Les plus intelligents ne sont pas ceux qui font le plus de bruit (1)

6 minutes de lecture

 Toute bonne chose a une fin. Le moment de tranquillité de la pause déjeuner est sur le point d'arriver à son terme. Assis sur l'herbe, dans un endroit surplombant le terrain, je profite de cette brise inestimable de début d'après-midi. Elle se marie merveilleusement bien avec les rayons apaisants du soleil. Personne n'est à l'horizon, cet endroit est un véritable Paradis sur Terre. En regardant plus loin, on aperçoit les différents groupes qui profitent de leur pause déjeuner d'une manière différente de la mienne. Rires, discussions, jeux, sont les principaux ingrédients qui composent leurs repas. Cette joie collective n'est tout de même pas désagréable à regarder... seulement de loin...Après une annonce dans les haut-parleurs, la pause touche finalement à sa fin. Les deux équipes finalistes, qui ne sont autres que la mienne et celle d'Arima, doivent se regrouper et s'échauffer de nouveau. Il semblerait malheureusement que je doive quitter mon Paradis... En arrivant vers mon groupe, Kagami m'intercepte.

  • Salut, tu as bien mangé, Yamatori ?
  • Bah... Comme d'habitude... réponds-je sans conviction
  • Alors tant mieux ! me lance-t-elle avec un grand sourire.

 Je me demande pourquoi elle est si amicale envers moi... Quoi qu'il en soit, le père de Nakashima nous regroupe pour nous parler de la dernière épreuve de la journée. Il s'agit d'une course à trois jambes. C'est un jeu classique. Deux personnes se mettent côte à côte et attachent leurs jambes pour n'en former qu'une. Ils doivent alors faire la course en courant en même temps.

  • Comme on a dit, Aiko et Yuki vont la faire. Yuki est la plus rapide et Aiko est la seule à ne pas avoir fait d'épreuve, rappelé-je à mes coéquipiers.
  • Ravie de faire équipe avec toi ! dit Nakashima à Fuyuno avec un énorme sourire.
  • Oui... répond Fuyuno sans conviction.

 Il semblerait que Nakashima veuille devenir l'amie de Fuyuno. Elle adopte exactement l'attitude de quelqu'un qui veut sympathiser. Elle porte cette même expression que j'ai déjà retrouvée plusieurs fois dans ceux qui me prenaient en pitié et venaient tenter de me parler car ils ne supportaient pas de me voir seul.Tout à coup, une annonce est faite dans les haut-parleurs. On dirait qu'elle n'était pas prévue.

  • Votre attention s'il vous plaît, une information a été omise dans les détails de l'épreuve de course à trois jambes. La personne n'ayant fait encore aucune épreuve est celle qui doit participer, et le binôme doit être obligatoirement mixte.
  • Quoi ?! s'exclame le père de Nakashima.

Pour une fois, je suis d'accord avec le président. Ce lycée ne fait que me rendre la vie plus difficile. Je suis le seul garçon de l'équipe, donc je vais être obligé de courir. Et c'est Nakashima qui va devoir être ma partenaire. Moi qui comptais sur la vitesse de Fuyuno... Je vais devoir réfléchir à un moyen de ne pas exposer mes capacités au grand jour.

  • Hé ! Yamatori ! Tu vas devoir courir mais n'en profite pas pour te rapprocher de ma fille ! me crache le président.
  • Vous inquiétez pas, ça ne m'intéresse pas, mais nos chances de gagner sont basses.
  • Comment ça ? me demande Kagami.
  • L'équipe adverse est celle d'Arima n'est-ce pas ? C'est sûrement lui qui va courir. Ce type est ami avec tous ses coéquipiers, donc ils se font mutuellement confiance. Ils auront une bien meilleure symbiose que nous, vu que je ne suis l'ami de personne et que personne n'est mon ami.
  • La manière dont tu dis ça avec fierté est carrément flippante... soupire Fuyuno

 Oui. Je suis fier de n'avoir aucun ami. Cette relation superficielle est totalement inutile. Certains se disent inséparables, mais chaque individu est différent. Chacun a ses goûts et ses passions, ses forces et ses faiblesses. C'est pourquoi à la sortie du lycée, deux « amis » n'iront pas dans la même école pour poursuivre leurs études. Si au début ils continuent à se voir, peu à peu, les contacts s'amenuisent, jusqu'à ne plus exister. Voilà pourquoi l'amitié est inutile car ce n'est pas un lien éternel.  Après réflexion, j'ai enfin trouvé une solution pour gagner. La course commence dans quinze minutes, j'ai donc le temps de mettre mon plan à exécution.

  • J'ai une idée pour gagner.
  • C'est vrai ?! me répondent tous mes coéquipiers.
  • Oui. Aiko, tu peux courir de ce poteau jusqu'au bureau qui est là-bas ? Cours à toute vitesse, comme si tu voulais faire le meilleur temps possible.
  • Euh... Ça va servir à quoi ? me demande-t-elle.
  • Tu verras, réponds-je calmement.
  • Tu ne vas pas en profiter pour regarder ma fille d'un œil lubrique j'espère ? me menace son père.
  • Bien sûr que non... je vous ai déjà dit qu'elle ne m'intéresse pas...
  • Mais je sais pas trop... Je vais être fatiguée pour la vraie course... dit Nakashima.
  • Tu n'as qu'à dépasser tes limites... suggéré-je.
  • Hein ?! C'est facile à dire ça !

Je me lève et m'approche de son oreille. Je lui chuchote alors des mots qui devraient lui donner envie de courir.

  • Si on gagne tu pourras impressionner Kuroshiro... Il tombera peut-être amoureux de toi, c'est ce que tu veux, non ?

Nakashima est surprise et s'éloigne rapidement de moi puis rétorque en haussant la voix :

  • Quoi ?! Comment tu le sais ?
  • N'importe qui pourrait le voir...

La jeune fille me tourne alors le dos. Ses oreilles ont tourné au rouge. Elle est embarrassée.

  • Bon... Alors je veux bien... accepte-t-elle.

Et voilà, c'est un jeu d'enfant de manipuler les simples d'esprit...

  • Qu'est ce que tu lui as chuchoté ? s'énerve le président.
  • Rien, rien je lui ai juste promis que je lui achèterai une boisson si on gagne.
  • Tu tentes de la séduire en lui offrant à boire, c'est ça ?!
  • Vous êtes totalement ridicule...
  • Quoi ?!

Je l'ignore et demande à sa fille de courir. Elle s'élance donc à toute vitesse. Je l'avais déjà observée courir lors de l'entraînement, mais pas en profondeur. Pendant qu'elle parcourt les cinquante mètres, j'analyse sa course, son rythme, ses pas, sa respiration et je mémorise le tout. Elle finit donc son parcours essoufflée.

  • Merci, on va gagner grâce à ça. Pendant l'entraînement j'ai vu que tu récupères vite donc ça ne devrait pas poser de problèmes.
  • Mais à quoi ça va servir ? demande-t-elle pour la deuxième fois.
  • Tu verras. Surtout, quand la course commencera, assure-toi de courir exactement comme ce que tu viens de faire, fais comme si tu courais seule, d'accord ?
  • Hein ? Euh... Oui je vais essayer.

 Après dix minutes, une annonce est faite pour le début de la course. Nakashima et moi-même nous mettons donc en place. Ma jambe gauche est attachée à sa jambe droite. Cette situation est typique des comédies romantiques. Le simple contact des jambes suffit à émoustiller les protagonistes de ce genre de manga. Le garçon rougit et perd ses moyens et la fille le regarde avec mépris, mais rougit aussi intérieurement « Ce n'est pas comme si j'aimais bien être collée à toi ! » est le genre de phrase qu'elle peut sortir. Mais ces personnages fictifs n'existent pas et ma vie ne sera pas une comédie romantique. En voyant Nakashima rougir et donc tomber dans ces clichés que je déteste tant, je décide de la remettre sur le droit chemin.

  • Bon, on finit ça vite fait, ça me débecte d'être collé à toi...
  • QUOI ?! Moi aussi je veux vite en finir, sale associal !

Bien, elle a arrêté de rougir et a repris ses esprits.

  • Oublie pas, cours comme tout à l'heure.
  • Oui, je sais, lâche moi...

Elle a retrouvé son regard froid que je n'ai pas vu depuis quelques jours.  La course commence. Nakashima s'élance à toute vitesse au même rythme que celui que j'ai mémorisé. Ainsi, je me calque sur sa vitesse et son rythme et bouge mes jambes au bon moment, faisant en sorte que Nakashima coure comme si elle était seule. L'autre groupe ne s'en sort pas si mal, mais nous avons une avance certaine sur eux. Comme je l'avais prévu, c'est Arima en personne qui court aux côtés de sa camarade qui est plus préoccupée par les beaux yeux du garçon que par la course. C'est ainsi que nous la gagnons haut la main, remportant ainsi le droit de défier le lycée Higashi en finale. Un tonnerre d'applaudissements retentit. Nakashima, après avoir enlevé le lien qui scellait nos jambes, se tourne vers moi.

  • C'est incroyable, j'avais vraiment l'impression d'être seule à courir, comment t'as fait ?
  • J'ai juste pris le même rythme que toi...
  • Tu dis ça comme si c'était facile...

Hiro-sensei nous invite sur l'estrade pour dire quelques mots.

  • Comment avez-vous ressenti cette course ? me demande-t-il.

Je réfléchis quelques secondes puis je réponds.

  • Eh bien... Disons qu'au début j'étais anxieux, mais Nakashima qui est plus rapide que moi a su s'adapter parfaitement à mon rythme de course, sinon j'aurais sûrement été un boulet...
  • Impressionnant, je vous félicite pour cette victoire. Applaudissons aussi l'équipe d'Arima qui a bien couru.

Arima s'approche pour me serrer la main mais je l'ignore. Encore une fois, je ne suis ni son ami ni son rival pour faire une telle chose.

Annotations

Vous aimez lire Yamatori Kei ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0