Chapitre 8

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« Comment moi, une adolescente tout ce qu'il y a de plus banale a pu tomber en dépression sans que personne ne s'en aperçoive. »

« J'ai commencé à me poser des questions... À quoi servais-je ? (...) »

« Je me suis tailladée (...). Je me sentais mieux. »

« Elle est dépressive, et que font les dépressifs en stade final ? »

« Elle va tenter de mettre fin à ses jours »

Toutes ces phrases se répétaient sans cesse dans l'esprit du jeune Hayes. Maintenant, elles apparaissent comme une évidence à ses yeux. Pourquoi ne les avait-il pas vu avant ? Pourquoi n'avait-il pas compris ? Pourquoi était-ce Alex, l'éternel niais et “imbecile” de service et pas lui Caleb, celui qui était plutôt, voir très, intelligent pour son âge ? Tout simplement parce que son inconscient avait rejeté cette idée dès le début. Elle, mourir ? Impossible. Les gens qui se suicidaient, c'était toujours les autres. C'était des gens seuls, sans personne. Alors qu'elle, elle avait.. Une famille. Peut-être pas parfaite, mais son père était toujours là, non ? Et puis elle devait toujours avoir des amis, tout le monde en avait. Enfin... Peut-être pas elle. Ou en tout cas, elle en avait peu, vue ce que lui avait fait subir ses anciens amis dans les lettres.Par exemple, ce petit Gros, Palmito et Palmita ! Elle l'avait bien dit que c'était des gens bien... Mais trois amis, pour une personne... C'est peu, trop peu. Même si Caleb ne le montrait pas souvent, il était réellement heureux d'avoir des gens sur qui compter. Il n'avait pas à se plaindre de sa vie, ça aurait été égoïste. Il n'avait jamais connu de période très difficile, comme elle. Son enfance avait été banale, heureuse, innocente. Sa primaire, toute aussi calme. Son collège, une période remplie de souvenirs heureux et joyeux. Le lycée, premières soirées, premières cigarettes, premières cuites, première fois. L'innocence d'avant qui se craquelle, pour modeler l'adulte prochain. Bref, il avait vécu un début de vie que presque tous avaient vécu.

La dépression. C'était un mot totalement abstrait chez lui, qu'il n'utilisait que pour blaguer, pour exagérer de temps à autre. Pour lui, les dépressifs étaient des gens faibles, qui tremblaient, qui voulaient se jeter sous les roues d'une voiture dès qu'ils en croisaient une, qui étaient “nés” comme ça. Mais maintenant, il se rendait compte combien il avait des idées clichées. Caleb, malgré la nuit bien avancée, se dirigea vers son ordinateur. Il en ouvrit le clapet et un ronronnement sourd sorti de la machine. Dès que l'écran s'afficha, l'adolescent tapa frénétiquement sa recherche dans la barre Google. Il visita plusieurs sites, plus ridicules les uns que les autres. Les gens se disaient atteints de dépressions romanesques. Alors qu'il allait abandonner, il se décida à cliquer sur le dernier site affiché. Et Caleb se mit à lire. Sans s'arrêter, découvrant petit à petit des similitudes troublantes avec les lettres de la jeune fille.

« L'âge le plus touché : plus de soixante dix-ans, mais elle apparaît le plus souvent à la fin de l'adolescence ou au début de l'âge adulte » C'était son cas.

« Causes: le milieu de vie (conditions économiques difficiles, stress, isolement social) et les événements de la vie (divorce, maladie, traumatisme vécus dans l'enfance, ...) » Pareil.

« Complications : Suicide, deuxième cause de mort chez les adolescents ou jeunes adultes. » Peut-être pour bientôt.

« Reconnaître la dépression : chez les adolescents (filles principalement touchées) : tendance à l'isolement, désinvestissement dans les études, signes d'automutilation, verbalisation d'idées suicidaires. » Encore une fois, elle en avait fait une très grande partie.

Sa famille aurait dû comprendre, sa famille aurait dû voir. C'était le rôle de son père, ou de sa mère de réagir. De s'occuper d'elle. Pas à lui ! Il n'était qu'un inconnu parmi tant d'autres, qui porterait peut-être sa mort sur sa conscience. Est-ce que c'était normal ? Elle n'aurait jamais dû connaître tout ça, personne ne devrait avoir à vivre ça. Les gens qu'elle avait croisées dans sa vie mis à part ce “Bobo” qui était réellement, d'après Caleb, une « belle ordure»- ne s'étaient sans doute pas rendus compte du mal qu'ils faisaient. Ils avaient sans doute déjà oublié le passage de cette fille dans leur vie, et étaient passés à autre chose.

Jeudi 14 Février 2020

7h48, domicile Hayes.

Caleb s'était endormi, quelques temps après avoir lu cet article sur Internet. La fatigue, due aux heures d'insomnie des nuits précédentes, avait eu raison de lui. D'ailleurs, il se sentait beaucoup mieux maintenant qu'il était un peu reposé. Il pourrait sans doute mieux chercher cette auteure. Mais il était hors de question de montrer une seule des lettres à Alex. Ce dernier n'avait pas à connaître sa vie, c'était à Caleb et lui seul de la retrouver. Après tout, c'était à lui qu'elle avait demandé... Inconsciemment, il avait commencé à s'attacher à l'auteur. Il la connaissait un peu mieux chaque jour. Il connaissait mieux son histoire, son caractère. Il la voyait... À vrai dire, il ne l'imaginait pas trop. Le jeune homme ne voulait pas mettre de visage sur cette fille, il essayait juste d'imaginer ses traits de personnalités.

Elle semblait incroyablement naïve, fragile, mais terriblement gentille. Quelque chose dans ses lettres qu'il ne saurait pas expliquer, donnait l'impression d'une incroyable douceur. Et un sentiment d'infériorité se dégageait de ses mots. Tant de sentiments contradictoires, sans doute poussés par cette dépression. Il avait lu aussi, que les dépressifs passaient souvent d'un sentiment à l'autre. C'était pour cette raison que certains les dépressifs adolescents étaient très difficiles à repérer. On pouvait confondre ces changements d'humeur avec la « crise d'adolescence ». Mais les marques sur ses bras... Elles, elles n'étaient pas dues à cette crise. Alors, encore une fois, pourquoi personne ne réagissait ?

Caleb ne prit même pas la peine de descendre dire bonjour à ses parents, et pris directement le chemin du lycée. Il avait envie de marcher, de faire un détour par le parc qui jouxtait son quartier. À cette heure matinale, il n'y avait personne dans les rues. Les habitants de Konoha étaient encore couchés, ou bien chez eux en train de se préparer pour une nouvelle journée. Et elle, elle était quelque part dans cette ville. Peut-être qu'elle prenait un café, peut-être qu'elle se coiffait. Ou peut-être qu'elle lui écrivait la prochaine lettre. Caleb n'allait en cours que pour recevoir ces lettres. Il savait que toute la journée, il n'attendrait qu'une chose : le moment ou il commencerait sa lecture. Et pourtant, il n'avait aucune idée de quand il pourrait enfin le faire. Le matin, à midi, le soir. C'était une sorte de torture pour lui.


Heureusement, cette journée ne serait pas très longue. Il n'avait qu'une matinée, son professeur d'éducation physique étant absent. Il aurait donc toute l'après-midi pour se mettre sérieusement à la recherche de cette fille. S'il devait chercher dans les annexes du lycée bien qu'interdites aux élèves, il le ferait. Sans hésiter une seule seconde. Les rues se remplissaient de jeunes, de voitures, de bruit. Il tourna les talons, et retourna sur ses pas pour rejoindre Alex, devant chez lui. Tant pis, il ne pourrait pas passer par le parc finalement. La discussion de la veille avait fait beaucoup de bien au brun. Se libérer l'avait en quelque sorte aidé à avoir un autre regard sur les lettres. Et puis surtout, Alex avait soulevé une hypothèse que Caleb n'avait même pas voulu envisager. Il secoua violemment la tête, ne voulant pas y repenser pour le moment.

Il souhaitait que sa tête se vide totalement, qu'elle arrête de lui faire mal. Il augmenta le son de son baladeur, au point de se détruire les tympans. Mais il s'en foutait, parce qu'il ne pensait plus à elle. Ou moins. Il s'amusait à faire de la buée avec sa respiration. Il faisait si froid, qu'elle donnait l'impression d'être de la fumée de cigarette. Ça lui rappelait les jeux qu'il faisait avec Alex, à faire comme s'ils fumaient devant les jolies filles. Quels gamins, mais qu'est-ce qu'ils pouvaient s'amuser. Maintenant, ils fumaient pour du vrai. Les jolies filles étaient devenues idiotes et fades. Et la cigarette n'avait plus rien d'amusant.


 Caleb sursauta violemment lorsqu'il sentit une main appuyer sur son épaule. Mais fut vite rassuré lorsqu'il reconnut les yeux bleu de son meilleur ami. Il paraissait de très bonne humeur, une sorte de soleil illuminait son visage.


  • Salut vieux ! S'exclama le blond. Je t'ai trop fait flipper, hein ? Je t'ai appelé, mais tu ne répondais pas.

  • J'écoutais ma musique.

  • Je sais, j'ai entendu de ma boîte aux lettres.

  • C'est pour ne pas penser... Marmonna Caleb.

Le blond ne répondit rien. Il n'y avait rien à répondre après tout. Il y eut un blanc, entrecoupé par la respiration bruyante d'Alex et le vent qui soufflait dans les arbres. Comme un seul homme, les deux amis se remirent à marcher sans bruit.


  • Sinon, t'es prêt pour la patinoire avec Amanda ?

Alex fut légèrement étonné que Caleb reprenne la parole avant lui, puisque d'habitude s'était toujours lui qui commençait les discussions. Mais il comprit bien vite que Caleb avait besoin qu'on lui change les idées. Et Alex comprit que c'était cette fois-ci à lui de l'aider.

  • Franchement ? Je flippe trop. Tu m'as déjà vu avec des patins ! Je suis pire que ridicule.

  • Oh oui, je le sais ça, s'esclaffa son ami, on a déjà testé ensemble.

  • Me le rappelle pas... Grogna Alex.

  • Le plat que t'avais fais ! Inoubliable.

Caleb rigola de plus belle à l'évocation de ce souvenir. Alex se renfrogna légèrement devant cet événement plus que gênant, avant de partir lui aussi dans un éclat de rire. Les passants sourirent gentiment à la vue de cette scène. Une symbiose parfaite, la plus belle démonstration d'amitié.


   L'immense bâtiment du lycée se dessinait à l'horizon. Les rires s'atténuèrent d'eux même, et leur moral redescendit d'un cran. Encore une journée enfermés dans cette prison. Aucun des deux n'avait jamais été très scolaire. Alex voulait devenir maire, alors il se disait qu'il n'avait pas vraiment besoin de faire de grandes études. Et Caleb savait déjà qu'il voulait reprendre le flambeau de son père au sein de l'entreprise familiale. Leurs parents avaient beau leur répéter qu'il leur fallait des diplômes pour cela, ils ne les écoutaient que d'une oreille.


 Andrew discutait avec une jeune femme brune à la coiffure plus qu'atypique. En effet, depuis sa plus tendre enfance, elle ramenait ses longs cheveux en deux chignons à chaque coin de sa tête. Cette coiffure lui avait valu des surnoms allant de " Panda-girl ", à Mikey, passant par Padmé amidala pour les plus idiots, en référence à la princesse de StarWars connue pour ses coiffures. Pourtant, ces remarques ne semblaient jamais l'atteindre. Rien ne semblait jamais l'atteindre. Elle était toujours souriante, sûrement un peu trop. À chaque pique, elle dévoilait largement ses dents alignées répétant inlassablement " la bave du crapaud n'atteint pas la blanche colombe " avant d'exploser d'un rire trop doux pour être vrai. Andrew n'avait jamais vraiment été très à l'aise avec cette fille.

 Il sentait quelque chose de tellement faux, une telle recherche de la perfection que c'en était gênant. D'ailleurs, il se demandait pourquoi elle était en train de lui parler. Les rares fois où ils s'étaient adressé la parole, Aaron était présent. Elle le suivait presque partout, essayant de lui faire comprendre qu'il l'intéressait clairement. Mais le cousin d'Amanda semblait ne pas vraiment s'en rendre compte. Un léger soupir de soulagement traversa ses lèvres lorsqu'il aperçut Alex et Caleb s'approcher d'eux. Il savait que Caleb et Stacey, la jeune brune, ne se supportaient absolument pas. D'ailleurs, aucun des deux ne s'en cachait et n'hésitait pas à le montrer.


  • Salut Andrew!

  • Bonjour vous deux.

  Alex fit un léger signe de tête en direction de Stacey en guise de salut.

  •  Bon, déclara-t-elle, je vais vous laisser. J'aperçois Taylor là-bas. À plus tard, Andrew.

  • A plus.

  • Elle te voulait quoi ? Demanda Caleb, une fois la brune partie.

  • Rien, on discutait juste. Au fait, vous vous reparlez ça y est ? Vos gamineries sont terminées ?

  • Tu sais bien que Caleb ne peut pas se passer de moi, se vanta Alex.

  • C'est plutôt le contraire ouais ! »

   Les trois amis pénétrèrent dans le grand hall de l'établissement, puis dans leur salle de biologie. Le professeur entra au même moment, demandant le silence, et débuta son cours dans un silence presque religieux.

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