XLI. Réunis

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Lassée du bruit grinçant de ses pas sur la poussière sèche, Maya s'efforça de détourner son attention. Son regard s’égara vers le ciel, toujours gris de fumées. Leur odeur âcre s'attaqua sauvagement à ses narines avant de descendre vers sa gorge. Saisie d'une toux sèche et douloureuse, la Reflétée renonça à se changer les idées et fit mine d'oublier les fumées. Tel des marionnettes, ses yeux se fichèrent à nouveau droit devant elle, où rien n'était particulièrement merveilleux à contempler.

Peu à peu, leur compagnie quittait le vallon, dans la direction de la présumée grotte trouvée par Feorl. Maya craignait ce qu'ils allaient y trouver. Entre les brumes interdites et l'Uracus, ils avaient pris beaucoup de retard. Les habitants de la caverne ne seraient-ils pas déjà tous morts ? Feorl avait assuré avoir aperçu un fourmillement d'activité, mais de gnomes ou de lézards ? Cette pensée lui donna un haut-le-cœur. A peine quelques mètres devant elle, Arse avançait fièrement, l'air décidé. Bien qu'elle ne lui partageât pas ses craintes, de peur de faire resurgir les fantômes qui le hantaient, la jeune magicienne redoutait leur arrivée en vue de la grotte. Son ami résisterait-il à la vue de de son peuple décimé jusqu'au dernier ? La question se répercutait dans son esprit sans qu'elle ne parvienne à lui trouver une réponse optimiste. De toute façon, si son peuple disparaissait, le monde tel qu'elle le connaissait s'en irait avec lui. Arse ne pourrait former aucun futur Calciné et, à sa propre mort, sa déesse cesserait de vivre. S'en suivrait la fin de l'équilibre qui avait jusqu'ici régit les quatre anneaux. Ces terres deviendraient celles du Chaos. Peu importe la réaction d'Arse, la durée sa vie retarderait seulement l’inévitable.

Soudain, un immense fracas déchira l'atmosphère pesante du Cratère de Cendre. Maya sursauta, imitée par la grande majorité du groupe, excepté Arse.

"Ce n'est qu'un volcan, murmura-t-il, amusé par la surprise de son amie."

Alors que celle-ci tâchait de contrôler les battements de son cœur emballé, elle parvint à articuler entre deux hoquets :

" C'est la première fois qu'ils sont aussi puissants...Décidément, je ne m'habituerai jamais à ton étrange foyer...

— Tu as raison, celui-ci semblait venir de l'autre côté de l'anneau et pourtant... Je n'en ai jamais entendu d'aussi retentissant. Tu finiras par t'y faire, tu sais. Oublie ce qui te dérange, concentre-toi sur ce qui te fascine...

— Facile à dire... grommela Maya, agacée par l'air rêveur de son ami, habituellement terre à terre. Tu ne vas pas te mettre toi aussi à parler en énigmes..."

Devant la moue boudeuse de la Reflétée, le lézard ne put se retenir d'éclater de rire.

" Saylin et Feorl doivent déteindre sur moi ! s’exclama-t-il. Tu as sans doute raison, je vais leur laisser ce rôle qui leur va à merveille !

— Je ne te permets pas ! répliqua Feorl, qui n'avait suivi que d'une de ses oreilles pointues la conversation. Si Saylin était là, elle vous enverrait un ouragan dans la face, histoire de fermer vos lèvres trop audacieuses !"

Alors qu'Arse s’apprêtait à répliquer, Tilaë s'interposa dans leur petit cercle. Un immense sourire barra immédiatement le visage de Feorl, apparemment une plaisanterie sur le bout de la langue. Avant même qu'il n'ouvre la bouche, elle lui décocha un regard si noir qu'il ne parvint qu'à baisser les yeux. Tandis qu'elle remettait distraitement une de ses tresses en place dans son chignon, l'Istiole souffla froidement, furieuse de ce qu'elle faisait :

" Saylin s'est réveillée... Je déteste jouer à l'oiseau voyageur comme cela alors ne comptez pas sur moi pour quoi que ce soit."

Au moment où Arse et Maya allait la remercier, la Gardienne partit en trombe vers l'arrière de la colonne sans leur prêter la moindre attention. Penauds, les deux amis jetèrent une œillade intriguée à leur camarade Passager.

" Quand on parle du loup ! Vous n'avez plus aucun espoir maintenant, l'ouragan arrive ! s'écria celui-ci, sans comprendre. "

Puis, remarquant brusquement l'expression de deux adolescents, il se reprit et ajouta :

" Ah, ne faites pas attention, c'est un petit jeu entre nous... Et disons qu'elle déteste perdre, finit-il en ricanant."

Épuisés, Arse et Maya renoncèrent à tenter de comprendre les étranges pratiques des Istiols et, sans ajouter un mot, s'en furent en direction de l'arrière de leur groupe. En haussant les sourcils, encore plus perdu qu'eux, Feorl leur emboîta le pas.

Au bout de quelques minutes, ils croisèrent Saylin, fièrement juchée sur Sangaë, qui les toisait, un sourire ravi aux lèvres. Sans un mot, elle glissa la long du pelage ambré et atterrit maladroitement au sol. Elle n'avait pas besoin de parler pour ressentir le soulagement de ses amis. Leur joie était presque palpable, leur bonheur scintillait au creux de leurs prunelles. Avec un bref hochement de tête, Maya s'exclama :

" Bienvenue parmi nous ! Ça fait plaisir de te voir debout

— Revenue d'entre les morts, voilà ce que tu es, renchérit Feorl."

Le Gardien n'était pas doué pour exprimer purement et simplement ses sentiments, Saylin reçut donc la boutade comme témoin de son allégresse. Sans une parole, le Calciné s'approcha d'elle, lui posa doucement sa main sur l'épaule et planta son regard de braise dans le sien, si plein, si bleu, si attirant. Puis, sans plus de bruit, il se détourna et repartit, conscient qu'elle avait vu en lui le moindre de ses sentiments. Ses trois compagnons le suivirent à nouveau, un sentiment de plénitude au fond du cœur. Ils étaient encore une fois réunis, et le seraient jusqu'à la fin.

De retour à l'avant de la file d'Istiols, ils distinguèrent enfin "la dernière caverne du peuple lézard". Le peuple d'Arse n'avait pas pour habitude de nommer les lieux, si bien que toutes les cavernes n'étaient reconnues que par leur position. Au loin, sur le flanc d'un gigantesque volcan, dont les pierres noires semblaient aiguisées comme des rasoirs, étaient creusée une majestueuse grotte. Seule l'entrée était visible de leur emplacement mais sa taille laissait suggérer une centaine de boyaux secondaires, au sein de la montagne. L'immense alcôve avait été fondée au fil des éruptions et des vents, qui taillèrent peu à peu un tel édifice. La Nature pure se reflétait dans la roche. Les bords de pierre irréguliers et tranchants témoignaient de ce hasard naturel. Au bas de cette caverne, plusieurs dizaines d'êtres vaquaient paisiblement à leurs occupations, comme si aucune menace de destruction ne planait au dessus d'eux. Certains s'approchaient sans crainte des immenses coulées de lave qui rôdaient aux alentours de la grotte. Bien qu'ils fussent loin, Arse ne peina pas une seconde à reconnaître ses congénères. Ils étaient encore en vie... Brusquement envahi d'une nouvelle vague de soulagement, un rayonnant sourire inonda son visage. Tout n'était pas perdu.

Maya, subjuguée par tant de calme en temps de guerre ne parvint pas à articuler le moindre mot. Trépignant sur place, rassurée pour son ami et pour le monde entier, elle finit cependant par s'écrier, son entière joie lovée au fond de sa voix :

" Qu'attendons-nous ? Allons-y !"

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