3/4 - L'attrait du monstre

2 minutes de lecture

Pourquoi aimons-nous les monstres ?

La question reste légitime. Nous savons à présent que les dragons et les chimères n’existent pas, que les habitants des contrées lointaines ne possèdent un seul pied dont ils se servent comme parasol ni de tête de chien, que la naissance d’un être mal-formé n’est pas un présage de catastrophe, mais un problème médical. Même les cryptozoologues, qui recherchent les « grands » animaux non répertoriés, restent - pour les plus sérieux du moins -- sur le terrain de la vraisemblance. À défaut de mystères, la violence de notre histoire ne nous offre plus que la monstruosité d’humains en apparence « ordinaires ».

Néanmoins, le monstre continue d’exercer sur nos contemporains une réelle fascination, en partie parce qu'il incarne nos peurs les plus profondes. Par le passé (comme encore parfois aujourd’hui), les monstres qui hantaient les légendes donnaient corps à des terreurs non formulées ou servaient à expliquer un monde vaste et méconnu. Dans nos sociétés scientifiques et sécurisées, le monstre fictionnel ingénieusement mis en scène, qu’il soit une créature venue de l’espace lointain ou un serial-killer, a pour fonction de maintenir actif notre instinct de préservation tout en nous évitant le stress destructeur que nous ferait endurer un danger véritable. Sous la forme d’un animal démesuré aux réactions imprévisibles et meurtrières, il nous rappelle l’existence de forces naturelles envers lesquelles nous éprouvons un mélange de terreur et de respect. D’un autre côté, un monstre ridicule dédramatise ces craintes.

Encore aujourd’hui, le monstre, parce qu’il défie l’ordre établi de la nature représente l’élément chaotique qui intervient dans un monde bien ordonné. Par son aspect et son comportement repoussant, il facilite notre travail d’identification avec le héros, porteur de valeurs positives, qui le combat. Néanmoins, l’ambiguïté qui survit dans le discours moral du XIXe siècle vient mitiger cette approche : malgré son apparence hors-norme et étrangère, le monstre peut être gentil, à l’instar du Casimir de notre enfance : intégré dans la société des hommes, il est un symbole d’acceptation de la différence et de tolérance, ce qui n’est pas sans entraîner des situations parfois dramatiques, parfois cocasses.

Enfin, venons-en au problème de la séduction que ces créatures exercent sur nous. Par nature, le monstre est un déviant, rejeté de l’ordre traditionnel dont il viole involontairement (ou parfois volontairement) la règle. Il évoque l’interdit et toute la dimension excessive que nous réprimons. Parce que la civilisation nous pousse au conformisme, nous éprouverons de la sympathie pour un monstre laid, sale et bête, qui n'est soumis à aucune contrainte. La sexualité débridée d'un satyre ou d’une succube représente un idéal de la liberté absolue de jouissance. La violence même dont fait preuve une créature imaginaire peut refléter nos pulsions les plus profondes. Certains monstres sont passés au-delà de la "normalité" pour avoir conclu un marché avec des forces sombres, pour goûter à des fruits défendus tels que l'immortalité ou un pouvoir sans limites... En les regardant, le rejet le dispute à l'envie, à cette tentation auquel il est humain de céder.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Beatrice Aubeterre ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0