Un crapaud presque charmant (partie 1)

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Lola referma la porte de l'appartement sur elle. Se retournant, elle poussa un cri de surprise quand elle vit Kévin avancer dans sa direction à grandes enjambées.

— Bonsoir mon chéri. Tu es déjà rentré ? Y'a un problème ? s'enquit-elle immédiatement, étonnée de le trouver ici à cette heure-ci.

— Le problème, c'est TOI ! répondit-il d'un ton peu amène.

Lola ouvrit des yeux grands comme des soucoupes. Qu'avait-elle fait encore pour qu'il soit en colère contre elle ?

— Où étais tu ?

— Cath, Mme Meyer m'a invitée à boire un café dans une brasserie. Nous avons bavardé sans voir le temps passer. J'ai rien fait de mal… se défendit-elle.

— J'ai quitté le bureau plus tôt que d'habitude… Je voulais te faire la surprise de t'emmener au restaurant ce soir et ensuite nous aurions pu aller au cinéma. Mais maintenant il est trop tard et je ne veux pas me coucher tard… Je suis crevé !

— Je suis désolée, s'excusa Lola. Pourquoi ne m'as-tu pas envoyé un message ? Cath aurait compris…

— Parce que je me faisais une joie de te faire la surprise ! Et faudrait-il encore que Madame n'éteigne pas son portable, aboya-t-il en la fixant intensément. Il la tint prisonnière de son regard quelques instants comme s'il était à la recherche de la vérité. Il fallait à tout prix que Lola dédramatise cette situation ridicule.

— Mais, que racontes-tu ? Je n'ai pas éteint mon téléphone, lui assura-t-elle avec une sorte de désinvolture dans la voix.

— Traite-moi de menteur, tant que tu y es ! vociféra-t-il en la suivant dans la cuisine.

— Mais non, je n'ai pas dit ça ! Je te jure que mon portable est allumé… D'ailleurs je vais regarder de ce pas.

Lola chercha au fond de son sac l'objet du délit lorsqu’elle comprit la mauvaise humeur infondée de Kévin. Pour tromper l'attente, il avait rongé son frein en vidant quelques verres, à en juger par la bouteille posée sur la table, à moitié vide ou à moitié pleine… C'était selon.

Il n'était pas ivre mais l'alcool était responsable de son comportement agressif… Elle le savait pertinemment. Elle n'avait aucune envie de l'affronter verbalement, cela ne ferait qu'envenimer les choses. Si elle ne disait rien, il se calmerait de lui-même…ça aussi elle le savait. Elle prit donc une fois encore sur elle, par amour pour lui.

— C'est bizarre, dit-elle en regardant l'écran noir du portable. La batterie était chargée à fond ce matin. Je n'arrive même plus à l'allumer. Tiens, vérifie par toi-même.

Elle lui tendit le téléphone. Kévin tenta lui aussi de l'allumer plusieurs fois, sans plus de succès. Excédé, il l'envoya se fracasser contre le mur, avec rage.

— Mais… bredouilla Lola, tremblante.

— Je t'en achèterai un autre demain. Tout de façon, il était foutu.

Sa voix était beaucoup plus calme comme si le fait d'avoir broyé son portable l'avait dégrisé.

— D'accord, obéit docilement la jeune femme affolée, mais elle n'en restait pas moins sur ses gardes.

Elle ramassa les morceaux de son téléphone éparpillés sur le carrelage et les jeta à la poubelle après avoir récupéré sa carte à puce.

Ils préparèrent le repas ensemble sans échanger le moindre mot. Kévin se chargea de la confection de deux clubs sandwichs. Lola tria, lava et essora la salade verte qu'elle disposa dans un saladier, agrémentée d'une sauce vinaigrette à l'échalote puis elle remplit deux coupelles d'une salade de fruits frais.

Ils dînèrent à la cuisine en silence. Lola n'osait pas entamer la conversation, elle préférait que cela vienne de lui car elle savait qu'un simple mot de sa part compris de travers ou un simple geste maladroit pouvait réactiver sa mauvaise humeur et elle ne voulait pas en faire les frais.

— Excuse-moi pour tout à l'heure, furent les seuls mots qu'il prononçât.

— Ce n'est pas grave, lui répondit-elle.

Alors, il lui sourit avec gratitude.

La soirée s'égraina tranquillement au son de la télévision devant laquelle Kévin somnolait.

— Va te coucher… J'arrive ! lui conseilla Lola d'une voix douce, le voyant piquer du nez.

Celui-ci opina de la tête avant d'obtempérer.

La jeune femme resta encore quelques instants sur le canapé, perdue dans ses pensées. L'histoire personnelle de Cath la faisait cogiter. Mais c'était justement l'histoire de Cath… pas la sienne, alors pourquoi se sentait-elle si troublée ? Kévin n'était pas un monstre. D'ailleurs, comment pourrait-elle aimer un monstre ? Impossible ! Il est jaloux et possessif envers moi, c'est tout… preuve qu'il m'aime quoi ! Cette pensée, bien que désuète, la réconforta.

Lorsqu'elle entra dans la chambre, Kévin dormait d’un sommeil profond. Tout doucement, elle se glissa dans les draps avec précaution pour ne pas le réveiller. Dès qu'elle fut allongée, il vint se blottir tout contre elle, l'encerclant d'un bras protecteur, toujours endormi.

*****

Au lendemain d'une nuit paisible, Lola s'éveilla dans un lit déserté. Tâtant de la main à côté d'elle, elle constata que Kévin était déjà levé. Elle regarda l'heure digitale rouge qu'affichait le radio réveil : dix heures trente. Elle s'étira longuement dans un bâillement puis se leva à regret. Elle prit une douche rapide et passa un jean et un tee-shirt.

Un soleil radieux brillait dans un ciel bleu sans le moindre nuage à l'horizon, la journée promettait d'être magnifique. Elle parcourut l'appartement à la recherche de Kévin mais il n'était nulle part et elle ne trouva aucun mot écrit de sa part. Elle s'interrogea un instant, ce n'était pas dans ses habitudes de partir sans l'avertir. Mais peut-être, était-il allé faire son jogging, comme il lui arrivait de le faire de temps en temps ? Dans une grimace, Lola haussa les épaules, elle avait en horreur cette pratique sportive.

Elle se fit griller deux tartines au toaster, les beurra et les confitura. Elle lécha sur ses doigts un peu de confiture de fraises puis se versa une grande tasse de café noir et un verre de jus d’ananas. Son copieux plateau-déjeuner en main, elle se dirigea vers la terrasse et s’y installa à l'ombre du parasol. Alors qu'elle dégustait une deuxième tasse de café, elle entendit la porte d'entrée.

— Je suis sur la terrasse, héla-t-elle.

Kévin s'avança vers elle, un sourire éclatant sur les lèvres.

— Bonjour ma chérie. Chose promise, chose due, lui dit-il en lui tendant une boîte contenant un portable flambant neuf.

Lola le remercia en regardant le Smartphone.

— Et voici pour me faire pardonner mon comportement d'hier, poursuivit-il en lui présentant un imposant bouquet de roses rouges, caché derrière son dos.

— Merci… Elles sont magnifiques, dit-elle en humant leur parfum délicat.

— Je suis vraiment désolé de t'avoir fait une scène hier soir, lui déclara-t-il, contrarié. La mine grise, il se laissa tomber sur la chaise d'à côté.

— C'est oublié…

— Je m'en veux tellement de réagir ainsi ! continua-t-il. Mais je suis comme un fou quand tu n'es pas là, à plus forte raison quand que je ne sais pas où tu es. Les pires tortures me passent par la tête… Je m'imagine que tu es avec un autre homme… Que tu m'as quitté et que tu ne reviendras jamais. Je souffre à tel point que je serais capable du pire. Sans toi, la vie n'a pas de sens !

Lola était touchée par cet aveu poignant mais elle s'interrogeait également. À savoir, pourquoi pensait-il qu'elle pourrait le quitter ? Qu'elle pourrait le tromper ? Avait-elle fait quelque chose de mal qui puisse tendre dans ce sens ? Ou peut-être avait-il été trahi par le passé ? Il ne lui parlait jamais de sa vie sentimentale d'avant. Quand elle avait tenté de le questionner, au début de leur relation, il lui avait répondu d'un ton évasif, qu'il n'y avait rien à dire sur ses « ex »… que le passé était le passé… et que seul le présent avec elle comptait à ses yeux. Et Lola n'avait plus jamais abordé le sujet.

— Pourquoi penses-tu une telle chose ? Tu n'as pas confiance en moi ? articula-t-elle d'une voix douce en le regardant au fond des yeux.

— Si… Enfin je crois… Ce n'est pas ça…

— C'est quoi alors ? Peut-être que d'en parler pourrait t'aider ? l'exhorta-t-elle à se confier.

— Euh… Je… À quoi bon ? Tu vas me trouver ridicule, marmotta-t-il.

Lola saisit sa main entre les siennes avec beaucoup de tendresse. Elle la pressa avec réconfort pour l'inciter à poursuivre, à lui confier ce qu'il avait sur le cœur.

— Essaie… Je peux tout entendre.

— Avant de te connaître, j'ai vécu trois années avec une femme, commença-t-il son récit d'une voix maladroite. Elle était belle à damner un saint, je l'aimais éperdument et elle m'aimait aussi… Du moins au début je crois, rajouta-t-il du bout des dents. Nous vivions dans notre bulle. J'étais très fier qu'une femme aussi somptueuse, une femme que tous les hommes convoitaient, soit à mon bras. Lorsque nous sortions en société, je me rappelle le regard haineux des autres femmes, pâles de jalousie devant sa beauté et sa prestance ou celui de leurs maris qui enviaient ma place. Elle… Elle s'appelait Clara… Ces situations l'amusaient énormément et elle en jouait ouvertement, à mes dépens. Mais ça, je ne le savais pas encore…

Kévin marqua un temps d'arrêt, perdu dans ce lointain passé. Lola ne le brusqua pas et lui laissa le temps nécessaire pour reprendre son histoire.

— Nous étions fous amoureux. Entre nous c'était l'entente parfaite. Le sexe, le quotidien… on s'entendait sur tout à la perfection. En fait, comme nous le sommes toi et moi aujourd'hui. Un soir, pensant que le moment était venu, je lui ai fait ma demande en mariage. Elle était folle de joie et moi encore plus. Nous avions prévu une grande fête avec nos amis. Seulement, au fur et à mesure que la date approchait, certains de nos amis - il mima des guillemets imaginaires avec ses doigts de chaque côté de son visage - essayèrent de me faire comprendre que je faisais une bêtise. Ils ne savaient pas vraiment comment s'y prendre pour me dire la vérité, ils avaient pitié de moi, d’une certaine façon. Au début, j'ai pris ça à la légère, je me suis dit qu'ils étaient jaloux eux aussi, jusqu'au jour où l'un d'entre eux, très bel homme, m'a mis au pied du mur. Il m'a avoué que Clara l'avait dragué sans vergogne, à mon insu. Il avait tenté de lui résister mais devant les arguments qu'elle affichait et la chair étant humaine, il avait craqué… Il avait fini par coucher avec elle mais l'avait aussitôt regretté. Cette femme est une nymphomane, m'avait-il dit alors. Elle saute sur tout ce qui bouge et prend son pied comme une diablesse. Le sol s'est ouvert sous mes pieds devant l'insinuation de ses propos déplacés. Comment pouvait-il insulter de la sorte la femme que j’allais épouser, celle que j’aimais plus que tout, celle qui faisait battre mon cœur. MA Clara ne pouvait pas être ce genre de femme ! Incapable d'en entendre plus, je me suis rué sur lui pour lui casser la gueule. Tout ce qu'il disait ne pouvait pas être la vérité… Je refusais aveuglément de l'entendre. J’écumais de rage. Je lui ai décoché deux ou trois coups de poing avant que les autres puissent nous séparer. Après un calme sommaire retrouvé, les langues, petit à petit, se sont déliées… Chacun y allait de sa petite anecdote croustillante. Je compris que tout le monde ou presque lui était passé dessus et moi… l'idiot béat d'amour, je n'avais rien vu de son manège. En les écoutant déblatérer tous leurs détails graveleux, mon sang bouillonnait dans mes veines. Cette femme avait fait de moi la risée de mes amis. Anéanti et bafoué, je suis rentré illico chez nous afin d'en découdre une bonne fois pour toute avec elle.

Il but une gorgée du jus d'ananas posé sur la table, marquant une pause.

— Quand je lui ai demandé des explications, Clara m'a tout bonnement ri au nez, m'a traité de naïf, de pauvre type et j’en passe. Comment avais-je pu croire qu'elle allait passer sa vie entière avec un seul homme alors que tant d'autres la désiraient ? Elle aimait la baise, elle en usait et en abusait… J’ai découvert une femme « mante religieuse ». Elle exultait en me disant ça… Tu l'aurais vue, une vraie folle ! J’éprouvais une forte envie de l'étrangler. Je n'en pouvais plus de l'entendre cracher son venin. Manu militari, j’ai attrapé tous ses vêtements et autres effets personnels, je l’ai saisie sauvagement par le bras et je l'ai flanquée à la porte avant de perdre mon sang-froid. J’ai jeté le tout sur le palier… Cette femme et ma vie. J’étais comme un fou. Il fallait que j’évacue toute ma frustration. J’ai fracassé tout ce qui me passait sous les mains. L’appartement ressemblait à un vrai champ de bataille. Une fois calmé, j'ai annulé tous les préparatifs du mariage et je me suis cloîtré chez moi. Je me sentais tellement stupide de m'être fait avoir comme un gosse. J’avais pris une gifle magistrale ! Au fil des jours, je me suis totalement isolé du monde extérieur. La solitude est devenue ma seule compagne. Insidieusement, la dépression s'est installée et je me suis mis à boire. Je voulais chasser cette femme de mon esprit, ne plus penser à elle… Elle m'avait trahi et ridiculisé. Je ne supportais plus ces constatations sur moi-même alors j'ai trouvé mon réconfort dans l'alcool. Au moins quand j'étais ivre, le cerveau complètement embrumé, son image devant mes yeux était floue et finissait par disparaître lorsque je m'écroulais, complètement saoul. Cet état végétatif a duré quelques mois, jusqu'au jour où je me suis réveillé à l'hôpital aux urgences, on m'avait ramassé ivre mort dans la rue… comateux. Je ne sais pas ce qui s'est passé en moi ce jour-là mais cela m'a fait un électrochoc. D'un coup, la médiocrité dans laquelle j'étais tombé m’a paru intolérable. Alors, j'ai décidé de reprendre le contrôle de ma vie. J'avais ma fierté. Je me suis jeté à corps perdu dans le travail, retrouvant petit à petit une vie sociale. J'ai trouvé la force de bannir l'alcool de mon quotidien et peu à peu Clara a déserté ma tête. Mais je demeurais traumatisé, fragilisé par cet échec sentimental cuisant, je me suis donc promis de ne plus jamais m'attacher à une femme aussi ardemment. J'ai eu des amourettes bien sûr mais rien de sérieux… Je consommais c'est tout puis je t'ai rencontrée et tu m'as redonné confiance… En moi… En la vie… En l'amour…

Kévin releva la tête, son regard bleu azur se noya dans les iris noisette de Lola. Une larme coula silencieusement sur sa joue.

— Tu m'as guéri, mon amour… Grâce à toi, je sais que je peux aimer à nouveau ! Je ne conçois pas ma vie sans toi… Rien que de penser que tu peux me quitter est une torture… Je n'y survivrai pas une deuxième fois, laissa-t-il tomber dans un souffle.

À son tour, Lola ne put retenir ses larmes. Elle comprenait mieux à présent, pourquoi il ne lui avait jamais parlé de Clara. Revivre son histoire lui avait beaucoup coûté, il était bouleversé. Jamais Lola ne l'avait vu aussi fragile… Un enfant sans défense, pensa-t-elle en le regardant. La jeune femme était, elle aussi, ébranlée par cette confession et le fait que Kévin ait vécu une expérience amoureuse si douloureuse, si traumatisante expliquait ses changements d'humeur et son comportement impulsif, possessif.

Elle se surprit à détester cette Clara d'avoir fait autant de mal à l'homme qu'elle aimait à présent !

— Kévin… Je ne veux pas te quitter, le rassura-t-elle d'une voix douce. Tu es le seul homme que j'ai jamais aimé et avec lequel je veux passer le reste de mes jours. Je suis à toi et tu es à moi.

Un sourire éthéré se dessina sur les lèvres de Kévin tandis qu'une lueur de contentement brillait dans son regard. Il l'attira doucement contre lui et leurs lèvres se touchèrent. Lola ferma les yeux et entrouvrit légèrement la bouche. Kévin entremêla ses doigts dans sa longue chevelure et caressa sa langue de la sienne avec une infinie douceur. De ses mains, la jeune femme encadra son visage et lui répondit avec passion. Pendant de longues minutes, ils s'embrassèrent à l'unisson, sans aucune fausse note, simplement reliés mutuellement par le plaisir de ne faire qu'un… Parce que c'était un doux baiser… Parce qu'ils s'aimaient d'Amour… d'un amour avec un grand A.

Ce French Kiss, sensuel, passionné, intemporel laissa Lola haletante. Le souffle court, la douce amoureuse ne bougea pas de longues minutes contre sa bouche pour garder encore quelques secondes, derrière ses paupières closes, le frémissement de ce baiser sur ses lèvres.

Une main délicatement posée sur sa nuque, Kévin souriait…

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