1. Sang

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Quand le sang commence à couler, elle ne comprend pas d'où il vient.

Au début, elle ne comprend pas pourquoi de grosses gouttes s'écrasent sur ses doigts et ses poignets. Et puis, elle s'aperçoit que son nez la démange et elle saisit soudain d'où vient tout ce sang.

Elle s'affole, scrute les barreaux de sa cellule, les murs familiers de pierre grise et froide, le sol terreux. Elle essuie ses doigts écarlates mais ça ne sert qu'à étaler encore plus le rouge sur sa peau. Elle commence à sangloter, désemparée, désespérée, impuissante.

Elle appelle.

Elle hurle.

Elle se traîne vers les barreaux, tend ses mains au travers, passe les bras autant qu'elle peut hors de sa prison, mais le fer l'arrête aux épaules. Elle continue de crier. Personne ne répond. La cellule en face de la sienne est vide. Comme toutes les autres dans son couloir. Parfois, elle se dit qu'elle est la seule dans la prison toute entière, mais comment en être sûre ? Ça fait des années qu'elle n'a pas quitté son couloir.

Le couloir C.

Plus précisément, le couloir C du niveau - 2.

Les gouttes se sang éclaboussent à présent le sol près de ses genoux, écorchés à force de frotter dans la poussière. Sur le mur tout au fond, des centaines de petits traits parallèles marquent tout le haut, en ligne bien droites et bien précises. Et puis, tout d'un coup, la dernière ligne s'arrête.

La trente-troisième pour être précis.

C'est à ce moment là que la prisionnière a cessé de compter les jours. C'est à ce moment là qu'elle a totalement et définitivement perdu espoir de sortir un jour, de sentir à nouveau le vent jouer dans ses cheveux abîmés, d'entendre le cri des oiseaux et d'emmagasiner le soleil dans sa peau. Oui, elle voudrait emmagasiner le soleil, le prendre avec elle, le garder pour toujours. Ne plus jamais s'en séparer. Les hurlements de la jeune fille se taisent petit à petit, s'éteignent lentement comme la vie s'est éteinte lentement dans ses yeux.

Ca fait des mois entiers qu'elle n'a pas utilisé ses cordes vocales pour autre chose que crier.

498 jours, pour être exact.

Mais le sang, lui, continue de couler, comme un goutte à goutte silencieux, comme les grains paisibles et inconscients d'un sablier qui mesure le temps. Ca fait tant de temps que le dernier prisonnier de son couloir est parti à son tour, emporté par les gardes, des gardes qui ne viendront jamais lui porter secours maintenant qu'elle se vide de son liquide vital.

852 jours, pour être exact.

Pendant encore 51 jours, elle a continué à parler à ses geoliers quand ils venaient lui donnaient de quoi se nourrir et boire. Ensuite, elle a arrêté ce petit manège aussi pour commencer à parler tout seule. Encore 303 jours de folie maladive et elle s'est tue, cessant de prononcer des mots et de former des phrases cohérentes.

Ses bras se renroulent soudain, revenant dans sa cellule. Et porte ses mains à sa tête et étouffe un grognement face à la migraine familière qui l'assaille. Ca fait quelques semaines qu'elle est sujette à ces maux de tête qui brouillent sa vision, déforment les choses autour d'elle et lui font perdre tous ses repères. Elles arrivent subitement et repartent toujours aussi rapidement qu'elles sont venues. Comme des fantômes effrayés. Dans ces moments, elle sent son crâne prêt à exploser, tous les détails se mélangent. Ce qu'il reste de ses souvenirs vole en éclat. La cellule grossit, grossit tellement qu'elle l'avale dans ses murs. Et la jeune fille recommence à hurler, hurler parce que, comme une petite fille, elle a peur des démons qui sortent des murs pour venir manger son âme.

Son corps se liquéfie peu à peu mais personne, personne ne viendra lui porter secours.

Elle va mourir là, seule, triste, ignorée, torturée, les lèvres recouvertes de son sang qui coule, coule, coule sans pouvoir s'arrêter. Et personne ne s'en rendra jamais compte. Personne ne la pleurera. Parce qu'elle a mérité tout ce qui lui arrive. Elle a mérité la souffrance, les larmes, la folie, la solitude, l'enfermement... c'est sa punition.

Certains traits sur le mur du fond sont recouverts de sang eux aussi, le sang qui a coulé de ses ongles pendant qu'elle gravait le décompte des jours avec eux. On dirait que le sang est le lien entre tout, tout, tout. On dirait que le rouge est sa couleur, tellement que c'est la dernière chose qui la définit encore.

Elle tombe sur le sol, couchée, presque détendue, telle une étoile enfin prête à rejoindre ses soeurs, à s'envoler vers le ciel qui tend ses bras rassurants vers elle.

Ses paupières se détendent.

Son corps s'affaisse.

Elle qui s'était promis de ne jamais perdre espoir! Elle a quand même fini par se laisser briser, comme tous les autres.

Comme tous les autres.

'Cause I believe in my Dreams.

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