Voilà Europa...

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 Nous partons de nuit après avoir pris un bon repas. Je n'avais pas aussi bien mangé depuis un bon moment. Le chemin risque de ne pas être simple et surtout long, il aurait été dangereux de ne pas être suffisamment rassasier.

 Nous voyagons vers l'Ouest pendant de longues journées, sans nous arrêter pour autre chose que de faire le plein de fournitures. Nous n'avons pas croisés de réels dangers, à part quelques animaux. Les températures sont douces même en hivers, une conséquence de la guerre nucléaire. Nous avons traversé la Biélituonie, puis la Pologne. Nous ne sommes plus très loin de la frontière allemande de l'Europa. Les passeurs décident de faire une pause à Poznań. Je m'approche donc de Lev pour le questionner.

  • Pourquoi on s'arrête ici Lev ?
  • Nous sommes à moins de 50km de la frontière. Nous allons devoir vous laisser à la zone de non-droit délimitée par Europa.
  • La zone de non-droit ? questionné-je intriguée. J'ai étudié le système Europan, pourtant je n'ai jamais entendu parler de ça.
  • Une zone exclusivement réservée à la navigation des soldats. S'ils voient un groupe entier de personnes armées, ils vont nous tirer dessus. A deux, vous aurez l'air moins suspectes. Vous n'aurez qu'à dire que vous venez tenter votre chance. Au fait, ils ne parlent pas russe alors n'essayez pas.
  • Je sais. J'ai appris la langue d'Europa. Alors, vous nous lâchez où exactement ?
  • La zone est à 150km. On s'arrête un peu pour le repos, certains vont repartir directement à la maison. Les autres vous accompagnent jusque là-bas. En attendant, tu peux prendre tes aises pour te reposer car tu n'en auras pas le temps demain.
  • Merci, Lev.

 Je me balade à travers le petit campement établit par le groupe en banlieu de la ville. Aleksandra s'est remise de la mort de Ian. Il ne méritait certainement pas ça, il aurait pût vivre et même rejoindre ces passeurs. Elle discute avec la femme qui m'a soignée quelques jours auparavant. Je m'approche alors et me pose à côté, sur une petite caisse de bois. Un homme, qui est avec elles, me tend une bouteille de vodka. J'accepte.

  • Merci, c'est quoi ton prénom ? demandé-je en souriant. Il me répond sur le même ton.
  • Sergei ! Et toi, c'est Lina c'est ça ? Ta soeur m'a parlé de toi !
  • Ma soeur, parler de moi ? C'est impressionnant ! Et qu'est-ce qu'elle a dit ?
  • Bah...elle a surtout dit que tu aimais bien l'Histoire et que tu voulais rejoindre l'Europa. Je te souhaite bon courage, j'ai eu l'occasion de parler avec des personnes ayant échouées au test, et c'est pas facile facile faut dire.
  • Europa est une méritocratie. Je me suis intéressée au fonctionnement, répondis-je avec fierté. Ils ne gardent que les meilleurs. C'est bien pour ça que certaines personnes n'apprécient pas trop les Europans.
  • Je dois avouer que je n'aime pas Europa. T'en penses quoi, toi, Syuzanna ?

 La jeune femme, surprise, détourne le regard de ma soeur.

  • Euh... je ne sais pas. Je pourrais tenter ma chance là-bas mais je n'ai pas l'argent pour le voyage.
  • C'est vrai que t'es callée en médecine, répond-t-il.
  • Moi aussi ! coupa ma soeur. Enfin, je me débrouille plutôt bien.

 Il est vrai que ma soeur est assez douée dans le domaine, elle s'y est intéressée autant que je me suis penchée sur l'Histoire. Elle a aussi fait des stages dans l'hôpital de notre ville natale. Mais serait-ce suffisant pour être admise à Europa ? Rien n'est sûr. Pour ma part, je leur explique que je vais essayer d'être admise grâce à mes connaissances en Histoire. Je me suis renseignée et je pourrais rejoindre leur branche de propagande et de professorat.

 Je sens la fatigue me gagner alors que le soleil se couche doucement, je salue alors ma soeur et les deux passeurs pour rejoindre ma tente. Nous allons partir de bonne heure pour arriver le plus tôt possible à l'endroit où doit nous laisser Lev.

***

 Lev me regarde dans les yeux et me fait un signe de la tête. C'est maintenant que nous nous quittons. Je salue une dernière fois nos compagnons de voyage, finalement nous avons eu le temps de nous connaître et nous apprécier. Les quitter est donc plus difficile que je ne le pensais.

 Nous nous retrouvons alors seules, ma soeur et moi. La zone de non-droit sépare la frontière allemande d'Europa d'une cinquantaine de kilomètres. Le triste paysage ne se compose que d'une simple route ancienne mal entretenue et d'un champ de boue d'une part et d'autre. Quelques arbres morts ici et là viennent complèter la vue. Il doit certainement s'agir d'un lieu où une bataille fit rage à l'époque de la guerre, et qui n'a jamais été "nettoyé" depuis. On trouve beaucoup d'endroits comme ça en Russie et ailleurs, mais jamais aussi marqués par la mort.

 Nous avançons de quelques mètres sur la route, je tourne la tête vers Aleksandra avant de mettre ma main sur son épaule.

  • C'est maintenant que nous devons tous donner Aleksandra. Si l'une de nous échoue, il n'y a pas de secondes chances. Tu comprends ça ?
  • Je comprends Lina. On y arrivera. Toutes les deux !
  • Je l'espère... fis-je en inclinant la tête. Allez, avance, on est encore loin.

 J'emboîte le pas derrière ma soeur pour la suivre sur cette morne route.

 Nous marchons silencieusement pendant de longues heures, en s'échangeant quelques mots de temps à autre. Nous nous permettons même de rêver, à quoi peut bien ressembler Europa ? Ma soeur pense qu'il s'agit d'un endroit avec d'immenses tours de métal où les gens se pressent, se bousculent sans se dire un mot. Elle pense que ce n'est pas le meilleur endroit pour une vie sociale, mais pour une vie simplement. Pour ma part je réponds que je n'ai aucune idée de ce à quoi peut bien ressembler Europa... les seules images qui nous parviennent sont issues du service de propagande et ne sont certainement pas les plus réalistes. Je préfère ne faire aucun pronostique pour ne pas être déçue à l'arrivée. 

 Une sorte d'engin mécanisé se rapproche, bien trop loin pour que je puisse être capable de l'identifier avec précision. Je constate cependant que ça se rapproche de nous à grande vitesse. Je regarde ma soeur paniquée avant de regarder autour de moi une cachette, en vain.

 L'engin arrive en quelques minutes à notre niveau. En passant devant nous il ralentit et s'arrête. Nous attendons toutes deux, même armées nous n'aurions aucune chance contre cette chose. Un homme sort de l'engin, il porte une étrange armure qui semble être un uniforme militaire. Je ne peux pas voir son visage, mais je peux apercevoir le logo d'Europa sur cette dernière. Il s'agit d'un soldat Europan.

  • Lâchez vos armes ! ordonne-t-il en Europan, on s'éxécute. Il poursuit alors. Déclinez vos identités.
  • Mon nom est Lina Avdeïeva. Elle c'est Aleksandra, c'est ma soeur. Elle a seize ans, j'en ai dix-huit. Nous venons toutes les deux de Russie.
  • Vous venez d'où de Russie ? Que faites-vous dans la zone de non-droit ?
  • D'Astrakhan. Nous souhaitons passer les examens d'Europa.

 L'homme nous ordonne de ne pas bouger et rentre dans son véhicule. Il en ressort au bout de quelques secondes pour nous donner des directives.

  • Très bien les filles. Vous pouvez continuer, ce n'est plus très loin. Bonne chance pour les examens, dit-il sincèremment.
  • Merci, je suppose.

 Il retourne à nouveau dans son véhicule qui s'éloigne en un clin d'oeil. De notre côté, nous continuons notre route vers notre destination finale.

 Le soldat avait dit vrai, au bout de deux heures de marche nous arrivons enfin à la frontière. Un immense mur de fer s'étend d'un bout à l'autre de notre champ de vision, coupe littéralement le paysage. Il y a des miradors, des fils barbelés... tout un système de défense le long de ce mur. Ils ne souhaitent réellement pas que des clandestins puissent entrer. Au bout de la route, un poste de contrôle. Des guichets pour l'entrée sur la gauche, d'autres pour sortir sur la droite... certainement réservée à l'usage des soldats car je ne vois aucun civils ici. Au centre une immense porte, sans doute pour les véhicules comme celui que nous avons croisé. Les militaires doivent s'en servir pour patrouiller dans la zone de non-droit qui appartient à Europa. Nous nous approchons de l'entrée quand des soldats pointent leurs armes sur nous et nous interpellent.

  • Arrêtez vous et lâchez vos armes. Vous avancerez quand on vous l'ordonnera.

 Je pose mon arme au sol, Aleksandra en fait autant. Les soldats nous font avancer vers l'entrée. L'un d'entre eux nous fait signe de le suivre, il nous fait passer les guichets et nous amène ensuite dans un long couloir blanc avant de nous faire entrer dans une petite pièce avec des chaises de métal. Nous attendons quelques minutes en silence, j'échange quelques regards avec ma soeur. Enfin, un homme mur d'une cinquantaine d'année en uniforme noir entre et fait sortir le soldat. Il se tourne ensuite vers nous, un discret sourire aux lèvres et hôche la tête pour nous saluer avant de prendre la parole.

  • Bienvenues dans la salle d'attente mesdames. Permettez-moi de me présenter, Diplômé Gestionnaire des Examens, poste entrée AL1. Je suis là pour m'occuper de toutes les personnes de l'extérieur souhaitant passer les examens. Je suppose qu'il s'agit de votre cas ?
  • Bien sûr.
  • Alors je dois vous expliquer comment ça va fonctionner. Ecoutez moi bien avant que l'on passe aux choses sérieuses.

 Nous l'écoutons faire sa tirade pendant de longues minutes dans laquelle il nous explique brièvement ce qu'il faut savoir sur Europa avant de s'attarder sur le passage de l'examen. Comme je le savais déjà, il explique que nous allons devoir commencer par choisir une spécialité. Ensuite, nous devrons payer la somme dûe pour passer l'examen. En cas d'échec, nous serons remboursées de moitié pour nous permettre de pouvoir rentrer chez nous, quelle générosité. La préparation dure une semaine, des professeurs spécialisés dans notre choix nous aideront avec des conseils et des connaissances. A la fin de cette semaine, nous devrons répondre aux différentes questions du jury et attendre ensuite une journée pour avoir les résultats.

 Nous n'aurons pas de seconde chance.

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