Amour

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Tiana était étendue sur les draps immaculés, ses cheveux sombres disparaissaient dans les plis de la couverture, fuyant, s'enroulant dans la matière mœlleuse. Dans ses yeux brillaient les étoiles qu'un univers d'alcool avait faites s'épanouir, des frissons parcouraient sa peau nue tandis qu'elle observait entre ses longs cils la mince silhouette qu'elle avait ramenée chez elle.

Bien plus lucide, Azaëlle l'observait, debout devant le lit, la surplombant de sa hauteur magnétique. Tout son être élancé suintait la puissance, de ses jambes interminables jusqu'à ses doigts fins, en passant par ses lèvres écarlates. Elle la jaugeait, attentive au moindre souffle que sa bouche exhalerait, au moindre tremblement qui agiterait son épiderme, jusqu'à se répercuter dans son cœur. Immobile, elle écoutait patiemment ses sursauts, cherchant la mélodie parfaite qui engendrerait un mouvement de sa part.

Languissante, Tiana passa ses bras au-dessus de sa tête et se cambra sur le matelas, les yeux ancrés dans ceux de la rousse sulfureuse. Tout son corps tremblait d'un désir inassouvi qui faisait bouillonner ses entrailles, au point d'envoyer des décharges électriques dans ses doigts. Elle voulait un contact, elle en avait besoin. Il lui fallait cette peau qui lui semblait si veloutée, ces lèvres si rouges qu'elles luisaient dans la pénombre de l'appartement, ces jambes encerclant sa taille.

Mais l'objet de son désir, presque un besoin, se contentait de la détailler. Avidemment, certes, mais Azaëlle ne bougeait pas. Ses longs doigts pianotaient sur sa cuisse pour imiter un tempo qu'elle seule entendait, tendue à l'extrême par l'attente. C'était ce moment qu'elle préférait. Un instant durant lequel le temps semblait être suspendu, seulement peuplé de soupirs délicats et de pulsations désordonnées. Azaëlle se sentait puissante. Elle dirigeait la musique tel un chef d'orchestre, à l'écoute de l'instrument tout en maîtrisant ses ardeurs.

Et surtout, elle commandait la fin de la symphonie.

Et tout à coup, elle l'entendit. Cette hésitation infime, qui donnait l'impression que le cœur de la brune venait de s'arrêter durant une micro-seconde, ou au moins de ralentir, avant de repartir de plus belle à s'en rompre les cordes. Alors, Azaëlle verouilla ses yeux dans ceux de Tiana, et s'avança lentement vers elle. Chacun de ses muscles était tendu à se rompre, un infime relâchement la précipiterait vers la jeune femme étendue et offerte. Azaëlle se retint, se concentra sur ses gestes lents, presque méthodiques, sur le souffle de Tiana qui s'était accéléré, sur son cœur qui faisait dorénavant de multiples ambardées.

Tiana se liquéfiait face aux yeux sombres de la rousse, dans lesquels elle était emprisonnée, incapable de s'éloigner ou même de reprendre son souffle. Elle se contenta d'enlever son haut noir, rompant le contact momentanément. Aussitôt, un frisson glacial l'envahit, tous ses membres se contractèrent, elle réalisa sa solitude et s'empressa de replonger dans ces perles noires. La sensation de froid s'estompa, le brasier se développa au creux de son ventre jusqu'à grignoter ses poumons, la faire suffoquer sans pitié, une étincelle crépita tout contre son cœur, et soudain, ses lèvres furent sur les siennes.

Azaëlle avait esquissé un mouvement bien trop rapide pour ses yeux fatigués, sa bouche caressait doucement celle de la brune qui brûlait sous son corps svelte. Elle sentait sa chaleur se répandre sur sa peau opaline, une chaleur presque désagréable tant elle était intense. Azaëlle avait besoin, elle aussi, de contact. Mais d'un contact si profond qu'il écorcherait forcément Tiana, d'une manière ou d'une autre. Alors, elle se retenait, patientait en suivant la mélodie de son cœur, jusqu'à ce qu'il lui montre qu'elle était réceptive. Qu'elle était prête pour ce contact enflammé.

En attendant, Azaëlle souffrait de ne pouvoir assouvir ce désir impétueux. L'impatience grignotait peu à peu ses nerfs, jusqu'à effilocher sa volonté, elle se dissolvait comme un poison dans son sang, puis se mettait à courir dans ses veines, courir toujours plus vite, l'entraîner toujours plus près du point de rupture.

Tiana gémit, elle en voulait plus, ce contact d'une légèreté inouïe, une aile de papillon frôlant ses lèvres, était bien loin de lui suffire. Elle avait attendu trop longtemps, il lui fallait sa peau contre la sienne, c'était un désir impétueux qui dévorait désormais son cœur, faisant trembler ses doigts. Incapable de patienter une seconde de plus, elle s'empara avidemment de la veste de la rousse, l'attira d'un coup sec et écrasa ses lèvres sur les siennes.

Le souffle d'Azaëlle s'emballa.

Tiana s'enhardit, comme en transe, enfiévrée par la proximité de ce corps qu'elle désirait plus que tout, et sa langue caressa les lèvres d'Azaëlle. D'abord délicatement, comme si elle demandait la permission, puis fougueusement, comprenant qu'elle l'obtenait. Qu'elle l'avait depuis le début. Mais le fait qu'elle n'aurait peut-être pas dû s'offrir ne lui effleura pas l'esprit. Elle fit glisser ses mains les long des côtes de la jeune femme, lui retira sa veste, son débardeur, et se laissa aller contre sa peau douce et veloutée.

Azaëlle se détendit.

Tiana ne sentait plus rien. Seulement une impression de félicité absolue. Elle était heureuse, profondément heureuse. Elle en pleurait, même, elle avait envie d'appeler sa mère et de lui dire je t'aime. Elle aimait la vie, putain, qu'est-ce qu'elle l'aimait. Elle flottait dans un univers d'extase, bien loin de ses draps immaculés, de ce corps pressé contre elle.

Azaëlle buvait, non, elle lapait les émotions de Tiana. Le moment était venu, dicté par les battements de son cœur qui avait explosé dans un fabuleux crescendo. Alors Azaëlle pompait le flux émotionnel de sa victime, amoureusement, à petites gorgées, pressée tout contre son cœur. Deux doigts légèrement enfoncés dans sa cage thoracique, elle n'aurait même pas de marques au réveil, Azaëlle s'abreuvait à la source. Elle se sentait plus forte de seconde en seconde, elle se sentait revivre grâce au flux vital d'une autre. Et surtout, elle ressentait au plus profond d'elle même toutes ces émotions tumultueuses qui coulaient à flot vers son propre cœur. La tristesse, le bonheur, la colère, la haine — elle fut surprise de la trouver dans un corps si chétif — et surtout, l'amour.

Azaëlle vivait Tiana. Elle se détacha finalement d'elle en la sentant trembler légèrement. Ou peut-être était-ce son cœur qui murmurait, désormais incapable de faire davantage de bruit. Azaëlle sut que tout était fini, elle se sentait apaisée, aimée. Alors, elle tourna les talons.

Tiana sentit un froid intense l'envahir, et une larme coula sur sa joue.

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