Chapitre 1 : Partie 3

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Tous s'installèrent dans la seule pièce existante, prêts à parler sérieusement. Tous sauf Ocrate qui s'écarta du groupe, placé dans un coin de la cuisine, les bras croisés à dévisager les deux invités. Mais cela n'était pas le problème d'Enys, elle commença sans attendre à se plaindre de la situation, ignorant les discrètes pleurnicheries intérieures de son partenaire.

– Erian est un manipulateur, tout le monde tombe dans le panneau, mais ça ne marche pas avec moi. Il fait comme s'il était simplement serviable, mais il agit comme un dirigeant et il ose nous faire croire qu'on est en acratie, soupira-t-elle. Toute cette histoire de porte-parole est ridicule, bien évidemment qu'ils ont plus de pouvoir que les autres, même s'ils ne l'assument pas.

Lycure alla dans son sens comme si ses propos étaient une évidence.

– À partir du moment où la cité est dirigée par une sorte de police des comportements comme les iomons le font, ça me semble difficile de croire qu'on vit tous sur le même pied d'égalité.

– C'est parce qu'il sort l'argument du salaire où tout le monde a l'argent qu'il nécessite même s'il ne travaille pas car on travaille tous pour autrui blabla... roula-t-elle des yeux. C'est pas l'argent le problème, c'est le fait qu'Erian décide de tout en faisant croire qu'il nous demande notre avis.

– Malheureusement, ils ont peur d'avoir un dirigeant à cause des anciennes dictatures. Puis ils se sont donnés du mal pour en arriver là.

– Je préfère un dirigeant assumé qu'un manipulateur comme Erian. C'est quand même à cause de lui si on vit dans ce trou à rats. Il a vu qu'on était un danger alors il nous a exclus de la cité et il ose nous faire croire qu'on est tous égaux, rit-elle sarcastiquement. Ça me soûle, je n'ai plus envie de laisser passer ça.

– Tu vas le tuer et après ?

Elle s'enferma dans un silence, ses pupilles s'affolaient dans tous les sens à chercher une stratégie qui arrangerait les choses. Sans réponse, son amie finit par prendre la parole.

– Tu sais que c'est dangereux. Ça ne passera pas indéfiniment, ils finiront bien par t'attraper.

– Qu'est-ce que je dois faire ? Rester ici à attendre sans rien faire ? Isis, ne sois pas stupide. Il a déjà fait tourner ma soi-disant malveillance à tout le monde. Je ne peux plus sortir dans la rue sans être couverte de regards qui me jugent.

– Je n'ai pas dit ça, mais ne laisse pas ta colère t'emporter. C'est bien si tu prends le pouvoir, mais il faut que tu le fasses dans les règles.

Enys lança un regard insistant à Ocrate qui s'était tu depuis l'arrivée des invités. Ce dernier leva le menton, le visage crispé, cette seule action prouvait que ses doutes n'étaient pas à négliger. Sans rien ajouter de plus, elle renonça à ses valeurs.

– Ça ne marchera pas. Ils tiennent trop à leur régime politique et ils me détestent tous. Ocrate a raison, je devrais peut-être le prendre par la force. Erian ne se gêne pas à faire des coups bas, je ne devrais pas m'en gêner non plus.

Alors que personne n'osa donner son avis sur cette situation aussi délicate, le voisin marmonna quelques mots.

– Tu lui as fait des menaces, Erian doit sûrement avoir demandé à des iomons de le protéger. Il n'est plus aussi facilement atteignable qu'avant. Il faudrait que tu l'attaques quand il est seul.

Isis toisa leur hôte qui les rejetait tant. Elle ne manquait pas d'exprimer son antipathie pour lui, elle ne l'appréciait pas et ne faisait aucun effort pour changer cela, mais cela lui convenait.

– Peut-être qu'Ocrate sait où il habite, non ? Lui qui sait tellement tout.

Celui-ci l'ignora, ce qui suffisait comme réponse, bien évidemment qu'il ne connaissait pas son adresse. Elle continua alors cet échange tout en oubliant sa précédente question.

– Écoute, pour l'instant, tu devrais rester discrète. On trouvera le bon moment pour s'en prendre à ce connard d'Erian, mais là, tu ne peux pas te précipiter, surtout maintenant qu'il t'attend...

– Tu as raison, acquiesça-t-elle. Je suis fatiguée, on devrait se reposer.

Les quatre vaquèrent à leurs occupations, faire une sieste, manger ou regarder la télévision. Ce ne fut que trois heures plus tard qu'ils rentrèrent dans leur habitat respectif, laissant le couple seul. Pour la première fois depuis plusieurs heures, Ocrate finit par retrouver la parole. Il utilisa leur solitude pour étaler son avis sur tout ce qui s'était dit dernièrement.

– Tu vas vraiment l'écouter ? Tu vas attendre que le temps passe comme ça Erian aura bien le temps de se préparer ? T'en as pas marre d'être idiote ?

Elle se figea dans un choc, à le scruter sans répondre pendant un court instant, si scandalisée qu'elle refusait d'admettre qu'il l'avait vraiment dit, puis la réalité lui revint.

– Je n'ai pas envie d'être un tyran, d'accord ? haussa-t-elle le ton. C'est ce que tu veux toi, mais moi non.

– Isis est une conne et toi, tu l'écoutes. Quand Erian va faire demander officiellement à te rechercher pour que tu passes sous le jugement, tu le comprendras.

– Il ne fera pas ça, il tient trop à sa réputation, souffla-t-elle du nez.

– Tu l'as menacé de mort, articula-t-il exagérément en s'approchant d'elle. Il va pas se laisser faire.

Elle le fixa droit dans les yeux, sûre d'elle comme elle ne l'avait jamais été, et répliqua sur le même ton en s'efforçant d'articuler pour dramatiser son opinion.

– Je te dis qu'il n'aime pas les scandales.

Il leva les sourcils, surpris par ce qu'elle venait de dire. Il n'avait pas l'habitude d'être contredit, encore moins par celle-ci, il constatait son acte de rébellion qui n'était que le début de son manque d'emprise sur elle. Il n'allait pas se laisser faire, il voulait avoir le contrôle et il savait comment alors ce fut tout naturellement qu'il retourna la situation sur un ton sarcastique forcé pour exagérer ses sentiments.

– Quoi ? Il te plaît pour que tu sois aussi tendre avec lui ? Parce que c'est pas un gros porc comme les deux autres ?

– C'est sûr qu'il a des qualités que tu n'as pas, joua-t-elle.

La colère le prit, les narines dilatées et les lèvres pincées comme s'il s'empêchait de faire voler insulte sur insulte. Pendant qu'il la menaçait d'un regard noir, il reprit une voix étrangement calme et ne sortit que quelques mots pour réponse.

– Ne joue pas à ça avec moi.

– Alors casse-toi.

– Tu veux que je me casse ? s'écria-t-il avec étonnement tout en pointant du doigt la porte d'entrée comme d'une menace.

– Fais-le.

À la seconde qui suivit, il se précipita vers la porte et quitta le lieu en ne s'empêchant pas de claquer la porte derrière lui.

Les deux soleils écarlates levés, l'un imposant et l'autre plus discret, mais davantage coruscant de sorte à couvrir le ciel d'une couleur fuchsia aux nuances bleutées par des voiles d'étoiles, le deuxième jour de l'assemblée commençait dont la réunion se portait au matin.

La surveillance était décuplée, le nombre d'iomons à l'extérieur du bâtiment avait triplé au point d'en terroriser les habitants. Un grand contrôle des passants insinuait un danger imminent et la discrétion sur l'effroi qu'ils s'apprêtaient à affronter était loin d'être la priorité. Cela s'associait sans doute avec la responsabilité de chacun où cacher les craintes reviendrait à créer une hiérarchisation des citoyens avec un groupe d'individus qui aurait un avantage sur des connaissances acquises. Ou bien cela servait à rappeler à l'ordre les règles de la vie en communauté dont chaque action était étroitement recensée. Cela n'importait que peu, les médias ne s'attardaient que sur les futures décisions prises, c'était l’événement du mois et ça, personne n'allait leur retirer.

De toute évidence, Enys n'était pas la bienvenue suite à la dispute aux nombreux témoins provoquée la veille et les iomons ne l'oubliaient pas. De toute manière, elle ne s'était pas pris la peine de sortir de son appartement, bien loin d'être aussi naïve que certains pensaient.

L'endroit était impénétrable illégalement, la dissuasion suffisait, mais si certains obstinés s'y tentaient, ils n'avaient aucune possibilité de passer les portes. L'assemblée débuta alors naturellement, où tous les élus s'écoutaient et débattaient. Rien n'était alarmant, car tout était habituel.

Mais deux heures plus tard, quand ils s'autorisaient enfin une pause après avoir passé leur temps assis sur les sièges, la banalité de ce jour-ci flancha.

Erian se retrouvait seul dans les toilettes publiques, bien que ses deux iomons surveillaient l'entrée, l'esprit occupé par son futur discours, quand un bruit se fit entendre. Ses pensées s'envolèrent pour ne laisser place qu'à de l'inquiétude. Isolé de toute défense, il n'avait que lui-même sur qui compter en cas d'imprévu.

Son corps s'était retournée à toute vitesse, ses yeux balayaient tout ce qu'ils étaient capables d’apercevoir, son cœur battait sûrement trop vite pour le néant qu'il vivait. Il n'y avait rien. Était-ce son imagination ou un bruit naturel, dans tous les cas, la réponse avait l'air réconfortante. Une expiration pour relâcher ses nerfs, ses paupières fermées pour recentrer ses priorités, ce n'était rien et il s'en convainquait. La tête fraîchement assurée, il fit un premier pas en direction de la sortie, puis son regard suivit. Et la réponse lui vint.

Des cheveux rouges devant la porte, c'était Ocrate droit devant lui qui l'attendait avec un large sourire aux lèvres.

Face à cette menace, le porte-parole se recula par réflexe, tétanisé de voir que sa seule sortie était bloquée par le danger. Il n'avait pas d'autre choix que de l'affronter avec un avenir incertain.

– Qu... Qu'est-ce que tu fais là ?! Si tu ne t'en vas pas alors j’appellerai les iomons derrière cette porte. Et puis... Comment tu as pu rentrer ?! Je ne t'ai même pas entendu.

Le bourreau ne montrait que de l'indifférence face à cette réaction, la tête de ses sourcils vers le haut, il se moquait plus que se protégeait.

– Je ne vais pas te faire de mal, malheureusement... Mais je ne peux pas alors je vais simplement t'avertir.

– M'avertir de quoi... ?

– Je ne suis pas certain encore, s'amusa-t-il. Enys t'en veut vraiment.

Erian ne réfléchit pas une seconde et se scandalisa vivement tout juste après la dernière syllabe prononcée.

– Elle se trompe sur toute la ligne ! Je ne suis pas ce qu'elle prétend. Je ne souhaite que le bon fonctionnement de la cité, je ne suis que sa voix.

– Ça ne peut pas fonctionner correctement quand on est envoyés au jugement à la moindre erreur.

– Les règles sont simples, il ne s'agit que de ne pas faire de mal à autrui. Ceux qui les enfreignent sont dangereux pour notre société.

– Non ! Ceux qui se font juger sont les véritables victimes.

– C'est faux. Depuis ces cinq dernières années, il n'y a eu que deux meurtres et ce sont les victimes d'Enys. Les règles ont une bonne influence et elle a eu de la chance jusque-là que je n'aie pas eu les preuves nécessaires pour qu'elle se fasse juger, mais je refuse d'être tué sans que justice ne soit faite.

Ocrate laissa échapper un léger rire, s'amusant de la situation qu'il tenait entre ses mains. Tout allait dans son sens, il maîtrisait les moindres faits et gestes, il savait jouer avec les mots pour obtenir ce qu'il voulait. C'était un manipulateur qui cachait bien son jeu, c'était là sa réelle arme.

– Tu le verras depuis l'au-delà. Prépare-toi, tu n'en as plus pour très longtemps.

L'élu lui lança un dernier regard gorgé d'inquiétudes, sa respiration accentuée par sa maîtrise de soi pour ne pas partir dans les tours, et prit son courage à deux mains en lui passant devant et sortir des toilettes.

Malgré l'innocence de ce passage où seuls des paroles en l'air avaient été prononcées, il passa le reste de l'assemblée à cogiter sur ce qu'il venait de vivre. Ce n'était pas grand chose, mais s'il s'avérait être véridique, les conséquences pourraient être lourdes et ça, il n'y passait pas à côté. Il passa les débats dans un profond silence, à peine à l'écoute de ce que racontaient ses collègues, comme si son rôle ne lui tenait plus à cœur et qu'il pensait à sa véritable personne. De toute manière, son statut ne lui permettait pas de se sauver, il était question en réalité d'une lutte bien pus personnelle.

À l'inverse, Ocrate passa rapidement à autre chose en s'occupant l'esprit par la dispute qu'il avait eu la veille. Après plusieurs heures, il était planté devant la porte d'entrée de son logement à réfléchir à son prochain comportement.

Finalement, il se décida à passer à l'action et pénétra le lieu. Il vit Enys vautrée dans son lit à se divertir par la télévision et ignorer sa présence. Il commença intelligemment par s'excuser d'une voix affectueuse et tendre.

– Ma puce... Je tiens à te présenter mes excuses. Entre nous deux, c'est moi l'idiot. Et même si je ne suis pas d'accord avec toi, je me dois de respecter tes désirs. Je sais que c'est important pour toi de faire les choses de la bonne manière alors je te soutiendrai.

Elle expira intensément de désarroi, le regard dirigé vers l'opposé afin de cacher ses ressentis, une certaine démoralisation à force de cogiter sur ce qu'ils s'étaient dit.

– T'façon... C'est pas comme si j'étais quelqu'un de bien.

Il la rejoignit dans le lit, s'asseyant à ses côtés, et la fixa droit dans les yeux.

– Mais qu'est-ce que tu racontes, tu l'es.

– J'ai tué deux personnes, ça serait se foutre de la gueule du monde de penser ça.

– Tu l'as fait pour de bonnes raisons. Et oui, elles existent malgré ce que notre société peut croire. Tout le monde ne mérite pas d'être puni pour s'être défendu.

– Alors Erian ne mérite peut-être pas ça, se confit-elle en tournant son regard vers lui.

– Tu sais très bien ce qu'il est.

– J'en sais rien... soupira-t-elle à nouveau. Je me dis que s'il était vraiment ce qu'on pense... Je sais pas... Il aurait agi.

Il se contenait, les nerfs à vif, le visage fermé, sur le point d'exploser, mais il ne dit rien. Il était perdu dans le vide, à se ressaisir avant de commettre l'irréversible. Il prit une discrète inspiration, tout son sang-froid réuni. C'était alors qu'il esquissa un sourire chaleureux et lui prit la main. Son expression était devenue opposée, un masque qui cachait parfaitement ses réelles émotions. Pour continuer sa manipulation, il engagea une plaisanterie lui trottait derrière la tête afin de détourner l'attention du véritable problème.

– Je vais vraiment finir par croire qu'il te plaît.

Cette dose d'humour apaisa les peines bien qu'elle fut de courte durée. En quelques minutes, le visage d'Enys apparut sur l'écran de la télévision. Cette dernière se redressa jusqu'à se précipiter vers le pied de son lit comme si s'approcher de l'objet lui facilitait le traitement des informations qu'elle vit. À partir de là, ses narines se dilatèrent, sa respiration s’accéléra et sa voix s'emporta.

– Mais il est pas sérieux ce connard ?! se tourna-t-elle vers lui. Il vient de faire une demande de recherche pour me chopper !

Ocrate resta calme, par ailleurs, ses muscles se détendirent comme s'il éprouvait un étrange soulagement. Ses narines se replacèrent naturellement et ses mâchoires s'ouvrirent enfin, il devint méprisant comme si toute la situation se trouvait dans le creux de sa main. Il était appuyé sur la tête du lit, prenant son temps avant de trouver les mots parfaits pour continuer son projet.

– Comment aurait-il pu faire cette demande sans aucune preuve ?

– Il a menti ! Regarde, il raconte qu'Elwynn et les deux iomons sont témoins de mes menaces de mort.

– Personne d'autre que lui ne t'a entendu ?

Elle s'agenouilla sur sa couverture, son corps face au sien.

– Bien sûr que non ! Je te le jure. Il leur a demandé de mentir ! Elwynn n'était même pas encore là et les deux flics étaient à plusieurs mètres. Alors, je veux bien admettre qu'ils ont une ouïe fine, mais s'ils m'avaient entendu sur le moment, ils m'auraient arrêté sur-le-champ. Son histoire ne tient pas la route.

Il expira de désespoir et haussa simplement les épaules. Cela ne l'intéressait guère, après tout, il avait déjà la réponse. Les choses avançaient et c'était tout ce qui comptait pour lui. Il mit fin à cette perte de temps de comprendre les raisons et alla droit au but.

– Qu'elle tienne la route ou pas, ils s'en foutent. Le fait est que maintenant, tu es recherchée par les iomons pour te faire juger.

– Plus jamais je ne douterai de moi. Erian est vraiment une merde. Et il veut nous faire croire qu'il a des valeurs, dit-elle en imitant des guillemets avec ses doigts.

– Qu'est-ce que tu veux faire ?

– Je n'ai plus le choix. J'aurais dû t'écouter dès le départ. Maintenant, je suis coincée. Le peu de culpabilité en moi vient de disparaître. Je vais l'attraper, le tuer et m'imposer dans Elesi, que ça plaise ou non.

– Tu devrais faire attention quand même.

– Je préfère mourir que de devenir un serviteur.

Sa détermination fit capituler Ocrate, cela l'arrangeait bien au fond de lui, elle venait d'accepter ce qu'il désirait au plus haut point. Elle allait faire preuve d'un sadisme bien placé. La guerre était déclarée entre elle et Erian et il était hors de question qu'elle se laisse vaincre.

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