La Lettre

de Image de profil de ranulfranulf

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Cela faisait des années qu’elle était coincée entre un vieux livre de cuisine et un dico écorné. Des années qu’aucune de ces pages n’avait été tournée, qu’aucun de ces mots n’avait enflammé quiconque…

C’est simplement en passant le plumeau bleu sur les vieux livres à l’odeur de cuir et de vieux papier que les  petites feuilles  voletèrent vers le sol carrelé. Intriguée, Annie se pencha et les ramassa. On pouvait encore deviner les traces de pliure. Il s’agissait de huit pages de cahier d’écolier jaunies, huit pages à gros carreaux bleus et blancs…Le papier craquait encore et les mots s’alignaient à l’encre violette. Annie pouvait même deviner à regarder ses pleins et ses déliés, ses majuscules soigneusement penchés, le petit bout de langue dépassant entre les lèvres et tout le soin apporté à la rédaction…

Il y avait une date juste à gauche sur la première page : Premier Octobre 1918 Annie ne s’était même pas assise. En tremblant, elle déchiffra ces mots d’ici, mais d’un autre temps. Tout l’amour d’un enfant pour son papa, toute la dureté de l’absence y était exprimée avec les mots de l’enfance. Il n’y avait pas un mot sur la Patrie, mais tout un amour et un désespoir qui suintait dans la lettre, tout un désert de solitude. L’enfant y parlait de sa mère, de son petit frère, des jours qui passaient. Elle finit la lettre étouffant dans les sanglots. En bas, il y avait ces quelques mots : pour mon papa Mathias, sa fille Anaïse qui l’aime…

En tremblant, Annie replia soigneusement la lettre et gagna à petit pas le cimetière du village. Mathias, oui son arrière-grand-père, il en était revenu de la grande boucherie. Elle se souvenait encore de lui de sa grosse moustache qui le piquait quand elle l’embrassait et de ses pleurs qu’elle avait surpris un soir alors qu’il disait à son papa à elle : «  Comme elle lui ressemble, fais attention mon gars, hein ? ».

Elle gagna la pierre tombale verdie par le temps…. Mathias Lebrun 1885-1969, Sophie Lebrun, sa femme 1890-1958, et en dessous en plus petit Anaïse Lebrun 1907-1918. Elle comprit…Le poilu n’était pas rentré dans la joie. Sa petite fille était morte avant lui. La peur  ou la terrible grippe espagnole ?

Annie n’avait pas envie de savoir.

Juste de murmurer..

— Soyez heureux, je vais bien et j'ai de beaux enfants.


ChroniqueHistorique Première Guerre Mondiale
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La LettreChapitre5 messages | 8 ans

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