LXXV. L'Empathique

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Avec un hoquet de surprise qu'elle ne parvint pas à contenir, Saylin bondit en arrière et s'écarta du piédestal. A peine ses pieds eurent-ils touché le sol que Maëross se tournait vers elle et souriait, l'air dément, avant de disparaître dans le tourbillon d'émotions et de pensées qui envahissait son souvenir. Encore une fois, mais sans y prêter la moindre attention, Saylin se sentit ballottée, puis ramenée à l'esprit du Chaos. 

De retour sur les chemins du souvenir, elle balaya le paysage de son regard inondé de larmes. Plus rien n'avait d'intérêt ici. Rien n'en avait jamais eu. Elle avait trouvé la clé qu'elle cherchait. Une clé qu'elle avait toujours porté dans sa poitrine, dans son âme, dans son être entier. Et désormais, elle connaissait la porte. Connais ton ennemi, avait-elle souvent entendu de la bouche de combattants. Mais personne ne lui avait jamais conseillé de se connaître elle-même. Mais aujourd'hui, cette époque de mystères et de non-dits touchait à sa fin. Elle savait. Elle savait qui elle était. Elle savait ce qu'elle pouvait, devait faire. Elle savait pourquoi le faire. Cette errance dans l'esprit de son ennemi lui avait montré la voie vers sa propre existence. Vers sa propre solution. Le Chaos ne pouvait rien. Il avait été son pire ennemi comme son meilleur allié. 

Avec un sourire, qu'elle dédia à Maya, la Siffleuse s'accroupit au sol et, par une simple impulsion de sa volonté, s’éjecta de l'esprit du Chaos, et de l'âme de Maëross. Aucun tourment ne se plaça à travers son chemin, les barrières de Mal s'effritèrent comme de la poussière tandis qu'elle les transperçait. 

Elle était le Bien. Celle capable de tenir tête au Chaos. Celle que le Mal n'atteignait pas. Celle qui, durant des années, avait affronté les signes les plus infimes de corruption par cette entité malveillante, sans broncher. Celle qui, sur un coup de tête, s'était embarquée pour une quête de justice. Celle qui, sans le savoir, avait voyagé aux côtés des plus grands mages de son ère. Celle qui, alors que tout ce qui avait été touchait à sa fin, trouvait la puissance d'inverser le cours des choses. Celle qui, sans jamais porter la main sur autrui, s'apprêtait à défaire l'être le plus puissant qui ait foulé cette terre.

Insensible au Mal, un choc de titans approchait. Elle était le Bien.

Quand Saylin rouvrit les yeux, la lueur fébrile de la matinée lui parut étinceler comme le Temple d'Aïa, malgré la poussière grisâtre qui engloutissait le ciel, les cendres brûlantes qui tapissaient le sol, lui conférant un aspect sombre et morne. Les geysers de lave qu'avaient formé les trois combattants poursuivaient leurs crachats de fumée étouffantes. C'est pourtant avec le plus radieux des sourires que Saylin accueillit ce paysage macabre. Leur monde existait encore. Une lueur d'espoir brillait toujours au fond du tunnel où ils s'étaient plongés. 

Avec une vivacité nouvelle, la Siffleuse se redressa et chercha du regard ses amis. A une dizaine de mètres, une large silhouette blanche reposait au sol, le flanc animé de sursaut au rythme de ses halètements. Aucune trace du Chaos ou d'Arse. Sans hésitation, elle se précipita vers le loup, dont la fourrure, parsemée de sang, affichait de nombreuses traces de blessure. Lentement, Feorl releva sa lourde tête vers elle, la distingua du coin de son œil glacé, puis retomba en un choc sourd au sol. Accaparée par la douleur de son ami, Saylin se concentra sur l'énergie inépuisable qui la faisait vivre désormais, et, par une simple main dans sa fourrure de neige, la transmit au Gardien. Le don était puissant, riche et important, mais la jeune fille se s'en sentit pas épuisée. La source d'énergie qui tourbillonnait au creux de son ventre ne cessait de s'activer, intarissable. 

Sitôt sa tâche terminée, Saylin s’écarta de son ami pour le laisser se relever et parcourut encore une fois le Cratère de Cendre de ses yeux aiguisés. 

" Où sont-ils ? murmura-t-elle à Feorl."

Pour l'une des premières fois de sa vie, sa voix ne tremblait pas de l'indiscernable nuance de doute et de manque de confiance en elle. Elle était fière d'être ce qu'elle était, et résignée à le dévoiler au monde. 

Feorl se s'y trompa pas et agita les oreilles avec étonnement. 

" Tu n'as plus besoin de me protéger Feorl. C'est à moi d'agir, mais j'ai besoin du Chaos. Mène-moi jusqu'à lui."

Avec un semblant de hochement de tête, Feorl bondit sur ses pattes, à nouveau vif et frais. Du sang suintait encore de ses flancs percés de coups, mais plus aucune douleur ne tambourinait son esprit. 

D'un geste fluide, il saisit le col de la cape de Saylin entre ses crocs et la hissa sur son dos. Puis, sans plus de tergiversations, il s'élança dans une direction, dans un couloir de geysers de flammes, signes du passage des deux guerriers. 

Au fur et à mesure que le galop de Feorl accélérait, Saylin se surprenait à entendre des exclamations, des bruits de coups, de magie, de poussière. Enfin, au détour d'une colonne de lave, elle aperçut la torche humain qu'était devenu Arse. Les flammes ardentes qui l’auréolaient se teintaient d'un rouge sombre, sanglant. Chacune de ses frappes vers l'homme en toge trahissait son désespoir. Ce dernier, lui, poursuivait son manège, sans signe apparent de fatigue ou de douleur. Un sourire malsain habitait ses lèvres tandis qu'il envoyait ses rayons violets vers la poitrine d'Arse. Celui-ci esquiva sans difficulté, s'approcha d'un bond de la tête de l'Immaculé mais finit par taillader l'air d'un coup de griffes. A une vitesse ahurissante, Maëross s'était dégagé de la portée du lézard. Depuis combien de temps durait ce combat ? Depuis combien de temps le Calciné résistait-il aux assauts du Chaos ? 

A quelques mètres de son ennemi, focalisé sur Arse, Saylin sauta de sa monture. Le seul bruit de ses pieds bottés sur la cendre attira l'attention des deux combattants vers elle. Tandis qu'une expression jubilante se dessinait sur le visage du Chaos, Arse hurla à plein poumons :

" Pars ! Reste en vie ! Je vais m'en sortir, pars !"

La Siffleuse haussa à peine les sourcils puis se concentra sur le Chaos. D'un visage austère et froid comme le marbre, elle répliqua en silence à la joie de Maëross. Comme si, sans paroles, les liens s'étaient faits dans la tête du Chaos, il perdit son sourire et planta son regard d'émeraude dans le sien. 

" Je ne mourrai pas Arse. Pas plus que toi. C'est fini, Maëross. Je sais qui je suis. Je sais qui tu es. Et je sais que tu ne peux rien contre moi désormais. Ta malveillance ne m'atteint pas. Ton règne sanglant touche à sa fin, Chaos. Rend leur liberté à l'Immaculé et Kazroka, ou bien j'irai les chercher moi-même. 

— Ah oui ? Il me semble que tu n'as pas tout compris, gamine. Je suis l'être le plus puissant des Cinq anneaux, qu'espères-tu me faire ? je suis immortel, bon sang ! Ne saisirez-vous donc jamais ? 

— Cessez ce jeu puéril. Il ne vous couvre que de ridicule. Je ne suis pas dupe. Je suis Maîtresse des Vents. Représentante d'Ozen sur cette terre. Porteuse de la sagesse du monde. Manipulatrice d'esprits. Je suis compassion et compréhension. Je suis l'Empathique."

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