de ma prosternation du soir. O loup trismégiste, tu veux entrer dans la bergerie, et la bergère est à toi.

J’étais comme la déesse Ishtar, maîtresse des eaux de Mésopotamie. Mes hanches irisées s’écrasaient sous ses paumes. Il se perdait dans ma chevelure. Revenus sur la petite esplanade, avec cette appréhension de commettre une folie, je me donnais. Le lit sableux remplaçait le lit liquide. Ce tyran bestial et inouï qui à la fois me révulsait et m’attirait, ne me donnait pas le choix : il me tenait, et m’emprisonnait pour mieux me libérer. J’acceptais ses outrages sous l’œil affectueux de Phébé. Qu’il gardât sa liberté de tyran, puisque aussi soumise qu’étourdie, j’acceptais ma place d’esclave. Si je n’avais plus voulu être esclave, il n’aurait pu continuer d’être tyran ! Nous étions devenus les maîtres de nos propres despotismes.

Notre fantôme existe, et tel un mécano à forme humaine, il est l’assemblage de tous nos fantasmes. Dans la douceur de la nuit, l’irréel se mêlait au réel. Son joug lascif sur mes reins en feu ne trichait pas. Mes cheveux détrempés, ma peau giflée, mes ongles incrustés de sable, c’était comme si par un violent choc électrique, je subissais une métamorphose, je m’animais telle la statue de Cybèle, j’étais rendue à la vie par ce Pygmalion d’un autre âge.

A force, les larmes du plaisir jaillirent à mes commissures. Principes et désir d’innocence, plus rien ne comptait. Le sentiment d’apesanteur que j’atteignais en cet instant était comme l’antichambre du Paradis.

Le paradis fut atteint. Si les arbres avaient eu des oreilles, ils l’eurent compris. Et ils n’eurent pas attendu l’automne pour rougir.

Après tant de transports, essorée, je m’écroulai, honteuse et contentée. Sous moi, la vasque nuptiale n’avait pas tremblé. Au retour, dans l’auto, Paul ne cessa pas de me tenir le bras, comme pour se rassurer. Et de me rassurer aussi, - je lui en fus infiniment gré. Quelque chose changeait entre nous, ou renaissait.

– Cela va aller pour toi demain ? lui demandai-je alors qu’il n’avait plus dit un mot depuis longtemps.

Je me forçais de parler. Il fallait bien redevenir un peu humaine.

Je regrettais qu’il ne fût pas plus disert. Notre couple avait souffert de cela dans le passé : à un moment de sa vie, Paul n’avait plus cherché aucun contact social. Je pénétrai dans son mobil-home afin de donner quelque contenance à notre relation épisodique, centrée sur le plaisir, cet appât exécrable. Malgré la venue d’une femme de ménage, qui du reste lui apportait des plats préparés et des courses, son logis devenait une bauge en quelques heures. Les parents de Paul mettaient pourtant les moyens afin que l’on s’occupât discrètement de leur fils. Pour eux, il n’existait aucun doute : une forme d’autisme s’était emparée de son cerveau. Quant aux habitants de Dorlevey qui l’apercevaient de temps à autre, parfois une canette à la main, on avait affaire selon eux à un original qui vadrouillait à droite, à gauche, sans faire de mal.

Alors que je poussai le zèle à remettre sa vaisselle en ordre sur l’évier, j’accrochai un torchon, et c’est alors qu’un bruit mat attira mon attention. Quelque chose de lourd enroulé dans le tissu était tombé au sol. Je ramassai l’objet. Mon bras s’immobilisa aussitôt. Il s’agissait d’un caillou allongé entamé sur les bords. Une pierre taillée, mais grossièrement, je le voyais bien. J’avais été suffisamment attentive ces derniers jours aux exposés des différents paléo-anthropologistes pour ne pas ignorer cela.

Paul s’approcha doucement et me prit l’objet des mains. Il ouvrit la porte du mobil-home et jeta la pierre dans l’obscurité. Il se retourne vers moi, le regard plaintif.

– Je n’y arrive plus, Diana. Je ne sais plus…

Tout à coup excédée par ces mystères, je le pressai :

– Tu ne sais plus quoi ?

Il secoua la tête et vint se lover dans mes bras. Je n’insistai pas. Je caressai son crâne. J’aimai le câliner. Il ne m’avait jamais fait d’enfant, mais c’était lui l’enfant. Au fond, il l’avait toujours été.

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