Un crapaud presque charmant (partie 5)

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— Bonjour ! dit-elle, la voix neutre en se dirigeant vers la cafetière.

Il ne répondit pas.

Indifférente, elle se versa sa première tasse de caféine puis avant d'en avaler la première gorgée, elle prit un doliprane avec un grand verre d'eau. Une fois le médicament miraculeux avalé, elle plongea ses lèvres dans le breuvage brûlant. Elle soupira d'aise, sa journée pouvait commencer. Emportant sa tasse vers la table de la cuisine, elle remarqua que Kévin triturait quelque chose entre ses doigts. À mieux y regarder, elle vit qu'il s'agissait de la bague de fiançailles.

Prostré, il fixait le bijou, le faisant rouler entre le pouce et l'index. Absent à ce qui l'entourait, il était comme hypnotisé par le diamant, perdu dans sa contemplation.

Lola se racla la gorge et rassembla toute l’énergie dont elle était pourvue.

— Kévin… Il faut qu'on parle !

Celui-ci leva à peine les yeux à ses paroles avant de retourner à sa contemplation. Il lui faisait de la peine mais elle persévéra, bien décidée à lui dire ce qu'elle avait sur le cœur.

— Je crois… enfin je pense… balbutia-t-elle, qu'il serait souhaitable que l'on fasse une pause tous les deux…

— Tu veux me quitter ? Comme Clara ? paniqua-t-il aussitôt en entendant ces mots.

— Nonnnnn… Je n'ai pas dit ça et je ne suis pas Clara ! Juste une pause pour que l'on soit sûr que l'on ne fait pas une bêtise en se mariant. Il est peut-être trop tôt pour envisager le mariage. Je ne sais pas ce qu'il t'arrive depuis un certain temps mais tu es de plus en plus violent, pour un oui ou pour un non tu t'emportes et… Elle marqua un temps d'arrêt, cherchant ses mots… et… et tu me fais peur ! Voilà il fallait que je te le dise.

— Tu as peur de moi ? Mais je t'aime Lola… Tu es ce que j'ai de plus précieux dans cette vie… Comment peux-tu avoir peur de moi ? bredouilla-t-il complètement sonné. Je sais que je suis d'une jalousie exacerbée et j'en souffre aussi, crois moi ! Quand je vois d'autres hommes tourner autour de toi, il y a comme une espèce de rage, de colère qui monte en moi. Je t'assure que j'essaie de la repousser de toutes mes forces mais elle est bien plus forte… Cette rage latente s'insinue dans ma tête, me torture… Elle me murmure d'une voix sadique que tous ces hommes veulent te voler à moi… Que je ne suis pas à la hauteur ! Tu es si belle ! Tu comprends Lola ? Des fois, je me demande ce qu'une femme aussi merveilleuse que toi a bien pu trouver à un mec comme moi… Je suis un raté de toute façon ! Sur toute ligne, je suis un raté !

Il avait cette voix de petit garçon affolé.

— Kévin ! Écoute-moi ! Je sais que ce mal te ronge depuis Clara mais il faut que tu tournes la page. Cette histoire est derrière toi… C'est du passé alors que moi je suis bien là… dans le présent… NOTRE présent. Je veux pourvoir vivre une vie entière avec un homme dont je suis certaine qu'il ne me fera jamais de mal. Tu te rappelles quand même m'avoir lancé la télécommande au visage hier ? Je ne sais même pas pourquoi tu t'en es pris à moi… Pourquoi j'ai fait les frais de ta colère ? Et ce n'est pas la première fois que ça t'arrive. Tu sais… Elle prit une grande goulée d'air pour se donner le courage d'aller jusqu'au bout… Ça commence à ressembler dangereusement à de la violence conjugale…

— De la violence conjugale ? Tu exagères quand même, la coupa-t-il, interloqué. Je ne t'ai jamais tabassée, à ce que je sache !

— Tu trouves que j'exagère ? l'interrompit-elle sèchement à son tour. La violence commence souvent pour pas grand-chose… Un énervement sans raison… Pour rien à vrai dire ! Tout ce que tu es depuis quelques mois ! Et si tu considères toujours que tu n'es pas violent… alors d'où vient ce poignet enflé ? lui demanda-t-elle en le lui montrant.

Il tourna des yeux ronds de surprise en baissant les yeux sur son bras tendu.

— Mon Dieu Lola ! C'est moi qui t'ai fait ça ? Mais c'est impossible… Je ne me rappelle de rien, s'alarma-t-il.

— Oui c'est toi ! Si je ne m'étais pas protégée le visage avec le bras, tu m'aurais ouvert l'arcade je présume mais… Tu ne te rappelles vraiment de rien ? l'interrogea-t-elle, le sourcil relevé.

— Non… Rien ! Je te le jure ! En me réveillant ce matin sur le canapé, je me suis demandé ce que je foutais là avec ma bague de fiançailles serrée dans mon poing. Mon dernier souvenir remonte à la boîte de nuit où j'y ai discuté avec Lucas de l'ultimatum lancé par Baldin. Après c'est le trou noir.

Il était complètement paniqué. Il tremblait comme s'il avait de la fièvre.

— Pardonne-moi ma chérie ! Comment ai-je pu faire du mal à la personne que j'aime le plus au monde ? Qu'est-ce-qui m'arrive ? Je suis complètement nul !

Il se leva en se parlant à lui-même, s'affublant de tous les noms d'oiseaux. Il traîna ses pieds jusqu'au congélateur et en sortit la poche de glace qu'il posa sur le poignet de Lola en ayant pris la précaution de l'entourer auparavant d'un linge.

Au contact du froid, la jeune femme se raidit mais bientôt elle ressentit un bienfait. L'enflure n'était pas très importante, juste le choc du coup porté mais quand même… Elle le remercia malgré tout de sa sollicitude sans vraiment l’excuser.

— Tu as trop bu hier soir. Le temps qu'on a passé sur la piste de danse avec Beth, tu avais déjà descendu la bouteille avec Lucas, lui affirma-t-elle. Tu m'avais promis de ne plus boire autant !

— Je sais ! Pardonne-moi ! répéta-t-il d'un air penaud. Je suis tellement sur des charbons ardents avec ce boulot que je perds toute notion de la normalité.

— Je ne peux pas continuer ainsi, se désola Lola. Peut-être devrais-je aller m'installer quelque temps dans l'appartement de Beth ? Pour réfléchir… Pour que l'on puisse se retrouver comme avant. Je ne sais pas ce qu'il se passe dans ta tête mais tu es devenu amer, de plus en plus souvent en colère et je ne sais même pas si tu t'en rends compte ! Tu me fais du mal… Pire tu NOUS fais du mal ! Je t'aime sincèrement Kévin, comme jamais je n'ai aimé personne et je veux sincèrement que ça marche entre nous. Je rêve plus que tout de passer le reste de ma vie avec toi, d’avoir des enfants avec toi, de vieillir avec toi mais pour cela, je dois être sûre de moi. Tu dois apprendre à te contrôler et peut-être même te soigner de cette addiction à l'alcool. Je suis prête à t'aider si tu le veux. Qu'en penses-tu ?

Kévin écouta Lola sans l'interrompre. Hagard, il la regardait les yeux humides. Il était à deux doigts de la perdre et cette pensée lui était insupportable.

— Je ne veux pas que tu partes ! Je veux te garder près de moi ! Sans toi, je ne pourrai pas avancer, me reconstruire et aller mieux. Je t'en supplie ma chérie… ne me laisse pas ! Je t'aime Lola… Tu es toute ma vie ! Si tu m'aimes vraiment… Reste ! Ne m'abandonne pas ! Aide-moi à m'en sortir ! Je ferai tout ce que tu voudras, je te le promets.

Il était pâle comme un spectre et des larmes coulaient sur son beau visage ravagé par la douleur.

— D'abord, Claude qui me dit que je risque d'être viré si je ne rends pas le projet dans les temps et maintenant, toi qui veux partir… C'est vraiment trop pour moi ! J'ai besoin de toi Lola ! Je n'arriverai jamais à travailler sereinement si je te sais loin de moi. C'est voué à l'échec… Je n'ai plus qu'à me foutre en l'air ! Sans toi, plus rien n'a de sens ! J'ai vraiment tout raté… Je suis trop nul ! marmonna-t-il entre ses dents.

Quelque chose dans sa voix affola Lola : cette détermination morbide ! « Sa douleur doit être insoutenable pour parler ainsi. Je l’aime bordel ! Je veux juste faire un break, bon sang ! Je veux juste m’assurer de notre bonheur… Quel mal y a-t-il à ça ? Je ne veux pas qu'il mette fin à ses jours à cause de moi. Je ne pourrais plus me regarder dans une glace s'il lui arrivait malheur ! D'ailleurs, aurais-je seulement la force de vivre sans lui ? »

Il baissait la tête et semblait avoir vieilli de dix ans sous son masque de tristesse.

— Je t'interdis de parler comme ça ! le réprimanda-t-elle en lui prenant la main. Tu n'es pas nul, tu es même très talentueux et je t'aime comme une folle. Je vais t'aider et je te jure qu'on va s'en sortir. À deux, on sera plus forts !

Il gagnait encore !

— Tu veux dire que tu restes ? l'interrogea-t-il d'une petite voix.

Lola opina du chef, en lui souriant.

— Oh ma puce ! Je t'aime à en mourir ! ajouta-t-il en se jetant dans ses bras.

— Tssss… Je ne veux plus entendre ce vilain mot !

Kévin hocha la tête avant d'enfuir son visage dans ses cheveux. Il respira profondément son parfum et se serra doucement tout contre elle. Il pleura un long instant mais cette fois ce furent des larmes de joie. Lola le réconforta comme un enfant, le berçant dans ses bras.

— Acceptes-tu de la porter ? s'enquit-il auprès d'elle en lui montrant le diamant.

— Oui.

Il lui souleva le menton et déposa un baiser sur ses lèvres puis il porta la bague à son annulaire.

— Par cet anneau, je te prends pour femme. Je jure de t'aimer jusqu'à ce que la…

Lola l'interrompit d'un doigt posé sur sa bouche.

— Promets-moi juste que tu vas changer, c'est tout ce qui m'importe. Au moindre écart, je ne pourrai plus avoir confiance en toi et je devrai partir… même si je t'aime, il le faudra. Notre bonheur est à ce prix.

— Je te le jure ! Je ferai tout ce que tu voudras ! Je ne boirai plus la moindre goutte d'alcool. Je vais me racheter, tu vas voir. Il faut juste que tu m'aides et nous serons heureux pour toujours. Je t'aime si fort ma puce ! Tu es ma seule et unique raison d'être !

— Je t'aime aussi très fort !

Leurs deux visages s'effleurèrent. Leurs bouches se rencontrèrent et s'unirent tendrement l'une à l'autre. Ce baiser plein d'amour transporta Lola dans un éden intemporel.

Kévin était redevenu celui qu'elle avait toujours aimé. Celui qui lui donnait des papillons dans le ventre à chaque souffle chaud sur sa peau, celui qui la faisait fondre littéralement dès que ses mains caressaient son corps.

Ses promesses, ce bel amour, elle y croyait dur comme fer ! Il ne pouvait en être autrement.

*****

Au fil de la journée, le ciel se chargea de gros nuages noirs et l'orage éclata dans un fracas assourdissant. En quelques minutes, la pluie se mit à tomber comme à Gravelotte. De grosses gouttes martelèrent les carreaux avec force avant de laisser la place à une pluie fine mais soutenue.

Devant l'insistance de Lola, Kévin travailla sur son projet une bonne partie du week-end. Elle avait promis de l'aider et lui permettre de mener à bout la conception de ce « maudit » logiciel impliquait qu'elle fasse aussi des efforts. Si Claude mettait son ultimatum à exécution, Kévin ne s'en relèverait pas non plus. Il fallait donc mettre toutes les chances de son côté. Puis avec ce temps pluvieux, il n'y avait pas grand-chose à faire. La jeune femme en profita pour rattraper sa nuit d'avant, elle avait trop peu dormi et elle se sentait lasse.

Le lendemain, la pluie avait cessé. Les fiancés décidèrent d'aller se promener afin de profiter de la fraîcheur bienfaisante laissée par l'orage. Ils déambulèrent au hasard des rues, main dans la main parmi les touristes, surtout des étrangers venus visiter la plus belle ville au monde, jouir de sa gastronomie et faire du shopping dans les plus grandes boutiques des prestigieuses enseignes de luxe. Paris constituait, en effet, le haut lieu universel de la mode où une pléthore d'échoppes haut de gamme attirait les adeptes de l'opulence.

Lola et Kévin, eux, se contentèrent d'admirer les vitrines, ils n'avaient pas les moyens financiers d'acheter leurs vêtements dans ce genre d'endroit mais ils apprécièrent la beauté raffinée et sophistiquée de certaines créations et s’amusèrent d'autres assez loufoques.

Le midi, ils déjeunèrent dans un petit bistrot sans prétention et l'après midi, ils revinrent tout doucement vers l'appartement, le ciel se faisant de nouveau de plus en plus menaçant. Lola passait une agréable journée et Kévin était calme, reposé, souriant. En les voyant ainsi, marcher les doigts entrelacés, jamais personne n'aurait pu penser que la veille, ils avaient frôlé la séparation.

— Lola… Lola !

Quelqu'un criait son nom dans la rue. Surprise, Lola se retourna et aperçut Cath, agitant les bras, accompagnée de Paul. Le couple se dirigeait vers eux.

Les époux Meyer embrassèrent la jeune femme. Celle-ci sentit Kévin se raidir comme un piquet avant que le couple ne lui serre la main.

— Quelle heureuse surprise de vous rencontrer ainsi ! s'exclama Cath. Comment allez-vous ?

— Très bien ! Nous avons fait une magnifique promenade et nous nous apprêtions à rentrer. Notre appartement n'est plus très loin, répondit la jeune femme en montrant la direction de la main.

À cet instant, alors qu'elle avait le bras levé, Cath et Paul remarquèrent son poignet bandé.

— Oh Lola ! Vous vous êtes fait mal ? Rien de grave, j'espère ? s'enquit aussitôt sa nouvelle amie.

Lola vit le visage de Kévin se durcir puis se renfermer comme une huître.

— Non, je vous rassure, rien de bien méchant ! J'ai un peu trop fêté mon anniversaire et j'ai… trébuché ! se justifia-t-elle avec une pointe d'ironie dans la voix qu’elle pensait convaincante. D'ici deux ou trois jours, il n’y paraîtra rien.

— Le champagne est traître… la taquina Cath. Pensez à bien glacer votre poignet… Et vous savez aussi que je suis spécialiste à guérir les blessures inavouables, rajouta-t-elle sournoisement, un ton plus bas.

Kévin n’entendit pas sa dernière phrase. Cela rassura Lola tandis que Cath poursuivit.

— On peut, peut-être, prendre un café ensemble ? Ça vous dit ? Il y a une petite brasserie en bas de la rue, tout ce qu’il y a de plus charmant.

— Cela aurait été avec plaisir mais j'ai du travail qui m'attend, intervint poliment Kévin.

— Bien ! Dans ce cas, nous allons vous laisser. Ce sera pour une autre fois. Ravis de vous avoir rencontrés, statua Paul.

Les époux Meyer prirent congés et partirent dans la direction opposée.

— Cette petite ment très mal ! murmura Cath à son mari lorsqu'ils furent hors de portée de voix.

Paul hocha la tête en guise d'assentiment.

— On aurait peut-être pu les inviter à la maison ? hasarda Lola, alors qu'ils arrivaient à leur immeuble.

— Pardon pour ma grossièreté ma chérie mais j'avais envie de me retrouver seul avec toi. Juste toi et moi en amoureux !

En prononçant ces mots, Kévin lui enlaça la taille d’un mouvement rapide puis l'embrassa avec passion, indifférent aux regards des badauds.

Lola s'abandonna, sans récession, dans ses bras.

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