XLVIII. Rouge sang d'antan

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C'est le cœur plus léger que jamais que la troupe, désormais au complet, se dirigea vers la grotte à quelques centaines de mètres. La pénombre se faisait de plus en plus envahissante, la chaleur plus ténue, comme si un voile de ténèbres pesante s'était déposé sur la Cratère de Cendre. L'air était enfin respirable, bien que les volcans continuassent de cracher leurs gerbes de fumée.  La fin de journée rendait ce pays légèrement plus vivable, et cela importait beaucoup aux yeux des étrangers qui composaient l'alliance. Les dernières heures avait été épuisantes et arides, ce répit accordé par la lande n'était que trop mérité. 

En tête de la file, Riast Langue-de-Roche, à nouveau monté sur son scorpion, entretenait une discussion pleine de sagesse avec la fougueuse Tilaë. Le second Uracus, qui n'accueillait plus d'individu sur son dos, avançait docilement aux côtés de ces deux personnages exubérants et aussi différents que le jour et la nuit. Arse n'avait pas récupéré sa monture, désireux de retourner auprès de ses amis et las de la compagnie du vieillard. Maya s'était enchantée de cette décision et marchait désormais en sa compagnie, un sourire radieux sur son charmant visage. Derrière eux, Feorl faisait l'inventaire de ses plaisanteries à Saylin, qui ne l'écoutait pas le moins du monde, plus que furieuse. Les centaines d'Istiols suivaient paisiblement le mouvement, plus joyeux qu’à l'ordinaire mais surtout curieux de découvrir les entrailles de ce "bastion" si mystérieux. 

" Comment étais-tu avant ? demanda Maya d'une voix fluette, alors que toute son attention reposait sur la contemplation des écailles vertes du vieux dirigeant. 

— Avant ? Avant quoi ? s'étonna Arse. 

— Avant de plonger dans la lave."

Maya avait beaucoup entendu parler, durant son enfance dans la cité d'Aïane, des mythes autour des Calcinés, et particulièrement de leur ultime épreuve. Jamais elle n'avait osé en parler à son ami, de peur de remuer de douloureuses pensées,  mais elle jugeait désormais le moment opportun. 

" Ah..."

Brusquement, l'humeur d'Arse sembla chuter tandis une myriade de souvenirs envahissaient à nouveau son esprit. 

" Rouges. Rouge de sang. A la lueur des flammes, elles devenaient rubis, me disait ma mère...

— J'aurais aimé les voir, cela doit être magnifique... 

— Je suis sûr que certains dans la grotte en arborent ne t'en fais pas, sourit Arse. 

— Et tes yeux ? Ont-ils toujours été ainsi ? 

— Non, loin de là. Ils ont brûlés, comme mon corps... J'aurais dû mourir, mais la lave en a voulu autrement... Enfin, je crois. 

— C'est formidable, ils sont uniques au monde. Personne d'autre que toi ne peut se vanter de faire danser les flammes par son simple regard. 

— Ta vison des choses les rend sans doute formidables, mais tu n'imagines pas la douleur que ça a été. Comme si... comme si quelqu'un t'arrachait les yeux avant de les remettre, mais dans une position différente. Une position qui change tout ce dont tu étais certain...

— Que veux-tu dire ? 

— Qu'il ne voit plus comme un lézard, s'interposa Saylin qui avait suivi d'une oreille la conversation. Il voit comme le feu, comme la lave. Comme un élément vif et puissant mais également colérique et destructeur. 

— Qu'insinues-tu ? l'interrogea Arse, déstabilisé.

— Je pense que lors de ce "rituel" où tu as perdu ta couleur, tu as également perdu une partie de ce qui fait de toi un lézard. En bien ou en mal, je ne sais pas, cela dépend de ta vision des choses.

— C'est vrai ? souffla Maya à Saylin. 

— Ce n'est pas à moi de te le dire, seul lui sait si je dis la vérité."

La Reflétée reporta son attention sur Arse, désormais le regard dans le vague, perdu et incertain. Il balaya le paysage de ses yeux de feu, cette lande qui l'avait vu naître, grandir, devenir un Calciné, perdre sa couleur et sa vision d'antan. Il chérissait profondément cet endroit, autant qu'il aimait son peuple et son mode de vie, mais refusait de perdre ce lien avec son pays, avec ses origines. 

" Non... Je n'ai rien perdu lors de ce rituel. Je suis devenu celui que je devais être, avec ou sans prunelles de feu. J'ai gagné lors de ma rencontre avec la lave. Je ne me suis pas éloigné de mon peuple, je m'en suis rapproché. Le feu est son élément, et je suis devenu le feu. J'ai maintenant deux raisons d'aider ce peuple dont je suis si proche, dont je fais partie. Ma vision de lézard n'est-elle pas un maigre sacrifice contre les pouvoirs dont je dispose ?"

Avec une moue appréciative, Saylin hocha la tête. Toute bribe de fureur s'était envolée et ne laissait derrière elle que ce sentiment d'amitié presque fraternelle, indéfectible. Arse lui rendit son sourire avant de désigner du bout du menton l'entrée gigantesque de la caverne à quelques pas. 

Ébahie par la hauteur inouïe de l'édifice, qu'elle n'avait aperçu que de loin, Maya ne trouva aucun mot pour qualifier ce qu'elle ressentait. Elle n'était rien face à cette arche de pierre immortelle. Un insecte qui grouillait à son pied tout au plus. Il lui était difficile de croire que de telles merveilles de la nature avaient pu être détruites par une mystérieuse arme en que quelques instants. Les gnomes étaient-ils donc si puissants ? Leurs automates étaient-ils capables d'ébranler ces structures millénaires ? Tant de questions tourbillonnaient dans son esprit, tant de questions dont elle craignait de déjà connaître les réponses. 

Le marché était terminé depuis quelques instants, dès la nuit tombée, et plus personne ne rôdait maintenant devant l'entrée. Poussée par la curiosité, avant de rentrer dans la caverne, Maya jeta un coup d’œil au loin, vers les brumes qu'ils avaient quitté il y a quelques jours. Tant de choses s'étaient passées depuis, qu'elle avait l’impression d'être sur cette terre depuis des mois. Malgré la distance, elle repéra les étranges volutes de vapeurs et sourit alors qu'elle distinguait ce qu'elle cherchait. Intrigué par la soudaine immobilité de son amie, Arse se tourna vers elle et remarqua la multitude de lueurs qui parcouraient ses prunelles. Trop ému pour prononcer le moindre mot, il se contenta de contempler avec mélancolie les yeux pleins d'étoile de la Reflétée. 

Lorsque tous leurs compagnons furent entrés dans la caverne, Arse saisit délicatement Maya par le bras et l'entraîna à l'intérieur à son tour. Encore une fois, passant de merveilles en merveilles, la jeune fille ne trouva pas ses mots. Ce n'était pas cette fois l'architecture ou la taille de l'édifice qui l’impressionnait, mais plutôt son agitation. Malgré la roche stérile qui la composait, la grotte regorgeait de vie. Partout, des lézards parlaient, jouaient, s'affairaient en une harmonie parfaite. Jamais Maya n'avait vu une organisation aussi chaotique et pourtant pleine de tranquillité. Chez elle, l'originalité était rare, chacun respectait des codes stricts mais justes, suivait les règles établies sans en déroger une unique fois. Ici, tous se démarquaient des autres, par leurs vêtement, leurs couleurs, leur travail et même leur manière de parler. Au milieu de cette masse grouillante de reptile, elle se sentait bien, libre d'être qui elle voulait, qui elle était. 

Arse l'emmena au troisième palier, à la suite des Istiols et de leurs compagnons, déjà loin devant. Devant le corridor qui menait au bureau de Riast, un lézard d'un violet sombre montait paisiblement la garde. 

" Qui êtes-vous ? Le Calciné et ? Je ne suis pas sûr de pouvoir vous laissez entrer mademoiselle.  

— Elle est avec moi, ne vous inquiétez pas. 

— Bien sûr que vous pouvez me laisser entrer ! ajouta Maya. Il est le Feu, je suis l'Eau, cela ne suffit pas ?"

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