XXXIII. Siffleuse ?

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Saylin, les yeux clos, était assise en tailleur sur la terre brûlante où elle avait atterri. Elle sentait la brume l'entourer, l'enlacer puis se dégager en une valse paisible. Autour de sa bulle de sérénité, elle percevait les battements de cœur précipités de ses compagnons, effrayés par cet environnement. Elle entendait le bruit crissant de leur pas sur l'épaisse couche de poussière. Elle devinait les mouvements hystériques de leur bras, se dirigeant à tâtons dans ce labyrinthe éthéré. Et pourtant, elle ne levait pas le petit doigt pour les rejoindre... Ses deux mains étaient serrées autour de la fine écorce de son bâton, qu'elle avait déposé sur ses cuisses. Avant de se mettre en action, elle observait. Il n'y avait aucune utilité à errer dans cette incertitude qui ne lui renverrait que le reflet de sa propre solitude. Non, elle ne voulait pas tomber dans ce piège. La chaleur était tellement insoutenable sur cette terre que le Rideau devenait vapeur à son approche. Dans un élan de sérénité, un mince son franchit la barrière de ses lèvres et se répandit dans le brouillard. Un sifflement doux et fluctuant, hypnotisant et attirant.

Errant dans cette brume épaisse, il entendit son appel. Un appel puissant et résolu. Il ne l'avait jamais ouï auparavant. Personne ne l'avait jamais demandé d'aussi belle façon. Un étrange accent, inconnu, mais dont le mystère le rendait terriblement séduisant. Après quelques instants d'hésitation, il s'élança, poussé par sa curiosité. Léger, il virevolta entre les vapeurs, frôla quelques âmes perdues sans leur prêter la moindre attention et se dirigea vers son enchanteur. Plus il s'en approchait, plus la beauté du sifflement le troublait. Personne ne pouvait manier la langue qui était la sienne d'une manière aussi charmante. Depuis le temps qu'il attendait quelqu'un digne de lui... Tous ses espoirs reposaient maintenant en la source de ce délicieux appel. Guidé par une force d'une puissance inouïe, il se laissa porter. Puis il sut. Au fond de lui, il comprit qu'il l'avait trouvée. Sans yeux pour la voir, d'oreilles pour l'entendre ou de bouches pour lui parler, il savait. Elle était là, autour, en face, à l'intérieur de lui. De sa présence se dégageait une aura de pouvoir incommensurable, inimaginable pour qui ne la percevrait pas. Elle aussi savait. Elle avait compris qu'il était là mais qu'il refusait de lui répondre. Il voulait passer le reste de l'éternité à entendre ce magnifique langage qui émergeait de sa bouche.

Un fin sourire barra le visage de Saylin. Le Vent de cette terre était bien différent de celui de son pays natal. Mystérieux, seul, mais ébloui par ce chant. Avait-il seulement une fois perçut l'ouvrage d'un Siffleur ? Cependant, les priorités reprirent bientôt leur place dans l'esprit de la jeune fille. Elle ne pouvait se permettre de passer l'éternité à siffler pour le bon plaisir de ce Vent, bien qu'il soit proche de son ami de toujours. Elle percevait la peine qui le rongeait, mais également la sérénité que lui apportait son chant. Doucement pour ne pas l'effrayer, elle modula son appel, le fit plus intimidant, autoritaire. Un halo de charisme pur l'entourait alors que son sifflement devenait légèrement rauque et guttural, presque effrayant. Le Vent se déroba, virevolta autour d'elle sans l'écouter. Il refusait de lui obéir. Qui qu'elle soit, elle n'avait aucun droit sur lui. De toute façon, il ne se pliait jamais à la volonté d'un humain. En percevant ces pensées arrogantes et injustifiées, la prise de Saylin sur son bout de bois se raffermit. Elle demandait seulement de l'aide pour sortir d'ici, pas d'un serviteur aussi puissant que le Vent du quatrième anneau. Facétieux, capricieux et indiscipliné, l'élément refusa de la croire. Les humains avaient ce besoin viscéral de contrôler, de posséder, d'exprimer leur puissance. Et malgré son talent de Siffleuse, cette jeune fille ne changerait pas le cours de la nature.

Agacée de ces préjugés, Saylin serra les dents et, malgré la tentation d'ouvrir les paupières, se concentra pour garder la communication intacte. Je n'ai qu'un vœu, quitter cette brume. Elle vous tourmente autant que vous la hantez. Vous êtes une ombre parmi les ombres. Ne voulez-vous pas sortir vers la lumière ?

Ces quelques bribes de pensées résonnèrent dans sa chuintante symphonie. Le Vent se concentra, convulsa, comme chassé par la véracité de ces propos. Il en allait de son honneur de ne pas aider cette humaine.

Qui vous dicte ce qui empiète sur votre honneur ? Je croyais les Vents libres comme l'air, sans attaches ni maîtres, en quoi m'aider vous importune-t-il ? Je vous croyais à la hauteur de votre confrère de mon pays, mais décidément, c'est loin d'être le cas. N'en avez-vous pas assez de laisser errer tous ceux qui ont le malheur de se perdre dans les méandres de ces volutes ?

Un frisson de colère parcourut le Vent. Il ne tenait plus. Comment cette insolente fillette au sifflement si somptueux osait-elle lui parler sur ce ton ? Dans un murmure tremblant de rage, il susurra aux oreilles de Saylin :

"Ne m'importunes pas de tes gémissements, humaine. Pourquoi aiderais-je ces êtres perdus en mon domaine ? Ceux qui méritent la vie ne nécessitent pas mon aide. Deux de tes "compagnons", je présume, sont sortis tout à l'heure sans que je ne leur pipe mot... Les autres sont des incapables, et tu en fais partie. Le Vent n'a pas de maître, il est libre comme l'air, tu l'as dit toi-même alors cesse de geindre.

– À quoi ressemblaient ceux qui sont sortis ? répliqua Saylin sans tenir compte des autres paroles de l'élément.

Je ne sais pas, je n'ai pas d'yeux... Je les ai sentis, tout comme je te sens... Maintenant, tais-toi et siffle. Je t'aurais à mes côtés pour l'éternité...."

Ses paroles envahirent Saylin d'une colère noire. Elle se leva brusquement, ressentit le cœur de la présence de son interlocuteur et se tourna vers lui. Amusé de ce numéro, il flotta paresseusement devant elle tandis que son sifflement devenait de plus en plus assourdissant. Saylin ne se souciait pas du bruit qu'elle faisait. Le vent se convulsait à un rythme effréné sous la puissance de son murmure. À l'apogée de sa force, Saylin ouvrit les yeux. Son regard intense perça l'élément, l'envahit et se répandit dans tout son être. Elle distingua chaque facette de son arrogance, de sa fierté et de sa solitude. Dans un élan d'empathie, elle les partagea, les apaisa, les absorba pour soulager ses peines. Elle le comprenait, et cela le soulageait. Le Vent s'immobilisa net. Saylin cessa de siffler.

" Mais qui es-tu ? lui susurra-t-il.

– Tout le monde se soucie de qui je suis... Je suis Saylin Fir, Siffleuse de la Terre des Vents et amie de celui-ci. Je suis celle qui vient d'apaiser tes tourments. Celle qui vient de te battre à ton petit jeu puéril. Je suis plus puissante que toi et je te l'ai montré. Tu n'as plus à me demander de preuves. Sors-moi d'ici, aide-moi à rassembler mes compagnons perdus dans ton labyrinthe... À toi de me prouver ta valeur.

– Tu n'es pas une humaine... rétorqua l'élément d'une voix paniquée, en s'écrasant au sol. Maître je ne vous avais pas reconnu, pardonnez-moi... Je... Suivez-moi..."

Immédiatement, le Vent du quatrième anneau dispersa la vapeur autour de la jeune fille et s'en alla en virevoltant.

Perplexe et ne sachant quoi penser, Saylin le suivit, dégoutée de l'appellation qu'il lui avait donnée : "Maître".

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