7 - Le microlithe

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Résumé des chapitres précédents – 1 à 6 :

Pour Diana Artz, les problèmes n’ont pas commencé avec cette intrusion d’un inconnu dans sa maison perdue en pleine garrigue non loin d’Aix. Mariée à Paul, elle a habité à la Défense, puis en Touraine, et finalement, la personnalité de Paul changeant de plus en plus, elle a accepté de le suivre en Provence. Là-bas, ils ont divorcé. Les gendarmes venus pour son agression lui ont appris la disparition d’un petit garçon dans la région. La psychose s’installe. Elle se croit épiée. Sa passion pour Nicolas, son compagnon, s’est tarie. Elle s’interroge pour savoir si elle veut un enfant. Avec Nicolas ? Elle repousse la réponse. Bientôt elle se découvre une passion un peu étrange et morbide pour les vidéos d’animaux sauvages, notamment celles des grands fauves.

– 7 –

Il était par terre, à mes pieds.

Je me penchai. Il avait dû être balayé quand j’avais fait du ménage, puis rabattu vers le centre du corridor. Le sol était en mosaïque, mais il faisait une sorte de tache sombre dans une partie unie et claire du motif.

A première vue, on eût dit un simple petit caillou. J’étais partie pour ouvrir la porte de derrière afin de le jeter parmi les graviers, lorsque je retins ma main. Pas plus long qu’un ongle, ce caillou avait quelque chose d’insolite à bien l’étudier, peu épais, légèrement translucide, marbré de taches opalescentes ressemblant à de la nacre. Sa forme était celle d’un triangle oblong et pointu. Il s’agissait d’un minuscule silex taillé, appelé microlithe.

Paul avait eu ce genre de pointe en sa possession.

Je vaquai à mes occupations, ma trouvaille en travers de l’esprit. Une idée me vint progressivement, mais à mesure que j’y pensais, il me semblait que c’était la bonne explication. Je m’entendis intérieurement blêmir.

Je pris le téléphone. Pour obtenir le numéro, je dus ouvrir des tiroirs et chercher la main tremblante au milieu des papiers pour retrouver un vieux carnet d’adresses abandonné depuis longtemps. Je connaissais fort bien ce numéro et le nom à côté : Charles Deuring.

– Allô, j’écoute ?

Cette voix. Une myriade de souvenirs éclata dans mon cerveau ainsi qu’un fruit mûr. Du stress mêlé à du soulagement, la joie de pouvoir parler à l’ancien patron de Paul. Son téléphone n’avait pas changé.

– Allo Charles ? C’est Diana… Vous vous rappelez ? Diana, la femme de Paul Debreuil.

Charles Deuring préféra laisser le silence répondre à sa place. Il tenta de masquer sa surprise.

– Bien sûr, Diana. Comme je suis heureux de vous entendre. Vous allez bien ?

– Il a recommencé, Charles…

Deuring n’était pas du genre à se laisser impressionner par quoi que ce soit. Il était le patron apprécié et respecté d’un grand laboratoire parisien, à la Défense, employant des dizaines de salariés. Et pourtant, devant ma voix chargée de détresse, il hésita. Le passé lui remontait à lui aussi, brûlant comme des glaires dans l’œsophage.

– Il a recommencé ?

Ma voix était fluette d’un coup.

– Oui…

Il ne répondit rien. Il réfléchissait. J’enchaînai :

– J’ai encore retrouvé ce que vous appeliez des microlithes, chez moi. Cela ne peut venir que de Paul, Charles.

– Il a toujours été bizarre, fit alors Deuring pour toute réponse.

Paris, la Défense, 7 juin 2010.

– Mes amis, vous ne trouvez pas qu’il est étrange depuis son accident ? Il m’a l’air constamment dans le cirage.

Charles Deuring s’est tourné vers ses associés. L’un d’eux réplique :

– Je ne trouve pas. Il travaille toujours autant.

– Je trouve que si, intervient son voisin. Même s’il reste l’excellent collaborateur que nous estimons tous.

– N’est-ce pas ? Je trouve Debreuil étrange. Il n’est plus avec nous depuis son retour en France.

­– Mais vous êtes bons, vous, on le saurait à moins ! Il y a eu combien de survivants? Un seul, c’est lui.

– Si nous y retournions, propose Charles. La réunion nous attend.

Une salle de conférence, au cinquante-troisième étage de la tour Gan à la Défense. Les questions fusent. On évoque la politique des investissements. Charles Deuring prend la parole à de nombreuses reprises. Un seul ne participe pas à ce débat brûlant : Debreuil, assis aux côtés du responsable de la recherche, près d’une baie dominant l’esplanade du général De Gaulle. Cent cinquante mètres plus bas, les passants s’agitent comme des fourmis. Les perspectives offertes par le croisement des verticales et la profondeur des avenues donnent le vertige.pi

Une demi-heure s’écoule. La discussion est houleuse, mais le patron du laboratoire n’en a cure. Il scrute de temps à autre son employé. Paul a maintenant quitté sa contemplation des fourmis humaines, et il s’intéresse de près à un stylo. Il le triture dans tous les sens. Il le malaxe, le tourne et le retourne. Le plus étrange est que l’ingénieur en botanique parait lui-même étonné de ses propres gestes, une véritable découverte.

« Il est dément », songe le P.D.G. qui le fixe avec intensité. Debreuil caresse la pointe avec obsession, comme pour en déterminer la forme. On croirait qu’il a oublié qu’un stylo est simplement fait pour écrire. Le manège de l’ingénieur s’intensifie. Dans l’assistance on se retourne. Certains employés se gaussent, d’autres restent médusés. Leur collègue s’affaire tel un dément, à la fois attentif à ses propres gestes et profondément énervé. Paul s’arrête, roule le stylo entre ses paumes comme on le ferait pour faire du feu, recommence, s’interrompt, devient presque violent, toujours sans se préoccuper de rien autour de lui. Quel comportement autour d’un objet aussi banal ! Enfin l’homme lève les yeux, et regarde l’assistance avec stupeur, le regard un peu vide. Ses voisins sourient, gênés, puis haussent les épaules.

– Que dois-je faire, Charles ? Ignorer tout ceci ?

– Ce microlithe traînait vraiment chez vous, Diana ?

– Bien sûr !

Je lui contai mes soupçons par le détail. La présence de ce caillou pointu ne pouvait être pas anodine. Il s’agissait d’une pointe de flèche, ressemblant comme une goutte d’eau à celles pour lesquelles Paul se passionnait autrefois.

– Vous m’avez dit qu’il connaît votre adresse. Il est entré chez vous en catimini ?

– Oui.

– Mais comment ?

– Je ne sais pas. Pourtant, en ce moment je suis souvent à la maison. Je… Et si…

Ma voix se mit à chevroter pour de bon. Je venais de réaliser quelque chose qui me laissait stupéfiée.

– Charles, j’y pense, parvins-je à articuler. J’ai oublié de vous dire… Enfin je ne comptais pas vous en parler. Mais je me suis fait agresser l’autre jour, chez moi. Les gendarmes sont venus. Je n’ai pas pu voir le type, qui m’a plaquée et s’est enfui. J’étais terrorisée.

– Où voulez-vous en venir ?

– Paul serait capable de faire une chose pareille ?

J’entendis la voix de Charles me répondre de façon lente et appliquée :

– Paul a toujours eu un comportement singulier. Il serait venu pour vous agresser ? Pour quelle raison ?

– Je n’en sais rien. Mais il m’a sauté dessus. Il n’a rien volé. Il est passé par la salle de bain, il a peut-être fouillé dans la pharmacie, je ne suis même pas sûre…

Ma découverte m’affligeait.

– Vous êtes allée le voir chez lui ? Je veux dire, depuis ces événements ?

J’étais en train de vaciller sur mes jambes. Parler « d’événements » me semblait grotesque, et très irritant.

– Non… A vrai dire, je viens juste de faire le rapprochement.

– Il le faudrait peut-être. Lui ignore que vous savez. Vous êtes restés en bons termes ?

– Oui, plutôt. Mais nous nous voyons rarement. Nous n’avons jamais eu d’animosité l’un envers l’autre. Si c’est lui…

– Il habite bien toujours à côté de chez vous ? Vous n’avez pas changé de lieu depuis que vous avez quitté Tours ?

Il me semblait percevoir les motivations de Charles Deuring en arrière-plan, et sa curiosité plus ou moins intéressée. De sorte que mon ton se durcit face à cette batterie de questions.

– Non. Je suis toujours à Aix.

– Allez lui rendre visite, Diana, m’invita l’ancien patron de Paul, je pense qu’il n’y a aucun danger. Cette agression est certainement un coup de stress, une maladresse, à son « niveau » j’entends. Vous savez, un peu comme ces animaux trop affectueux qui vous bousculent. Les lions qui renversent leur dresseur. La métaphore n’est peut-être pas très bien choisie, désolé. Allez lui parler, et vous me rappelez ensuite. Vous vous souvenez ce que nous avions découvert sur son lieu de travail ? Je vous en avais fait part, à l’époque où il voulait démissionner.

– Oh oui, je me souviens très bien, Charles…

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