Hi-machi

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Le week-end en Islande prévu par Lev pour le nouvel an fut spectaculaire. J’avais décidé Lev à le passer dans le quartier à la mode de Reykjavík écouter de la musique indé. Lev préférait le trekking et les volcans. Alors, nous avions coupé la poire en deux : excursion volcan l’après-midi, et Artic Monkeys le soir.

Il ne faisait pas trop froid, et je dois reconnaître avoir été enchantée par le paysage. Ce qui me passionnait le plus, ce fut bien évidemment les légendes locales sur les trolls qui figuraient dans le guide comme sur les panneaux. Pour les Islandais, chaque curiosité naturelle était due à un troll, ou était, carrément, un troll. À midi, nous entrâmes dans un charmant gîte alpin pour manger trois frites et boire du chocolat.

— C'est trop beau ici, murmurai-je avec enthousiasme en regardant autour de moi. T'imagine un hôtel comme ça ?

Lev eut un sourire mystérieux, puis il se tourna vers le patron.

— Vous faites les nuits en ce moment ?

— Non, c'est pas la saison, répondit-il en essuyant un verre. On ferme vers six heures, puis on redescend avec le dernier téléphérique. La nuit, y a personne ici. D'ailleurs, je ne peux que vous conseiller d'être revenus de votre balade assez tôt, car le temps se gâte. Il y a de la brume...

Je regardai par la fenêtre. En effet, il y avait un petit fond brumeux, sur une montagne avoisinante, qui risquait peut être de tomber sur nous. Le patron et ses aides regardaient par les fenêtres en cul de bouteille d'un air préoccupé, essuyant des bocks de bière.

— Le patron vient de dire que le temps se gâte. Je crains qu'on ne soit obligé de renoncer au volcan aujourd'hui, Leefi.

— Non, pas la peine de redescendre tout de suite, répondit Lev en jetant un coup d’œil sur son i-phone. Je viens de checker la météo, ça va commencer à craindre dans deux bonnes heures. D'ici là, on a le temps de se balader un peu.

Je n’étais pas trop rassurée.

— Mais s'ils ferment le téléphérique, Lev ?

— Ils ne le fermeront pas, Fassa, me assura-t-il.

Lev se leva pour payer au bar. Je le vis discuter pendant que je remettais mon manteau, et appliquai une bonne couche de labelo sur ses lèvres et de crème norvégienne sur mes mains.

— Alors ? Qu’est-ce qu’il a dit ? Est-ce qu'on doit redescendre ?

Lev secoua la tête en boutonnant sa parka.

— Il a dit qu'on avait le temps d'aller voir le volcan, si on faisait vite. On aura largement le temps d'attraper le dernier téléphérique.

— Tant mieux. Mais on dirait que tout le monde s’en va…

— Laisse-les donc. Ce sont des touristes d’Europe du sud. À nous, ce n’est pas un petit peu de pluie qui nous fera peur !

Trente minutes plus tard, la brume était complète. Tout le monde, sauf nous, avait vidé les lieux. Nous avions raison, car lorsque nous arrivâmes devant le cratère, il faisait un temps radieux.

— La météo dit vraiment n'importe quoi, dis-je à Lev. Il fait un temps merveilleux ! Heureusement qu'on est pas redescendus.

Il me serra contre lui en regardant le volcan par dessus son épaule. J’étais fascinée : c’était le premier cratère que je voyais en vrai.

— Ne t'approche pas trop quant même, me conseilla Lev en me voyant gambader autour. Les émanations de souffre peuvent t'asphyxier.

Nous nous sommes promenés sur les bords (plusieurs kilomètres) tout le reste de la journée. Je ne s'inquiétais plus du téléphérique : jee pensais qu'à cause du revirement du temps, ils l'avaient gardé ouvert. Lorsque le jour commença à décliner, nous fîmes tout de même demi-tour. La lune, jaune et ronde, brillait dans le ciel crépusculaire comme une pièce d'or sur un drap bleu. Il n'y avait pas la moindre trace de nuages.

— C'est vraiment dommage que le gîte soit fermé la nuit, observai-je. Ça doit être magique de passer la nuit ici, surtout par ce temps.

— En effet, murmura Lev.

Trente minutes plus tard, nous arrivâmes devant. En s'apercevant que la zone était déserte, je me figeai.

— Lev...Où sont ils tous ?

Lev, lui n’avait pas l’air inquiet.

— Ils sont rentrés, chérie. Tu sais, la brume. Tout le monde croyait que le temps se gâtait.

Nous continuâmes sur le chemin. Je marchais de plus en plus vite. Je craignais le pire.

— Lev ! Le téléphérique est fermé !

Lev jeta un œil désintéressé.

— Ah, oui.

— Mais qu'est-ce qu'on va faire ?

Il haussa les épaules, les mains dans les poches de son pantalon.

— Eh bien, je suppose qu'on ne peut pas rentrer à pied, observa Lev d’un ton nonchalant. Ce serait trop fatiguant, et trop dangereux. Je pense que la seule solution, c'est de passer la nuit là. Dans le gîte.

— Hein ? Tu crois qu'on peut rentrer ?

— Étant donné que le patron est toujours le dernier à redescendre, il ne doit pas vraiment fermer. Je parie que la porte est ouverte. Et puis, c'est la règle en montagne. Au cas où des gens seraient en difficulté, comme nous.

Je courus vers le gîte, pleine d'espoir.

— Il est ouvert ! exultai-je, la main sur la poignée de la porte. On est sauvés ! Et il y a tout dedans, même du bois !

Lev m’octroya un sourire conquérant.

— Nous n’étions pas en danger, Fassa. Dans le pire des cas, j’aurais appelé un hélico, fit-il en tapotant du doigt son téléphone. Mais puisqu’on bénéficie d’une si charmante auberge… je vais faire du feu.

Nous passâmes la soirée dans le chalet, juste tous les deux. Nous mangeâmes avec ce qu'il y avait déjà sur place, en utilisant la cuisine. Lev laissa un billet sous la caisse.

Après le repas, Lev me proposa de sortir admirer la lune. Nous nous sommes assis sur un rocher, une vue magnifique s'étalant à la fois sous, et au dessus de nous. Il n’y avait personne à des lieux à la ronde. Nous étions seuls au monde.

Je laissais tomber ma tête sur l’épaule de Lev.

— On devrait attendre que le soleil se lève, proposa-t-il. C'est une belle manière de fêter le nouvel an. C’est comme ça qu’on fait, traditionnellement, au Japon. On appelle hi-machi : l’attente du jour.

Lev était tellement original, tellement cultivé et inattendu… cette expérience étrange qu’il avait du Japon renforçait son côté spirituel et mystérieux.

— Je suis tellement heureuse de t'avoir rencontré, Lev… murmurai-je. Je n'aurais jamais imaginé avoir une aventure avec un homme comme toi.

— Ce qui se passe entre nous, me répondit-il d’une voix profonde, ce n'est pas une aventure...Pas pour moi, en tout cas.

Je passai ma main dans sa nuque, puis caressait ses longs cheveux platine. Cette chevelure… lorsque que je la voyais s’écouler sur le dos musclé de Lev, lorsqu’il sortait de la douche, je regrettais d’être une vierge effrayée par le sexe.

— Ce n'est pas ce que je voulais dire, tu le sais… Non, ce que je voulais exprimer, c'est le fait que je ne pensais pas vivre une histoire aussi belle… Je veux dire, lorsque tu es une gamine de quinze ans, un peu grosse et gothique, tu rêve à plein de trucs, mais tu sais au fond de toi que jamais ils ne réaliseront. Et bien, pour moi, le rêve s'est réalisé… grâce à toi, Lev.

Il me serra contre lui.

— Tu étais en surpoids et gothique à quinze ans ? fit-il d'une voix amusée. J'ai du mal à le croire !

— À quinze ans, j'étais vraiment un vilain petit canard, lui avouai-je. Je n'avais pas confiance en moi, je me cachais sous des oripeaux pas possibles, j'étais pas du tout féminine...Mais au fond, j'étais très fleur bleue. Je rêvais au prince charmant. Seulement, je voyais autour de moi les filles de mon âge ou plus, jolies et naturelles, sortir avec des garçons alors que moi, je restais seule dans mon coin. Je pensais que j'étais laide, nulle, inintéressante...Je me suis retranchée dans mon monde de contes de fées, et dans le metal. J'avais un seul talent : ma voix, et la technique que j'avais accumulée dans la douleur grâce au conservatoire. Dans le milieu un peu marginal des métalleux, des goths et des rôlistes, j'étais louée pour cela, mon imagination, ma personnalité profonde. Ils se fichaient de mon apparence, ils me trouvaient un talent que me déniait ma propre famille. Je me suis lancée corps et âme dans la musique...Et contre toute attente, le groupe a marché. Je me suis mis à vivre de ça...Mais toujours, ma famille, à l'exception de mes parents, me considérait de haut. Je n'avais pas la vie rangée, avec petit fiancé, appartement et boulot de secrétaire en tailleur, que les gens normaux valorisent. Pas de mariage prévu, de bébé en route, rien...Je n'avais même pas de petit copain sérieux. Et puis je t'ai rencontré...Je n'aurais jamais imaginé qu'un type tel que toi puisse exister ailleurs que dans mes rêves, et je n'aurais jamais cru que, s'il existait réellement, il puisse s'intéresser à une fille aussi insignifiante que moi...Et pourtant, ça a été le cas. Maintenant, tout le monde m'envie : je passe pour la fille qui a réussi sa vie au delà des espérances, et qui a trouvé le prince charmant. Je te remercie, Lev. Vraiment.

Je lui en avais trop dit. Me sentant un peu honteuse, je nichai ma tête dans son cou.

Mais Lev avait écouté attentivement mes confidences.

— C'est moi qui te remercie, Fassa, me souffla-t-il. Avant de te rencontrer, j'étais seul. Je ne pense pas être véritablement un prince charmant, mais je fais tout pour l'être à tes yeux, car tu es vraiment une fille hors du commun. C'est le fait que tu sois différente qui te rend précieuse...Tous tes amis le savent, et tes parents également. Quant à ceux qui te critiquent, ils sont juste bêtes et ignorants.

Je n’en croyais pas mes oreilles.

— Tu vois, c'est pour ça que tu es extraordinaire, Lev ! Tu comprends tout ce que je veux te dire, ce que je ressens, mes rêves, mes espoirs, tout...Et pourtant, tu as une vie tellement différente de la mienne ! Avec toi, j'ai l'impression d'être une reine, la personne la plus importante du monde.

Il me serra plus étroitement contre lui.

— Tu l'es à mes yeux, en tout cas.

Le jour commençait à se lever. Je le voyais à la ligne claire derrière les crêtes de la chaine de montagnes d'en face. Nous avions passé la nuit à discuter… et nous étions là, à contempler le premier soleil de l’année se lever.

Soudain, Lev me prit la main.

— Fassa, moi aussi je voudrais te dire quelque chose.

Je sentis mon cœur battre plus fort. Qu’allait-il me révéler ? Je savais qu’il me cachait encore des choses. Lev était si mystérieux ! J’avais tant, encore, à découvrir de lui.

— Je t'aime, asséna-t-il. Je suis vraiment amoureux de toi.

Je ne savais pas quoi dire. C’était trop beau pour être vrai.

— Tu m'écoute, Fassa ?

— Oui.

Lev avait presque l’air inquiet.

— Je veux que tu sois toujours auprès de moi, lui dis-je en la serrant un peu plus. Je veux que tu sois ma femme. Est-ce que tu veux bien m'épouser, Fassa ?

Un léger silence s'ensuivit. C'est vrai que faire une telle demande au bout de quelques mois, c'est bizarre, mais...Je savais que la durée ne changerait rien.

— Oui, répondit-je. Je veux bien t'épouser, Lev.

Son sourire était plus lumineux que le soleil. Il prit doucement ma main, et y enfila la bague qu’il avait tenu tout ce temps cachée dans sa poche. C’était un solitaire énorme, le plus beau – et le plus gros – diamant que je n’avais jamais vu de ma vie.

— Que notre amour soit comme ce diamant : pur comme le cristal, et dur comme l’éternité.

C’était si beau que je ne pus empêcher mes larmes de couler sur mes joues. Lorsque Lev les pris sur ses doigts, avec le soleil de la nouvelle année qui reflétait dedans, on aurait dit des petits diamants.

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