Chapitre 1 第1章

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Partie 1: Yoshito Torai, l'homme aux errances

Seul dans son bureau, le directeur de la firme Yoksu achevait son inspection quotidienne des rapports de profits. La journée avait été particulièrement éprouvante et il lui semblait que les chiffres dansaient devant ses yeux sur l'écran luisant. Sauvegardant les données, il referma l'ordinateur et la pièce se retrouva aussitôt plongée dans une quasi-obscurité.

Une panique insensée s'empara de lui et il écarta immédiatement les grands rideaux qui couvraient les vitres de son bureau. La lumière des néons de la ville illumina l'espace, dessinant des ombres sur les murs. Il appuya son front en sueur contre le verre froid, tentant désespérément de reprendre le contrôle de son rythme cardiaque.

Du calme. Il n'y a rien de plus dans la noirceur que dans la clarté. Tout ira bien, tout ira bien... Je suis seulement un peu fatigué.

Yoshito se redressa, regardant frénétiquement autour de lui. Il n'y avait personne, évidemment. Quel scandale cela aurait causé si quelqu'un avait été témoin de son déraillement... Il devait absolument se reprendre en main et faire taire ces émotions importunes.

Avec un soupir d'agacement envers lui-même, il attrapa son téléphone portable et composa le numéro qu'il appelait tous les soirs, chaque fois à des heures un peu plus impies au fur et à mesure qu'il prenait l'habitude de veiller dans son bureau.

«-Monsieur Torai!» s'exclama une voix masculine à l'autre bout du fil. «Nous n'attendions plus votre appel...»

Yoshito se mordit la lèvre, et demanda en essayant de ne pas mettre trop d'espoir dans sa voix:

-Avez-vous des nouvelles de Naoko?

Il y eut un moment d'hésitation et il sut avant même de recevoir la réponse qu'elle serait négative.

«Non. Il est très ardu de retrouver sa trace. Nous avons mis notre élite de détectives sur le dossier, mais sachez qu'une personne qui ne veut pas être retracée use de toutes les astuces pour se dissimuler. Votre sœur ayant également une certaine fortune et de bons contacts partout dans le monde, il est encore plus difficile de trouver quoi que ce soit sur elle,» expliqua son interlocuteur.

Yoshito serra les poings d'impuissance. De l'autre côté, la voix se fit plus douce pour dire avec sympathie:

-Je suis désolé.

«Vous êtes tous virés,» murmura Yoshito à voix basse dans le combiné.

-QUOI?

-Vous m'avez très bien entendu.

-M-Mais Monsieur, réfléchissez! Nous avons mis à part nos autres opportunités pour vous aider... Il sera impossible pour nos employés de se retrouver du travail s'ils n'achèvent pas la quête avec une rémunération...»

Il y avait une vraie panique dans la voix de l'interlocuteur et Yoshito y coupa court.

-C'est ce qui se produit quand on est trop imprudent pour ne pas me faire signer de contrat, et trop incompétent pour trouver quoi que ce soit.

Sur ces mots, il raccrocha instantanément et remit son portable dans sa poche sans s'y attarder davantage.

«Je vais devoir engager une nouvelle équipe de détectives,» songea-t-il en secouant la tête. «J'espère que cette fois ils tiendront plus longtemps qu'un mois.»

Yoshito s'apprêtait à quitter son bureau quand une enveloppe rose posée près de son ordinateur attira son attention. Comment était-elle arrivée là... ? Vraisemblablement, elle devait y être depuis le début de la journée puisqu'il n'avait pas quitté la pièce. Il la saisit et la retourna.

Quand ses yeux tombèrent les quelques mots inscrits au verso, il eut l'impression que le temps s'arrêtait.

De Naoko Torai 虎井直子

À grand frère 兄

Ce n'est pas possible. C'est une blague? Cela fait trois ans que je n'ai pas eu la moindre nouvelle de Naoko...

Avant même de pouvoir s'arrêter pour réfléchir, ses doigts, automatiquement, décachetèrent la lettre, brisant le motif parfait de fleur de cerisier dessiné sur la ligne de scellage. Il en tira une feuille de papier d'un blanc immaculé avec quelques kanjis dessinés d'une main experte. C'était elle. Sa façon bien à elle de dessiner les traits fins et les caractères à l'encre. Avant de les lire, il prit une grande inspiration, très ému. C'était la première trace de sa sœur depuis si longtemps... Elle avait tenu cette lettre entre ses mains, s'était appliquée à l'écrire, seulement pour lui.

親愛なる兄、

Cher grand frère,

私はまだ死んでいない。

Je ne suis pas encore morte.

もちろん、あなたはそれについて心配しません。

Mais bien sûr, tu ne t'en préoccupe pas.

すべての私の愛で、

Avec tout mon amour,

虎井直子

Naoko Torai

Une fois sa lecture terminée, Yoshito Torai laissa la lettre retomber là où il l'avait prise. Lentement, très lentement, il s'agenouilla sur le sol, cachant son visage dans ses mains. Il voulait crier. Pleurer. Mais c'était impossible. Il n'y avait plus qu'une douleur sourde qui passait dans son corps et ses lèvres s'ouvraient en vain.

Pourquoi m'as-tu fait cela, Naoko?

Il se leva brusquement et attrapa son manteau, quittant la pièce le plus vite possible. Rester dans cet endroit silencieux lui était insupportable. Il lui fallait quelque chose pour le distraire. Pour lui faire oublier.

En sortant de l'ascenseur, il croisa son regard dans un miroir accroché au mur du couloir. Ses yeux bridés étaient vides de toute expression, cernés et son teint était pâle. Il avait en face de lui le reflet d'un homme qui n'avait même pas encore atteint la trentaine et qui tentait de ne pas s'écrouler sous le poids des remords et des responsabilités.

Il tourna le dos au miroir. À lui-même.

Yoshito Torai était le fils aîné du propriétaire de la compagnie Yoksu, spécialisée dans la fabrication et la vente de produits électroniques. À la mort de son père, il avait hérité de la totalité de l'entreprise familiale par testament, alors que sa jeune sœur, Naoko, avait bénéficié d'un montant d'argent. La cause était qu'elle avait reçu un diagnostic de cancer du sang un peu avant la mort du paternel.

Depuis l'enfance, Naoko rêvait de diriger l'entreprise aux côtés de son grand frère adoré. La nouvelle de sa maladie l'avait déjà durement frappée et savoir qu'en plus, tous ses rêves d'avenir se brisaient avait été de trop. Elle avait disparu par une soirée d'hiver et Yoshito n'avait reçu aucune nouvelle d'elle jusqu'à cette lettre, malgré ses efforts pour tenter de la retrouver.

Comment pouvait-elle croire qu'il ne se préoccupait pas d'elle?

L'homme soupira de chagrin et de frustration. À tous les jours de sa vie, il travaillait pour elle, fauchant sans pitié la concurrence et recourant à des moyens plus ou moins légaux pour faire fructifier la compagnie. Il faisait tout cela pour Naoko. L'entreprise lui importait peu, mais elle aurait voulu la voir propulsée vers le sommet. Il avait refusé de croire à la mort de sa sœur malgré toutes les probabilités...

Yoshito sortit dehors, refermant à clé la porte de sortie des employés. Elle donnait sur une ruelle obscure et le vent le fit frissonner. Cette nuit d'hiver était particulièrement froide, comme celle qui avait été le théâtre de la disparition de sa sœur et il resserra son long manteau noir autour de sa taille, s'enfonçant les mains dans les poches. Il descendit jusqu'à la rue principale où quelques voitures passaient encore malgré l'heure tardive. La ville ne prenait jamais de repos.

Il évitait de regarder les vitrines des commerces fermés. Sa silhouette s'y reflétait et il lui semblait qu'il avait l'air d'un fantôme errant, ses cheveux noirs voltigeant dans le vent frisquet, la tête courbée et le regard trouble.

Ce fut cependant en regardant par inadvertance l'une d'entre elles qu'il s'aperçut qu'il était suivi.

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