Partie 2

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« Je ne voulais pas vous faire attendre ! » s’exclama Chat, la tête basse. Désolé pour le temps, on m’avait appelé à autre chose. »

Grue fit la moue, rangea une lettre qu’il lisait avec attention dans ses habits.

—Je n’ai pas beaucoup de temps à vous accorder, Chat. Car, si, j’ai d’autres choses à faire.

—Je suis désolé, vraiment. »

Chat baissait encore la tête, pris en faute. Grue regardait ses mèches sombres retombées sur son front, ses oreilles baissées avec humilité. Il semblait sincère, et cela le changeait. Grue soupira, jeta un œil vers la porte en se disant qu’il avait bien d’autres chats à fouetter.

« Que vouliez-vous me montrer ? » dit-il d’un ton expéditif.

—Voilà. J’ai trouvé ceci et je voulais savoir si… » commença le félin.

Grue le coupa, pointa alors de son ongle blanc l’épée que Raminagrobis serrait contre sa cuisse.

« Si c’est cette épée… Alors jetez-la vite et n’espérez même pas offrir cela. Elle est de bien piètre facture. »

Le chat baissa aussitôt les oreilles, fit un petit sourire gêné en relevant l’arme sous ses yeux. L’oiseau continua encore :

« Il faut une arme bien rare pour que l’Empereur puisse l’apprécier. Sinon, il pourrait croire que vous le défiez. Ou peut-être que vous vous moquez de lui ? »

Chat secoua la tête en avalant sa salive. Enfin, il osa répondre, d’une voix rieuse.

« Mais non, voyons ! Je me suis acheté ça pour faire une blague à un ami, hahaha… »

Grue haussa un sourcil sans broncher, sceptique.

« Et donc…

—Et donc ?

—Votre cadeau ?

—Ha oui, mon cadeau… ! »

Chat continuait à rire, décontenancé, sembla chercher un peu autour de lui comme pour trouver une issue à ce dialogue désagréable. Enfin, il eut une idée qui lui parut merveilleuse, ou, tout du moins, bienvenue.

« Le voici ! »

Il fouilla dans ses affaires et sortit le coffret de Renard. Il le tendit à Grue avec un petit sourire plein d’espoir. Ce dernier l’accepta, un peu surpris, et l’ouvrit doucement. Le félin continuait à le regarder, les oreilles baissées et le cœur battant.

« C’est… »

Grue paru hésitant, sortit le pot avec ravissement.

« Vous en avez trouvé un ? Comment avez-vous fait ?!

—Heu je… Et bien… »

Grue alluma aussitôt une bougie et la glissa dans le pot d’or et de diamant. Alors, des ombres incroyables se dessinèrent sur le mur, jouèrent une histoire mouvante comme jamais Chat n’en avait vu avant.

« Et il est animé… ? »

Le valet fit tourner le photophore, et aussitôt d’autres lamelles de métal se mirent à bouger, transformèrent les ombres en d’autres silhouettes graciles et fantastiques. Chat se leva, la bouche ouverte. Grue lui jeta un œil en éteignant la flamme du bout de ses doigts.

« Je crois qu’on peut dire que vous avez trouvé quelque chose d’intéressant. »

Chat hocha la tête, continuant à fixer le mur désormais éteint.

« Vous n’aviez pas eu le temps de l’essayer encore ? »

Chat secoua la tête, toujours figé.

« Je suis désolé alors de l’avoir allumé… » continua Grue, d’un ton moins dur qu’à l’accoutumée.

Le matou le regarda enfin mais ne se rassit pas. Il passa sa langue sur ses lèvres asséchées.

« Après tout, je voulais ton avis… » répondit enfin Chat.

++++++

Chat s’était écarté, serrant contre lui le coffret d’un air inquiet. Il ne souriait pas et se demandait comment s’en sortir. Redonner le coffre à ce vicieux de Renard ? Jamais ! Il avait entre les mains un trésor d’une immense valeur –même s’il ne l’avait pas vu tout de suite, et qui lui apporterait sans aucun doute les faveurs de l’Empereur : comment pouvait-il jeter ça sans en profiter ? Bien sûr, il va falloir la jouer fine… Il jeta un regard à droite puis à gauche du couloir, s’engagea dans l’aile sombre qu’il s’était attribuée.

Le tout, c’est de ne pas s’attirer d’ennuis…

++++++

Bientôt, les festivités pour fêter l’anniversaire de l’Empereur avaient coloré la ville et même l’enceinte du palais. Tout y sentait bon, tout le monde souriait et semblait ravi de voir le souverain bientôt apparaître. On ne comptait pas son âge mais son règne, et celui de tous ses ancêtres. Cela faisait donc de nombreuses bougies à souffler ; et la semaine entière était bénie par cet évènement.

Maître Renard aimait aussi cette fête : la bonne humeur, la danse et la boisson dominaient avec plaisir ces heures spéciales. Et même l’Empereur, plutôt grognon, plutôt discret, y semblait plus joyeux. C’est pourquoi le rusé avait toujours préparé cet instant avec enthousiasme. Pourtant, quelque chose le dérangeait : Singe, qu’il avait expressément envoyé depuis plusieurs mois chercher le cadeau impérial, avait disparu. Il savait pourtant qu’il l’avait bien trouvé, et Renard avait fait envoyer serviteurs et gardes pour retrouver le voyageur. Mais rien, pas une trace. Même ses affaires avaient été évacuées, comme s’il était reparti aussitôt sans demander son reste. Et c’était là quelque chose de bien fâcheux...

Le jeune homme n’en avait pas dormi de la nuit. Un cadeau ? Il en avait bien un de remplacement, beaucoup moins intéressant. Mais ce qui l’inquiétait vraiment, c’était ce qui s’était passé avec son ami. Il se tournait et se retournait dans son lit, se disait que quelque chose n’allait pas. C’était la veille même de la grande fête en l’honneur de l’Empereur, mais il ne pouvait se décider à laisser ce mystère irrésolu. Avait-il vraiment été trahi ?

Plongé dans les couloirs sombres encore ensommeillés, il avait continué à chercher sa trace entre les cuisines, les salons et les endroits préférés de Seigneur Singe. La mine inquiète, l’oreille basse, il dut enfin se résoudre à se préparer à la fête.

« Mais que se passe-t-il, mon beau Renard ?! »

C’était l’une de ses servantes favorites qui se pressa contre lui, alarmée par l’air sombre du jeune rouquin. Renard en profita un peu, posa sa tête contre sa poitrine comme un enfant triste, puis se redressa enfin.

« J’ai perdu mon cadeau. »

La femme secoua la tête en y réfléchissant. Elle tira l’une des mèches du garçon, se mouilla le pouce pour lui essuyer la joue.

« Vous êtes dans un état lamentable. Et vous avez des cernes énormes !

—Je n’ai pas vraiment dormi… répondit Renard en secouant la tête.

—Vous ne pouvez pas allez à la fête dans cet état ! »

Pourtant déjà, les cloches extérieures sonnaient le début de la cérémonie, et Renard jeta un regard perdu vers la fenêtre.

« Je vais être en retard… murmura-t-il.

—Ce n’est pas grave, il faut que je vous lave ! Et que je vous maquille aussi… ! »

Renard ne répliqua pas et baissa la tête, triste. Il se laissa traîner comme un fantôme jusqu’au bain, se laissa chouchouter par les plus belles femmes du palais sans rien dire.

« L’Empereur va pas être content, osa-t-il enfin.

—Il serait encore moins bien content si vous apparaissez comme vous êtes ! »

Renard soupira, se laissa habiller d’une tenue de soie d’un orange flamboyant, et s’écarta enfin. Il avait glissé dans sa manche le présent de dernière minute sans grande conviction.

« Mon Seigneur ! La fête a déjà commencé ! » souffla une autre servante qui venait de rentrer.

Le jeune homme hocha la tête, redressa les épaules et se dirigea vers la grande salle centrale, le teint d’un blanc impeccable et les lèvres rosées.

Quand il rentra enfin dans l’immense salle de fête, enluminée de tentures colorées et de larges fanions aux armoiries impériales, il vit que les personnes avaient commencé à présenter leurs hommages. Sur l’immense trône d’or, sculpté de pierres précieuses et de jade divin, était assis l’Empereur. C’était Tigre, l’œil foudroyant et la chevelure rayée, qui dégageait une aura inquiétante et pourtant raffinée.

« Grand Sire. Je suis tellement heureux de pouvoir vous offrir ce présent. Je l’ai cherché de longs mois, j’y ai envoyé mes meilleurs sujets. J’ai cherché jusqu’aux terres les plus lointaines pour pouvoir vous satisfaire. J’espère, grand Empereur, que cela vous plaira. »

Renard s’avança légèrement, vit Chat s’exprimer pompeusement en faisant de grands gestes au milieu des autres invités, et à quelques mètres de l’Empereur. Cela ne lui ressemblait pas, et fit sourire Renard.

« Rrrraminagrobis ?! » murmura-t-il d’un air rieur.

Chat le vit s’avancer, sembla lire sur ses lèvres. Aussitôt, il sembla s’hérisser, plissa le regard d’un air mauvais. Enfin, il fit un petit sourire satisfait.

« Tu ne m’appelleras plus jamais comme ça… » arriva à comprendre Renard sur la bouche du chat. Tout de suite après, le jeune conseiller vit le félin allumer une bougie et la poser dans un petit vase. Il écarquilla les yeux.

Sur le mur, d’immenses ombres apparurent et jouèrent un balai frénétique. Les flammes, faisant briller de mille feux les joyaux et les métaux précieux, émerveillèrent le public. Mieux encore, créé par le mécanisme du photophore, un immense tigre apparut parmi les ombres : impressionnant et féroce, il semblait dévorer les autres silhouettes fragiles. Toute l’assemblée poussa un cri d’une seule voix, puis applaudit avec enthousiasme, charmée. Personne n’avait encore vu quelque chose d’aussi incroyable.

« Voleur ! » cria Renard.

Aussitôt le jeune homme couru vers l’estrade impériale, affolé et rouge de colère.

« Tu as volé mon cadeau ! »

Chat se figea, surpris, puis hocha les épaules et fit mine de ne pas comprendre. L’assemblée se tut.

« Je ne vois pas de quoi tu parles… »

Les gardes, inquiets par l’humeur vive de Renard, commencèrent à l’entourer. Pourtant, personne encore n’osa le toucher. Le rouquin repris, toujours d’une voix remplie de colère :

« Tu mens, cet objet est à moi ! C’est Singe qui me l’a amené ! »

Chat secoua la tête d’un air désolé.

« Je suis navré, grand Empereur… Je ne comprends pas ce qu’il se passe… Y aurait-il un seul témoin de ce que vous affirmez ?»

Alors vint une idée merveilleuse au félin, qui fit un léger sourire satisfait.

« Sir Grue ! Peut-être pouvez-vous lever le voile sur ce mystère ? »

L’assemblée, intriguée par ce nouveau scandale, tourna la tête vers le valet de l’Empereur. Ce dernier, posé discrètement à côté du Tigre et à peine visible dans l’ombre, regardait le Chat d’un air surpris. Il s’avança enfin en fronçant les sourcils mais ne dit pas un mot. Chat continua.

« Ne vous ai-je pas montré cet objet il y a de cela plusieurs jours déjà ?»

Grue ne desserra pas les lèvres, n’appréciant visiblement pas d’être pris à partie. Cependant il hocha la tête pour confirmer.

« Cela ne veut rien dire !» continua Renard en hurlant.

Le jeune homme baissa les oreilles, empêtré dans sa rage. Chat en profita alors encore une fois :

« Cher Empereur, je ne voulais pas que cela fasse tant de problèmes... Peut-être que la jalousie de certains se dévoile enfin au grand jour… »

Maître Renard, ne pouvant se retenir, sauta sur l’estrade, attrapa Chat par le col. Les invités retinrent leur souffle, effrayés, regardant Tigre d’un air apeuré. Ce dernier fit un geste aux gardes pour les empêcher d’arrêter le jeune conseiller hors de lui.

« Tu n’es qu’un sale menteur ! Qu’as-tu fait de Singe ?! » cracha Renard au visage du chat, l’étranglant presque.

Ce dernier se débattit, à moitié étouffé, et essaya d’attraper l’épée à son flanc. Mais pourquoi personne ne venait-il donc l’aider ?! Il arriva enfin à saisir la lame recourbée, et d’un coup sec, déchira le poignet blanc de Renard. Quelques gouttes de sang tombèrent sur le bois.

Le jeune homme poussa un gémissement, attrapa son bras en regardant le chat d’un air mauvais. Sa rage l’avait envahie tout entier, et il ne sentait finalement presque pas la douleur malgré la terrible blessure infligée. Prêt à en découdre, il refit un pas vers Chat qui avait laissé tomber son arme et essayait de retrouver son souffle.

« Ça suffit », dit une voix en murmurant, grondant dans les ombres de la pièce.

Le jeune Renard se figea. Il avait reconnu aussitôt la voix de son Maître. L’Empereur descendit quelques marches. Lentement. Très lentement, en les regardant fixement. Le jeune rouquin essaya de retenir sa colère, de calmer le feu qui le rongeait de l’intérieur. Il baissa les oreilles, essaya de retenir le flot de sang coulant de son bras, mais n’y arriva pas. Raminagrobis secoua la tête, recula d’un pas.

«Écarte-toi encore d’un seul centimètre, et je te jure que tu le regretteras », grogna Renard entre ses dents.

Le Chat recula encore une fois, presque par réflexe, ce qui réveilla à nouveau la colère du jeune conseiller. Le rouquin fit un geste sauvage, se rua sur le chat.

D’un coup, Tigre bondit sur Renard en rugissant, et lui griffa violemment le visage d’un revers vif et brutal. Tous retinrent leur souffle. Un silence chargé de peur plana quelques secondes.

« Comment oses-tu continuer… ? », murmura enfin le souverain. Sa voix rauque semblait baignée de colère, mais aussi de déception. Renard se raidit et se rendit compte d’un coup de la gravité de son geste. Il avait désobéi. L’Empereur se redressa lentement, un air de mépris marquant son visage inquiétant. Aussitôt, les gardes attrapèrent le rouquin, lui mirent les bras dans le dos.

« Seigneur… » gémit le conseiller.

« Silence ! » continua Tigre d’une voix plus forte, raisonnante comme le tonnerre à travers tout le palais. Tous les invités frémirent, complètement terrorisés.

Renard baissa la tête, poussa un sanglot. Le coup l’avait définitivement calmé et ramené à la réalité. L’un de ses yeux, sauvagement lacéré, semblait pleurer des larmes rouges.

Un garde murmura à l’oreille du blessé.

« Faire un tel scandale un jour sacré ? Qu’est-ce qui vous a pris, seigneur Renard ?! »

Le jeune garçon regarda tout autour de lui d’un air apeuré. Tous le regardaient, désolés. Chat, quant à lui, semblait avoir profité du brouhaha pour s’éclipser, et avait déjà bel et bien disparu dans l’ombre de l’endroit. Enfin, Tigre repris :

« Tes cris m’insultent. Insultent tous mes invités. Et tu oses aller à l’encontre de mes ordres ? »

Sa voix s’assombrit, gronda dans sa gorge et à travers toute la salle.

« Hors de ma vue. Je ne veux plus jamais te voir ici...» dit-il enfin.

Toute l’assemblée murmura, estomaquée, regardant le conseiller bien aimé tiré par la garde.

« Je te bannis» conclut enfin l’Empereur d’un ton glacial.

Et Maître Renard disparu derrière les portes, laissant une trace sanglante derrière lui.

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