15 - La fille de Boston

8 minutes de lecture

Résumé des chapitres précédents – 1 à 14 :

Diana Artz vit dans la psychose depuis son agression. Soupçonnant son ex mari, Paul Debreuil, elle se remémore le comportement étrange de celui-ci, ses manies, ses soucis de santé. C’est alors qu’elle reçoit la visite d’une gendarme en civil, Olivia Caron, qui utilise son temps libre pour aider dans l’enquête qui vient de s’ouvrir sur la mort d’une étudiante, Nicole Dunham. Diana soupçonne dans cette affaire son ex mari, mais tente de le disculper. Puis ce dernier l’agresse une nouvelle fois. Au lieu de porter plainte, et pour se changer les idées, elle accepte la proposition d’Olivia de la suivre pour interroger de façon non officielle le fiancé de Nicole Dunham : Andreas Öpfe. L’étudiant leur révèle qu’il s’était disputé avec Nicole car celle-ci, jalouse, l’avait surpris dans les bras d’une autre étudiante, Grace Rockwell, lors d’une fête de fin d’année. Pour Nicole, c’en était trop, d’autant qu’elle avait prouvé à Andreas par une vidéo que Grace était homosexuelle et que s’intéresser à elle n’en valait pas la peine. Elle avait quitté la fête précipitamment. Les gens l’avaient vu chercher en vain son téléphone.

– 15 – (chapitre censuré par FB - https://www.facebook.com/chrisdelia05)

Je ne sais pas ce qui me prit, mais j’obéis sans discuter. Olivia ne se doutait pas de ma timidité et de ma méfiance. Parce que j’avais un certain charme, elle me croyait plus épanouie qu’elle, alors que souvent pour un rien, je me sentais minable.

Je n’émis aucun grognement, et je partis en hâtant le pas, en essayant même de courir, et je l’entendis rire derrière moi. Elle me trouvait sympathique, clairement. Ma discrétion durant l’entretien avait dû la rassurer. J’avais l’impression d’aller à la chasse au petit garçon.

Je parvins à repérer Andreas qui nous avait dit où il était garé. Je le hélai de loin :

– Andreas ?

Il se retourna, et son visage se décomposa. C’était donc cela, être de la police, c’était faire peur aux gens rien qu’avec soi-même. Je goûtais peu ce genre de pouvoir. Le pauvre se croyait débarrassé de nous. Mon sourire enjôleur, bien que forcé, devait l’impressionner aussi.

Un instant plus tard, nous étions de nouveau attablés, dans cette sorte d’interrogatoire accordéon. Cette fois un peu plus loin, sur la terrasse d’une brasserie plus en vue, à l’enseigne flambant neuve.

– Vous posez bien plus de questions que les autres enquêteurs, entama-t-il aussitôt, l’air inquiet. Vous savez que je leur ai tout dit, je vous l’ai dit au téléphone,

– Nous n’avons pas la même approche qu’eux, répondit Olivia. (Celle-ci m’associait spontanément à l’interrogatoire, - encore une nouveauté.) C’est gentil d’être revenu. Je sais que c’est une épreuve pour vous. Andreas, vous n’êtes pas le responsable de ce qui est arrivé à Nicole, n’est-ce pas ?

– Bien sûr que non !

Elle continuait d’amadouer son témoin. Sa sincérité de ton me semblait un peu douteuse, mais le pragmatisme devait l’emporter dans certaines situations, dans les situations les plus périlleuses comme dans les plus délicates, un viol par exemple. Voilà ce que je me disais. On ne court pas dire à la police : « Coucou, regardez-moi, je suis belle, je viens d’être violée. » On réfléchit. Oh, et puis au diable toutes ces pensées ! Moi-même j’avais été agressée récemment, violée par mon ancien mari, transformée en chose. Mais la vie n’allait pas s’arrêter. J’allais me purifier de tout cela. C’était une péripétie, voulais-je me convaincre tandis qu’Olivia terminait ce second préambule, c’était juste comme une jambe de cassée. Le chirurgien nous viole aussi quand nous sommes endormis, les gens dans le bus nous violent quand ils parlent fort avec des gestes et des rictus inconsidérés, la télé nous viole quand, au journal du soir, on nous plaque des images brutales sans nous avertir, non floutées, cela arrive maintenant souvent, des cadavres, des estropiés, des malformations horribles, des visages brûlés, écaillés, ravagés, des scènes d’opérations ou d’accouchements avec parfois même un placenta immonde ou un nourrisson sanguinolent devant la vue, des cris de jouissance et des rognures de sexe dans un reportage sur l’orgasme. Aujourd’hui, les images et les mots ne prennent plus de pincettes, jamais. L’existence procède d’une grande écriture indécente et triviale. La vie publique est devenue dégoûtante.

– Bon, je suppose que vous désirez donc découvrir comme nous la vérité sur sa mort…

– Oui, oui, s’impatientait Andreas.

– Dites-moi, Andreas, comme vous a dit Diana… ma collègue ici présente…

Olivia avait hésité, mais elle utilisait mon prénom pour me désigner. Je devenais familière à ses yeux. J’ignorais si elle était coutumière de ce genre d’initiative ; cela me faisait bizarre. Elle poursuivit :

– Nous avons oublié de vous poser quelques questions sur Grace. C’est bien la preuve que tout ceci nous l’envisageons avec du recul, et que vous ne devez nullement vous sentir suspect. Je vais être franche, Andreas : parmi les témoignages recueillis, il y a quelques petits points que je dois éclaircir, même si l’enquête officielle se dirige tout droit vers un crime sexuel et crapuleux parfaitement épouvantable. Vous saisissez : moi, j’ai quelques doutes, et je veux recueillir le maximum de témoignages précis. Donc dites-moi, votre amie Grace… C’est bien votre amie ? On est d’accord là-dessus ?

– Oui, mon amie…

Une amie, une coucherie. Drôle de devise qui me venait comme ça dans la tête. Et elle y trottait. Que m’arrivait-il ?

Pendant ce temps, une once de nostalgie, comme si cette amourette aurait dû être sérieuse, pointait dans le regard du pauvre étudiant à nouveau torturé. Il nous apprit que Grace était une étudiante américaine, en France depuis ses dix-huit ans. Au début, elle rentrait pour les vacances aux Etats-Unis, à Boston, où résidaient sa mère et son beau-père. Son père était décédé dans un accident de chasse quand elle n’était encore qu’une enfant. Elle n’avait de lui que de vagues souvenirs, une silhouette à forte carrure, un sourire attendrissant, un chapeau, des mains caressant ses cheveux… En somme, en ce qui concernait son père, la mémoire de Grace ressemblait à un tissu plein de trous, gris et désolant.

– Grace m’a confié un jour qu’elle ne rentrait plus voir sa mère que durant les vacances d’été. Et encore, cette année, elle n’escompte même pas retourner à Boston. Sa mère est occupée.

– Que fait sa mère ?

– Elle travaille comme assistante dans l’entreprise de son nouveau mari. Le beau-père de Grace gère des biens immobiliers. Grace n’a pas de souci d’argent. Mais sa mère est très occupée, et apparemment cette situation convient à tout le monde.

C’était étonnant. Je songeais à ma situation passée avec Paul, à ses parents qui, tout en cherchant à nous faciliter l’existence, semblaient eux aussi tout faire pour nous éviter. Chacun chez soi, mais la conscience tranquille. Nous vivions une époque d’égoïsme certes, mais c’était un égoïsme moral. C’était mieux.

– Je vois, opina Olivia d’un air entendu. Grace était donc à la fête, vous êtes sortis ensemble. Vous avez même fait plus ce soir-là…

Qu’elle ne dît pas cela, Andreas allait replonger dans son silence. A la limite, c’était surtout pour moi que la suite pouvait devenir embarrassante. Pendant qu’Andreas levait ses yeux azur vers la gendarme, je me le représentais avec son amie américaine en train de forniquer à l’étage, dans la maison de la doyenne. J’entrevoyais les corps, dans un sens, dans un autre, et il fallut que je me fiche une claque intérieure afin de revenir écouter les questions d’Olivia.

– Donc, depuis combien de temps ?

Andreas renâclait.

– Ah, vous voulez savoir depuis combien de temps nous couchons ensemble ? Mais à la fête, c’était la première fois. Je croyais que vous aviez compris.

– Dites m’en plus...

L’étudiant Öpfe demeura bouche bée.

– Ah ah, pardon, pardon ! exclama Olivia qui ne put s’empêcher d’émettre un petit rire, pardon, ce n’est pas ce que vous croyez, je ne veux pas de vos cochonneries. Je parlais de l’ancienneté de votre relation.

– Je connais Grace seulement depuis le début de l’année scolaire, répondit Andreas. Disons novembre. Elle est étudiante en paléo-sociologie, mais elle voudrait en faire son métier, tout au moins l’enseigner. Moi, c’est une matière qui complète ma formation d’historien. C’est un copain de fac qui m’a conseillé de m’inscrire à ce cursus.

– Il connaît Grace, ce copain ? souligna Olivia qui avait ressorti son stylo. Qui est-ce ?

– Oh, c’est un ami de Marseille. Nous jouons ensemble en réseau, aux jeux vidéo…

Andreas rougit. Ses iris perdaient de leur teinte acidulée. Il avala une nouvelle gorgée de bière et reprit :

– Oui, vous savez, à notre âge, on joue pas mal…

Olivia éclata d’un autre rire sonore, ce qui me fit sourire autant que ce qu’elle répondit :

– Oh, je sais bien ! J’en ai un à la maison comme vous : mon mari. Et je me doute que lui dans mon ventre, si c’est un garçon, risque plus tard aussi de beaucoup jouer. C’est aussi pour cela que j’aimerais une fille. Vous avez son numéro à votre ami ?

Cette femme était vivante, me dis-je. Gendarme, enquêtrice, inquisitrice. Mais elle avait un mari, une famille. Humaine et vivante. Tandis que mon cœur n’était plus que nénuphar dans son marécage de vie imprécise.

– Vous voulez lui parler ?

Olivia haussa les épaules.

– Juste deux ou trois questions. Il faut tout vérifier, c’est mon métier. Ne vous bilez pas.

Andreas compulsa son Smartphone.

– Donc, avec Grace vous avez flirté en cachette, c’est ça ? Malgré Nicole…

– De toute façon, cela n’aurait pas marché avec Grace, fit Andreas à nouveau morose.

– Pourquoi ?

– Mais je vous l’ai dit, parce qu’elle n’est pas une pure hétéro en fait.

– C’est vrai. Vous ne vous en êtes jamais douté ?

– Franchement non. Jusqu’à ce que Nicole me mette en garde le jour de la fête. Selon elle, je ne devais pas fréquenter Grace, cela ne servait à rien. Mais Grace me courrait après, comme Nicole.

– Pourquoi, si elle est homo… ?

– Je n’en sais rien, vous lui demanderez. Et Grace est très jolie, vous verrez, et moi je n’ai pas résisté. Maintenant que je sais ce qui est arrivé à Nicole…

– Quoi ?

– Hé bien… Je me rends compte que Nicole avait raison. Cette idylle avec Grace n’était pas sincère. Je suis désolé. Grace m’a bien eu, et Nicole est morte… conclut l’étudiant plein de contrition.

– Mais pourquoi dites-vous ça ?

– C’est Grace qui a décidé de passer aux choses sérieuses, pas moi ! Et ça s’est accéléré brusquement. Bien sûr qu’il y a eu les œillades, une ou deux discussions avant…

– C’est elle qui vous a dragué ? Plus que vous ?

– On peut dire. Et tout à coup, voilà cette fête. Et nous nous embrassons, et elle me fait comprendre qu’elle veut que nous couchions ensemble, là, tout de suite. J’avais un peu bu. Surtout, on peut dire que j’avais bu ma honte, tout nettoyé que j’étais en moi, aucun remords. Faut-il en avoir ? J’ai fait ce qu’elle désirait. Ça a été le drame pour Nicole.

Voilà que nous réabordions la petite sauterie à scandale. Mon Dieu, cela n’allait pas. Je me sentais toute ouïe, l’alcool m’avait débridée, c’était ridicule. Andreas semblait en avoir marre lui aussi.

– Je n’ai guère aimé ce moment, car maintenant que j’y repense, j’ai l’impression que c’était calculé de la part de Grace. Et elle a mis le paquet.

– Veuillez préciser, Andreas.

Annotations

Vous aimez lire Delia ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0