Le brave

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Bertrand Pascal se rendait comme tous les jours au bureau à cent lieues d’imaginer que ce serait une de ces dernières fois. Il travaillait depuis seize ans dans la même entreprise et ses collègues auraient parié qu’il continuerait ainsi jusqu’à la retraite.

Il avait commencé en tant qu’apprenti à l’usine CABOTUX, fabricant d’embouts plastiques et caoutchouc, à classer des petits machins par genre et par taille dans des casiers. Bon exécutant, il fut promu de service en service jusqu’à se retrouver au poste d’assistant administratif. Ainsi, il maitrisait une centaine de codes d’embouts de toute sorte, enveloppants, carrés, ronds, rectangulaires, lisses ou à ailettes. Cela occupait une grande partie de son cerveau et lui facilitait surtout ses tâches quotidiennes de « vendeur sur le papier ».

Son collègue Benjamin, lui, était le commercial, le vrai. Celui qui voyageait à l’international et qui passait ses déjeuners à pipoter ses partenaires, à magnifier la qualité des produits, et à miroiter des merveilles sur l’approvisionnement et le respect des délais. Ses comptes-rendus avaient d’ailleurs le don d’enrager Bertrand, l’exécutant de l’ombre, car la réalité des stocks à laquelle il était confronté s’avérait bien différente. Sa boite mail croulait sous les courriels impatients.

Trouver des réponses valables était devenu son cauchemar quotidien. Un vrai boulot d’investigation perdu d’avance, car il connaissait la faille. Elle appartenait au monde impalpable du non-dit, du « c’est comme ça », « débrouillez-vous » ou encore « faites patienter ». Soit il supprimait les renvois de mails du partenaire excédé, soit il évitait de décrocher le téléphone jusqu’au jour où, par défaut, il se devait de commenter ce qu’il pouvait, du vent, le plus souvent. Par dépit, il finissait par bricoler des explications futiles et imprécises, qui arrivaient rarement à duper son interlocuteur. Leur retour implacable de froideur lui provoquait des aigreurs d’estomac. Il enrageait derrière l’écran, se réfrénait de ne pas pouvoir hurler qu’il bossait avec une bande de pieds cassés.

Des promesses, toujours des promesses. Rien de concret, rien de vrai. L’honnêteté aurait peut-être résolu ses problèmes de culpabilité induite, mais ses partenaires en auraient surement profité pour lui mettre encore plus la pression. Il gardait donc ce cap absurde et contrariant et se sentait telle une marionnette en chiffon que l’on boxe dans tous les sens et qui a l’air d’aimer ça tant elle se tait. L’impuissance à son paroxysme. La stratosphère de l’à peu près où rien n’est défini, mais où tout est désagréable. L’embouchure des égouts où s’accumule tous les étrons et font boule de bouse, bouchon.

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