XLIII. Méfiance

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A la suite des quelques phrases d'Arse, les yeux glacés du guerrier n'avaient cessé de contempler le petit groupe avec hésitation. Malgré toute la sincérité qui s'émanait du prétendu Calciné, le lézard ne parvenait pas à le croire. Cela impliquait trop de changements et de bouleversements. Pourtant, commençait à poindre en son esprit une note d'espoir, futile et volage mais bien réelle. Si cet être, qui ressemblait comme deux gouttes d'eau aux guerrier brûlés disparus depuis quelques semaines, alors le peuple lézard pourrait à nouveau se vanter de gagner la guerre.

Au loin, le groupe de petites créatures verdâtres et habillées de feuilles ne bougeaient pas d'un poil. Le bleu reporta son attention sur les deux jeunes filles et l'étrange animal qui accompagnaient ce revenant. Les premières, mains levées comme leur compagnon, n'avaient pas prononcés un mot. Néanmoins, il sentait le regard pénétrant de celle enrobée de violet le scruter dans ses plus infimes détails. Bien qu'il n'osât pas lui rendre ce coup d’œil, cette présence le mettait très mal à l'aise, comme un poids sur ses épaules qu'il ne pouvait enlever. La seconde, à l'air plus aimable et naturel, guettait la moindre réaction de sa part, son visage doux penché sur le côté. Une tâche indigo, en forme de cercle parfait, ornait l’entièreté de son visage mais ne masquait en aucun cas sa beauté. Jamais il n'avait vu d'êtres aussi étrange. Elles ressemblaient à des gnomes, mais leur peau était de marbre et leur corps bien plus élancés. Pour cacher le désarroi provoqué par les deux jeunes filles, il se tourna vers l'immense bête à l’apparence placide et amicale qui fouillait le sol de poussière du bout de son museau. Il ne voyait pas ses yeux, dissimulés par une épaisse tignasse noire qui, depuis le sommet de son crâne, redescendait vers le haut du dos. Dans quelle situation farfelue s'était-il encore fourré ? 

Amusé par les quelques exclamations de surprise étouffées dans la bouche de l'habitant du bastion, Arse décida de mettre fin à ce silence pesant :

" Comment vous appelez-vous ? demanda-t-il, le plus décontracté possible."

Immédiatement sorti de ses pensées, le lézard tourna son pieu vers la gorge du Calciné, une expression méfiante sur son visage scintillant. 

" Thysil, répliqua-t-il finalement d'un ton sec. 

— Enchanté Thysil. Je suis Arse le Sombre Écaille, de feue la grotte de Courberoche comme je te l'ai dit. Que dirais-tu Thysil de nous emmener vers ta caverne, le dernier bastion de notre peuple ? 

— Je ne suis pas un enfant alors arrêtez de me parler sur ce ton lézardeau ! cracha Thysil. Qui sont ces bestioles vertes là-bas ? Des bouffons ? Si vous croyez que nous envoyer de l'aide encore plus misérable que les gnomes nous sera d'un quelconque secours..."

Alors que, derrière lui, le cheval tapait furieusement du sabot, Arse s'empressa de clarifier la situation :

" Ces bestioles vertes comme tu... vous les appelez sont des Istiols, capables de changer de forme et de se métamorphoser en animaux. Notre camarde équin ici présent est d'ailleurs l'un des plus puissants Istiols. Ils sont ici pour vous aider, alors acceptez cette main qu'ils vous tendent, vous ne le regretterez pas."

A ces mots qui sonnèrent comme une autorisation de la part du Calciné, Feorl reprit délicatement sa forme de petit homme vêtu de feuilles aux tresses emmêlées. Avec un juron, Thylis sauta en arrière et plaqua sa lance contre le torse du nouvel arrivant. 

" Qui êtes-vous ? articula-t-il en marquant chaque syllabe. 

— Moi ? On n'est pas tombé sur le plus futé dites-moi... Je suis un Istiol, un changeur de forme vous vous rappelez ? J'étais le cheval, et maintenant je suis moi, expliqua Feorl comme il l'aurait fait avec un enfant en bas âge."

Agacé, le lézard bleu lui envoya d'une frappe habile la hampe de son arme dans le ventre. Le souffle coupé, Feorl recula de quelques pas, surpris par la puissance du coup.

" On arrête de jouer maintenant. D'où sortez-vous cette créature et cette armée ? Et cessez immédiatement de me prendre pour un idiot ou vous oublierez toute chance d'entrer dans la caverne. 

— Je comprends votre désarroi, s'interposa Saylin d'un ton ferme. Nous sommes des étrangers venus des anneaux de terre au-dessus du vôtre. Cela peut paraître difficile à croire et j'en ai conscience mais si nous sommes venus jusqu’ici, c'est pour un objectif bien précis : mettre un point final à la guerre qui déchire votre continent et vous extermine à petit feu, pas pour converser à l'entrée d'une caverne. L'avenir de toute chose repose sur la survie de votre peuple. Si vous refusez notre aide, c'est le monde que vous condamnez, toute forme de vie autour, en dessous et au dessus de vous. Nul ne sait quand viendra la prochaine offensive gnome mais une chose est sûre : vous en serez la cible. Depuis combien de jours, de mois, d'années, de siècles, dure ce conflit, je n'en ai pas idée mais la fin est proche. Ce cataclysme fratricide trouvera sa chute, bientôt.... Bientôt, nous serons fixés quant à l'avenir de notre univers."

Aussi vite qu'elle s'était immiscée dans la discussion, Saylin cessa sa tirade, comme brusquement éteinte. Elle avait dit ce qu'elle avait à dire, rien de plus. La jeune fille haïssait le superflu et s’efforçait de l'effacer de ses propos. Avec un sourire enjoué devant l'expression déconfite de Thylis, Arse poursuivit :

" Bien, merci Saylin. Je crois que tout est clair. La décision est bien évidemment vôtre, mais au moins maintenant avez-vous conscience des enjeux. J'ai dû traverser par deux fois les brumes interdites ainsi que plusieurs pays pour venir jusqu'ici alors, croyez-moi, je ne suis pas ici pour une promenade de santé. Donc ?"

Tiraillé, Thylis se prit de passion pour ses pieds alors que les paroles du Calciné résonnait dans son esprit. 

" Comment m'assurer des bonnes intentions de la totalité de votre groupe ? L'un pourrait être un traître ? souffla-t-il finalement.

— Un habitant de votre caverne le pourrait tout autant. Bon, écoutez. Vous m'avez l'air d'être un brave guerrier et je comprends totalement votre méfiance mais ces négociations insensées et infinies commencent à me prendre la tête. Avec ou sans vous, nous nous attaquerons aux gnomes, mais nous ne pourrons pas vous protéger si nous sommes au cœur de leur territoire. De plus, votre maniement des armes m'a impressionné et je suis persuadé qu'il serait utile pour notre rébellion. Avez-vous un chef de caverne ? Si oui, je préférerai continuer à discuter avec lui, à l'abri. Je ne sais comment vous l'expliquer de manière plus nette, mais je voue une profonde haine à notre ennemi et désire ardemment me venger, quel qu'en soit le prix. 

— Très bien, très bien, calmez-vous. Venez avec moi, seulement vous. Je refuse de faire entrer votre armée dans cette grotte, c'est trop dangereux.

— Marché conclu, acquiesça Arse."

Puis, en se retournant vers ses camardes, il reprit :

" Allez prévenir les autres. Je vous rejoins et vous fais entrer dès que je peux, promis."

Tous hochèrent la tête d'un accord tacite. Alors que Feorl reprenait son apparence de cheval, il articula d'un ton railleur au guerrier bleu :

" Un groupe, pas une armée. Vous allez vexer notre cher Calciné."

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