23 - " The little Princess "

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CHAPITRE 23 – THE LITTLE PRINCESS –

Résumé des chapitres précédents – 1 à 22 :

Soupçonnant son ex mari Paul de l’avoir agressée, Diana Artz se remémore le comportement étrange de celui-ci, ses manies, ses soucis de santé. C’est alors qu’elle reçoit la visite d’une gendarme qui enquête sur la mort d’une étudiante, Nicole Dunham. L’accompagnant, elle apprend que Nicole était jalouse d’une étudiante américaine, Grace Rockwell, courant après son fiancé et fournie en cannabis par un certain Blur. Toutes les deux interrogent Blur, et celui-ci leur dit qu’il fournissait aussi la doyenne du campus en drogue thérapeutique. Il raconte qu’il a été agressé par un type lui ordonnant de ne plus fournir Grace. Celle-ci assume son incartade avec Andreas, le petit ami de Nicole. Elle n’est pas au courant d’une vidéo dévoilant son homosexualité qu’aurait possédée l’étudiante assassinée. Dans la foulée, la doyenne de la fac dit s’être disputée avec Grace pendant la fête. Le gardien confirme avoir vu le scooter de Grace quitter la propriété et la doyenne la suivre en voiture. Grace leur apprend qu’elle a eu un accident de scooter en ville, et Olivia, munie d’indices, se demande si ce n’était pas en sortant de la fête, la fameuse nuit. A propos de nuit, Paul rend visite un soir à Diana, et celle en se surprenant elle-même se réconcilie charnellement avec lui.

23

– Allô Olivia ?

– Oui.

– C’est Diana, vous allez bien ?

– Diana ! Cool, oui. Un peu nauséeuse, mais tout à l’heure ça ira. Baby a bougé cette nuit, et mon mari couve une angine. J’ai dû me lever, car il ne connaît pas son armoire à pharmacie… Ah nos maris… Vous êtes matinale aussi, vous…

Je sursautai, car l’évocation d’une armoire à pharmacie me fit penser à Paul et à ce qui s’était passé hier soir. On existe parfois davantage en n’étant plus soi-même. Nos consciences sont des mensonges, des maîtres roués. J’en avais été la victime. Me croyant prude, voilà que je m’étais vengée de moi-même en ne l’étant plus, et en faisant n’importe quoi avec mon corps et celui de Paul ! Mais que m’avait-il pris de lui offrir ainsi, de façon moderne, mon hymen courroucé dans un accès aussi aveugle que sauvage ? L’instinct nous étonnera toujours. Tandis qu’Olivia me racontait ses travaux dans la chambre de son futur bébé, et que de mon côté, les cheveux encore en désordre, la nuque plombée, j’entrouvrais les volets, les images s’échappaient de mon ventre comme des papillons d’un essaim de chrysalides. C’est alors qu’un coup de mistral plaqua le volet contre le mur. Le soleil pénétra en grand dans la pièce, et ce fut une pluie de lumière sur le tapis. Zeus possédait une nouvelle fois Danaé ! Et j’étais là, déboussolée, ne répondant plus rien dans le téléphone, figée comme une syringe au marbre fendu et rempli de passé, la mémoire béante, débordant de mes nuits d’autrefois avec Paul, ne sachant pas si je devais avoir des regrets sur celle précédente.

– Allô ?

– Allô, oui pardon, bredouillai-je. Je voulais vous dire, Olivia. Quelque chose me chagrine dans cette histoire de Nicole. Nicole savait pour l’homosexualité de Grace, Andreas Öpfe nous l’a bien dit ?

– Exact.

– Nous nous disions que Grace et la doyenne voulaient peut-être coucher ensemble dans la nuit... On en plaisantait, mais c’est plausible.

– Oui, mais j’ai réfléchi. Grace sortait des bras d’Andreas cette nuit-là. Elle aurait un drôle d’appétit, la cocotte américaine.

– Clairement. Mais je pensais... Si Nicole savait aussi pour l’homosexualité de la doyenne Duguet ? Encore mieux, la doyenne et Grace avaient vraiment une liaison…

– Vous pensez à la vidéo que Nicole a montrée à Andreas ? s’exclama Olivia. Grace avec une autre femme…

– Exactement !

En vérité, je n’avais pas songé à la vidéo, mais mon orgueil avait besoin de nourriture, et je voulais briller. Aussi enchainai-je sur un ton enflammé :

– Tout pourrait s’expliquer, Olivia. Je veux dire, Nicole vient de surprendre au lit Grace et son copain. Elle se révolte de savoir que Grace lui a piqué Andreas alors que celle-ci sortait déjà avec la doyenne. Alors elle boit un verre, elle fait une scène à Grace, en rage, elle s’enfuit sur la route, mais c’est à pied, et elle file sous les yeux du gardien endormi. La doyenne et Grace se doutent de ce que Nicole se doute, elles craignent qu’elle ne veuille les faire chanter plus tard, et au bout d’un moment, je ne sais pas combien de temps, elles souhaitent la rattraper pour s’expliquer. L’une en scooter, l’autre en voiture. Mais Grace attrape un accident avec son scooter, et elles ne rattrapent pas Nicole, laquelle tombe sur un rôdeur. Qu’en pensez-vous ?

Olivia réfléchit.

– Pas mal. Hum, un peu bancal, mais ça se tient…

Elle se mit à rire.

– Une vraie petite Agatha Christie, ma Diana ! roucoula-t-elle. Bon, enchaîna la gendarme sans me féliciter plus que cela, – et j’en ressentis une certaine déception – toujours prête pour notre expédition jusqu’à la grotte, tout à l’heure ?

– Bien sûr ! Je suis motivée pour aller y jeter un œil. Vous me promettez qu’il n’y aura pas de squelette caché dans les recoins ?

Olivia pouffa de rire une nouvelle fois, et me charria. Je me préparai en hésitant entre un short et un legging. Il ferait moins chaud en milieu de matinée, et des nuages stationnaient déjà dans le ciel. Olivia se sentait en forme, moi aussi. Seulement l’appréhension grandissait. Je craignais de ne pas être à la hauteur. J’allais prendre sur moi d’affronter la caillasse et la poussière. Mon horreur des araignées et de la salissure, mes ongles délicats, mes beaux cheveux ne collaient pas à ce métier de baroudeuse.

La route se fit en silence. Olivia connaissait le parcours et guidait ma conduite. Il fallut emprunter une tracé tortueux qui contournait le plateau aride. Dans l’habitacle, je me sentais plutôt bien, mes mains manucurées posées calmement sur le volant. Ayant bien cerné mon côté précieux et ma propension aux chichis, Olivia souriait. Je demeurais stoïque. J’avais opté pour le short et un haut léger, et sous la caresse du cuir chaud du siège, l’impression était douce, agréable. Le souvenir de Paul et de mes exploits torrides s’atténuait. J’allais m’amuser, me dis-je, et apprécier la nature. Le volant vibra à ce moment-là. Olivia venait de me faire quitter la route pour un chemin cahoteux assez long. Alors que je roulais au pas, nous dépassâmes bientôt une auto garée sur le côté. « Il y a des promeneurs dans le coin, » fit remarquer Olivia négligemment. Ce véhicule me disait vaguement quelque chose. Nous stoppâmes quelques centaines de mettre plus loin. Nous continuâmes à pied, sans perdre de temps. Engagés d’abord dans un entrelacs de fins sentiers, nous traversâmes la garrigue et ses romarins tordus, puis un maquis boisé qui nous égratigna les jambes. Il faisait déjà quand même bien chaud. Olivia consultait régulièrement son GPS et sa boussole. Le terrain calcaire descendait, puis remontait sous le chant des cigales. La pente devenait à force fastidieuse. En même temps, cette expédition me plaisait. Après un petit kilomètre de marche, durant lequel nous avions multiplié les pauses pour boire, en nage, nous atteignîmes une légère crête. Cette fois, il fallut s’arrêter : au-delà débutait un ravin.

– On va descendre, me prévint Olivia.

Mon amie tenait la forme. Mais quelle résistance. Le versant était escarpé. Je m’accrochais à ce que je pouvais et progressais en faisant rouler les cailloux. Il me semblait être engloutie de temps à autre par la roche et les énormes broussailles. Olivia était dans mon sillage, tout près, par mesure de prudence. Enfin nous atteignîmes le fond du vallon, pour suivre tant bien que mal le cours d’un ruisseau à travers un dédale de rocaille et de plantes odoriférantes. L’eau chantait à mes pieds. Je m’accroupis pour m’asperger la nuque. Quel délice. A raz du sol, cistes, arbousiers, lavande sauvage embaumaient jusqu’au vertige. Je me permis d’arroser Olivia, laquelle sous les gouttes fraîches poussait de petits cris.

– Nous ne sommes plus loin, normalement, dit celle qui sous le coup de l’effort récent était rouge comme une pivoine.

A ce moment, j’aperçus une silhouette d’homme en chemise claire qui s’éloignait dans la végétation. Des branches craquèrent. L’individu se pressait de disparaître alors qu’Olivia, la surprise passée, s’était mise à le héler.

– Il venait pour la grotte, vous croyez ?

– Qui sait ? On l’aura dérangé…

Olivia plaisanta sur deux jeunes femmes comme nous qui faisions décamper un ogre.

– Il y avait cette voiture d’arrêtée dans le chemin tout à l’heure…

– Ça peut être lui... hocha Olivia.

Nous parvînmes à la grotte. Mon appréhension augmentait. Sans les indications des randonneurs qui l’avaient trouvée, elle eût été impossible à dénicher, malgré la relative faiblesse des distances. Le ruisseau élargi en une sorte de piscine rendait l’endroit enchanteur. Une petite esplanade de roche et de terre sableuse amenait jusqu’à l’entrée, entre les buissons.

Les gendarmes étaient passés ici. L’accès se trouvait interdit par un cordeau hachuré, doublé de bandes fluorescentes tendus en travers. L’escadron scientifique avait épluché les lieux à plusieurs reprises.

– Mettez ça.

De son sac à dos, Olivia sortit blouses, charlottes et sur-chausses.

– Allez, vous êtes une pro, me dit-elle en souriant. Pour ne pas polluer la scène du crime. Même si mes collègues ne reviendront certainement pas avant longtemps. J’ai les autorisations.

Je me demandais si elle ne mentait pas. Elle semblait prête à tout dans cette histoire. Pour ma part, j’avais l’impression d’être un chirurgien entrant dans une salle d’opération. La grotte n’était pas très sombre en raison de la large ouverture en forme de baie naturelle. Du sable entremêlé de cailloux constituait le sol. Au fond, la base de la paroi était déchiquetée et se prolongeait par une sorte de crevasse d’une largeur pouvant accueillir un corps, tapissée de terre ocre. Les gendarmes avaient laissé des repères en plastique autour et dedans avec des numéros. Leurs experts en combinaison avaient passé les lieux au peigne fin, notamment avec ces lampes aux différentes longueurs d’ondes pour trouver des empreintes et d’autres indices comme des tâches de sang nettoyées, des fluides corporels, des fibres. Mais le nombre de touristes y faisant halte allait leur rendre la tâche ardue.

Ma gorge s’était serrée en imaginant Paul ici, en train de violer et d’étrangler la pauvre Nicole. Je ne cessai d’y penser, le cœur lourd, avec un certain effarement. Sans réfléchir une seconde, je m’étais donnée la veille à un criminel. Mais qu’avais-je fait ? Je restais muette. Ces secrets circulaient en moi comme à peu près des serpents dans une tombe.

– Il y avait des traces de grabuge quand on l’a découverte ?

Ma voix de pécheresse tremblait en abordant cette question.

– Cela est un peu effrayant, n’est-ce pas ? dit Olivia qui avait repéré mon émotion sans en connaître la vraie signification. Non, les randonneurs ont trouvé le corps placé dans la crevasse, à l’étroit, littéralement tassé et coincé dedans, un peu comme en fœtus mais face à la voute, sur un lit de feuilles mortes et de sable. Aucune trace de lutte.

– On dirait que le sol a été balayé ?

– Bien vu, Diana. Mes collègues l’ont effectivement remarqué. D’ailleurs, c’est pour cela que les prélèvements au sol n’ont rien donné. Le type a certainement nettoyé tout en se reculant. Quand je pense qu’il lui a en plus sectionné des muscles.

– Le « type » ? Et pourquoi pas une « femme » ? Pourquoi pas moi ? dis-je en fixant soudain Olivia avec outrance, d’une voix encolérée – Olivia ne pouvait se douter de la raison de mon ire soudaine.

Elle crut pourtant ne pas être dupe de ma provocation et sourit en hochant la tête, gentiment.

– Non, Diana. Parce que ce n’est jamais une femme… Jamais… C’est comme ça…

La pauvre Nicole Dunham avait souffert. Je serrais les poings. Olivia avait au fond raison.

– Bon, fit-elle dans ce lieu macabre, on a quand même une empreinte de chaussure au raz de la paroi, là où c’est un peu plus humide.

Je ne répliquai rien, meurtrie et impressionnée. La grotte était assez fraîche. Des frissons coururent sur mes avant-bras.

– Le corps de Nicole était recroquevillé dans le trou, reprit Olivia en me tendant des photos prises lors de la levée du corps. C’est comme une sorte de tombe.

J’y jetai un coup d’œil attentif. La vue d’un cadavre fluet aux cheveux longs, les bras croisés, les genoux relevés comme dans un cérémonial, et dont on n’apercevait que le dessus du crâne tant l’ensemble était replié pour tenir dans la crevasse, me souleva le cœur. D’autant que ce corps était entièrement nu, et la peau tachetée, grise, couleur de cadavre en putréfaction. Vu la position du corps de la sépulture, comme si l’étudiante ne faisait que dormir, paisiblement, je comprenais pourquoi la presse britannique l’avait surnommée « The little Princess ». Il demeurait des pétales séchés ici et là. L’horreur m’envahit, en songeant qu’il s’agissait de Nicole Dunham, même si je ne voyais pas son visage. Les autres photos étaient des gros plans d’objets en pierre retrouvés autour, ainsi que des flocons végétaux dont le corps avait été retrouvé parsemé. Des clichés de petits ossements, aussi. Une photo d’empreinte de chaussure. Le tout apparaissait énigmatique au possible.

– La montre a été retrouvée par là, ajouta la gendarme en m’indiquant l’opposé du trou sépulcral.

La grotte était peu profonde, aussi nos voix restaient-elles assez mates. J’aperçus un autre repère en plastique montrant donc où était placée la montre de Paul. Je m’approchai, terrassée par l’effroi. Pourtant, rien de spécial, roche et pénombre seulement. Alors j’invoquai les lieux, je tentai de savoir par le mental si oui ou non Paul avait pu venir ici avec Nicole, et ce qui s’était passé avec sa montre. Il ne fallait pas qu’Olivia s’aperçût de mon trouble. J’avais envie de m’écrouler à genoux. Heureusement, nous ne restâmes pas longtemps. Tout cela n’était pas du cinéma. Il me vint la pensée qu’Olivia était contente de son petit effet. De plus en plus, il me semblait qu’elle trouvait un intérêt à ce que je l’accompagnasse ainsi tout le temps durant cette enquête. Quelquefois, elle évoquait son mari et ses amis, mais elle était peut-être plus seule qu’il n’y paraissait dans la vie. Enfin, je n’en savais trop rien. Je naviguais entre attirance et répulsion autour de la mort de Nicole Dunham.

Sur le chemin du retour, tandis que nous étions secouées en raison de ma conduite nerveuse, Olivia poussa soudain une exclamation de dépit.

– Mince ! s’écria ma charmante acolyte, la voiture qui était garée là tout à l’heure a disparu. Ce devait être vraiment le type que nous avons surpris au fond du vallon. Il ne s’attendait pas à nous. Merde, j’escomptais qu’elle soit encore là. J’aurais dû prendre les plaques à l’aller. Je voulais savoir qui c’était.

Mon sourire était si tonique, étiré jusqu’aux oreilles, qu’Olivia s’en rendit compte immédiatement.

– Pourquoi vous souriez comme ça, Diana ?

– Euh, BG 569 XW, avec le numéro 13 des Bouches-du-Rhône, je crois.

– Vous l’avez noté ?

La stupéfaction d’Olivia me rendit rose de plaisir. Je ne servais pas tout à fait à rien dans cette histoire.

Elle récupéra sa voiture garée dans ma propriété un peu plus tard. Je réalisais bel et bien, moi qui me savais pourtant incompétente en orientation, que la grotte n’était pas si éloignée du plateau sur lequel j’habitais, en matière de distance à vol d’oiseau.

– On aurait le temps d’aller à Aix cet après-midi, suggéra la gendarme dont le front perlait de sueur, tout en consultant son portable. La plaque, ça peut attendre. Mais j’ai des questions à poser sur les pierres et les ossements retrouvées près du corps de Nicole, et je sais qu’il y a quelqu’un là-bas pour nous renseigner, j’ai téléphoné. Mais bon, dans cet état… L’avantage, c’est que le nouveau musée n’est pas encore ouvert au public, nous y serions tranquilles.

C’était une excellente idée. Alors spontanément, je lui proposai de se doucher et se revigorer chez moi. Nous gagnerions du temps. Olivia hésita, puis finit par accepter. Entendre couler l’eau de la douche… C’était une amie… Elle était enceinte... J’imaginais son ventre rond et grenu parcouru par les filets rafraichissants, une sorte de colline de chair sacrée posée là, de ballon de relief partageant les eaux de la cascade. Cela dût être moi, cette femme enceinte, cette statue de déesse perdue dans la forêt de faïence blanche, admirée des cieux, nue et géante, gravide, fantastique, belle, objet de tous les cultes anciens. Mais je n’étais pas fichue de faire un enfant. Nicolas était trop pusillanime. Quant à Joanna et Elisabeth, elles étaient débordées et ne m’appelaient plus. Sonia était trop loin. A part Olivia, il n’y avait plus personne d’intéressant dans ma vie. Amer constat.

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