La famille capturée

10 minutes de lecture

Je n’avais pas assisté sur place à l’opération de capture de cette famille. J’avais demandé à prendre des précautions assez lourdes car je pensais qu’ils pourraient être dangereux, cherchant à se défendre une fois démasqués, ou qu’ils cacheraient une véritable cellule de terroristes. Mais lorsque j’avais vu les personnes qui avaient été arrêtées lors de l’opération je m’étais réellement questionnée sur le bien fondé de la liste d’Adélaïde. J’étais avec elle à la prison de la capitale, dans l’aile réservée aux trahisons. Normalement cette aile de la prison serait vide, mais depuis quelques temps le nombre d’incarcérés y grimpait en flèche, le résultat des recherches des services secrets et de la Légion. Ma présence ici était pour assister aux procédures d’interrogation, mais je déléguais cette dernière à Adélaïde. Des Légionnaires et des policiers de la prison étaient aussi présents mais je ne connaissais pas ces derniers. Les policiers, ou plutôt les matons, étaient là pour surveiller mais les Légionnaires aidaient Adélaïde à mener l’interrogatoire. Disons qu’ils étaient normalement là pour qu’elle ne se salisse pas les mains, puisque cette femme avait beau faire la dure elle était née à Europa, elle avait le profil des Europans : des personnes généralement très intelligentes mais rarement des plus physiques. Disons que les Europans ressemblaient assez à la noblesse de la monarchie absolue, des capacités avant tout intellectuelles mais rarement prompt à connaître la dureté de la vie. Cela étant une exception pour ceux qui étaient dans l’armée, et encore... Pour ma part, étant née en Russie, je n’avais aucun mal à cogner le visage d’une personne, et les deux Légionnaires qui n’étaient pas nés à Europa n’avaient pas ce problème non plus. Mais Adélaïde, elle, était plutôt du genre à grogner sans réellement mordre. Moi, je mords sans grogner. Mais dans le cas présent, aucun des deux Légionnaires n’avaient eu à cogner personne et je laissais Adélaïde se débrouiller seule, donc elle se contentait de les faire parler avec des menaces et la persuasion. Enfin, elle n’avait tout de même pas hésité à exécuter Teresa, mais elle m’avait finalement avoué ne pas en avoir dormi pendant des jours et être encore mal à l’aise vis-à-vis de ça. Je m’en doutais, rares étaient les personnes capables de tuer de sang froid sans rien ressentir derrière malgré ses ambitions de loyauté extrême. La différence entre les paroles courageuses de type « moi je peux tuer sans rien ressentir, laissez-moi faire et je vous débarrasse de la vermine » et la réalité était bien différente. J’avais été assez surprise qu’elle n’eut pas hésité au moment de tirer lors de l’exécution, c’était déjà assez alors je n’en attendais pas plus d’Adélaïde pour appliquer les choses difficiles comme faire du mal. Elle n'était pas comme Horus, Astronaut ou Redsky, ni comme moi, elle était une femme d’une vie tranquille se sentant pousser des ailes, et si elle semblait assumer ses paroles, il semblait plus délicat d’assumer pleinement les actes d’un point de vue moral pour elle. C’était encore plus vrai maintenant, car en face d’elle se trouvaient actuellement un homme, une femme et deux enfants. Bien que certaine de la trahison de la famille, Adélaïde se montrait hésitante, elle ne savait pas qu’ils avaient des enfants. En tant normal la punition pour trahison serait la peine capitale et au moins les parents seraient exécutés, mais Adélaïde, en dépit de sa loyauté, ne voulait pas faire d’orphelins. Dans mon pays natal les criminels et les autorités ne se posaient pas spécialement ce genre de question, et la peine de mort y était appliquée pour bien moins pire que l’acte séditieux. De fait, de mon côté, je n’éprouvais pas spécialement de pitié pour les enfants, trop souvent j’ai vu d’enfants orphelins traîner dans les rues. A Europa ils seraient simplement placés dans un établissement spécialisé et correctement traités.

Bien qu’elle hésitait à passer à l’acte physique, elle assumait au moins la menace qu’elle devait exercer en essayant d’arrondir les angles.

  • - Comprenez-vous la situation stupides personnes ? Vous avez trahi Europa, vous allez être exécuté ! Vous le savez ! Parlez, dites-nous vos informations, et votre peine sera commuée !

Elle disait ça mais j’étais la seule à pouvoir décider. Les membres du Conseil n’étaient là que pour être des conseillés lorsque la Dictature était mise en place. Si j’avais été nommée Présidente alors les choses sont décidées par un vote, même la prononciation d’une condamnation à mort aurait été votée mais en tant de crise et sous loi martiale comme actuellement la peine s’appliquait de façon automatique sauf en cas de contre-décision du Dictateur intérimaire. Concrètement, je n’avais pas envie de les épargner mais je supposais que je le ferais à la demande d’Adélaïde pour qu’elle ne se braque pas vis-à-vis de moi. Après tout, c’était une jeune mère qui avait perdu son enfant dans un terrible accident, je pouvais un peu comprendre ce sentiment même si je ne l’étais pas moi-même, une maman pour un enfant.

Sachant que seule moi pouvait décider, l’homme ne pouvait accepter la proposition d'Adélaïde, aussi il se tourna vers mois le visage en pitié.

  • - Je t’en prie, Dictatrice… je ne peux rien dire. Ils me tueront aussi. Alors exécutez moi, mais ne faites pas de mal à ma femme ou à mes enfants !
  • - Hors de question, intervint Adélaïde, nous ne pouvons pas faire ça, cela irait à l’encontre d’Europa ! Nous vous protégerons si vous parlez… sinon… je n’aurai pas le choix. Ce sera un exemple pour les autres.
  • - Suffit Adélaïde. Il ne parlera pas. Je vais être claire, je t’offre un choix : tu nous dis ce que tu sais et nous vous bannirons d’Europa à l’exception de vos enfants, mais vous resterez sous notre surveillance ; soit tu ne dis rien, et je demande aux hommes au fond du mur de vous exécuter, vous quatre. Compris ?

L’homme fut pris de terreur en écoutant ma proposition, dans les deux cas lui et sa femme seraient perdants mais dans l’une des deux solutions ils vivaient et l’autre ils mourraient. Aussi, s’il parlait, ses enfants iraient bien et vivraient à Europa et eux seraient simplement bannis mais serez sous surveillance d’Europa. Bien sûr, il comprenait que cela avait une double signification. Ils seraient surveillés, ainsi Europa pourrait savoir qui il irait voit, où, quand, et éliminer de potentiels éléments de Sojusz. Mais d’un autre côté, Europa protégerait leur vie pour poursuivre cet espionnage. Alors, il se mit à parler.

- Très bien… Je vais vous parler d’Elore. Je suppose que vous devez déjà connaître ce nom si vous nous avez découvert. C’est un faux nom et moi-même je ne sais pas sa véritable identité. C’est une coursière de Sojusz, elle nous fait passer des ordres de ces derniers.

- Pourquoi avoir rejoint Sojusz ?

- C’est… nous étions en accord avec les idées, initialement. Mais après nous avons compris notre erreur, à la suite de l’attentat de Tarragone. Mais nous étions trop impliqués, ils nous ont menacés si nous ne coopérions pas… Quel regret, nous avons été manipulés… nous craignions pour les enfants alors… nous avons continué. Laissez-moi organiser un rendez-vous avec elle, avec Elore, vous pourrez la coincer et l’arrêter !

- Très bien. Adélaïde, occupe-toi de ça avec lui. Il vient avec toi, la femme et les enfants vont rester ici le temps que cette Elore soit capturée. Sache cependant que si tu t’es moqué de moi en me communiquant de fausses informations, ce seront mes otages. Je n’hésiterai pas à les exécutés et ensuite je m’occuperai de toi. Je suis vraiment en colère contre Sojusz et les traitres dans votre genre qui mettaient en danger l’intégrité d’Europa, alors tu as intérêt de m’apporter cette femme.

Sur ces mots de menaces – que j’appliquerai volontiers – Adélaïde quitte la pièce avec l’homme, suivie des deux légionnaires. Les gardiens de la prison restèrent ici pour surveiller les otages. Adélaïde allait surveiller le mari pour la prise du rendez-vous avec Elore, en ma présence.

Une fois cela fait et le rendez-vous piège entre le mari et la coursière établi, je m’étais retrouvée sur place, non loin du domicile de la famille dans une petite ville d’Europa du nom de Tradarello, un toponyme fusionnant trois anciens hameaux situés à proximité du lac naturel de Laghi di Avigliana, en Territorialité d’Italie. Le domicile de la famille était un peu éloigné et isolé, près des rives du lac. Un certain personnel avait aussi été amené pour mener à bien l’arrestation de la cible. Une dizaine d’Assassins de la Légion avaient été mobilisés, à ma demande le Consul Arcadia avait placé ces derniers sous le commandement d’Horus qui était rentrée de sa mission en extérieur entre temps. J’avais expliqué simplement ce que je voulais et elle avait géré le dispositif en plaçant ces tireurs d’élites mortels dans diverses positions de sorte qu’aucun angle mort ne nous échappe. Ils pouvaient aussi surveiller les entrées potentielles dans le périmètre de l’opération pour voir s’il n’y avait rien de suspect. Le Diplômé commissaire de la police locale était présent à la demande de l’Elite Diplômée Grand Chef de Police d’Europa de la Territorialité d’Italie. La police locale était donc présente mais n’était pas visible pour le moment, ils se tenaient prêt à intervenir dès qu’Elore serait en vue.

Ce nombre pouvait sembler ridiculement important pour une seule personne, cependant il n’était pas impossible que le mari signale le piège à Elore et qu’elle tente de s’enfuir. Ils devaient éliminer les deux cibles dans ce cas, même si je préférais la prendre en vie. De plus, rien ne prouvait qu’elle viendrait seule et que nous ne tomberions pas dans un guet-apens.

Avec la zone discrètement quadrillée de prêt par les policiers et de loin par les Assassins, il n’y avait aucune échappatoire pour la cible. L’emplacement du rendez-vous avait été fixé prêt d’un sorbier des oiseleurs. Le mari y attendait Elore depuis une heure quand elle s’était enfin montrée. La personne qui venait de se débusquer avait le visage caché, mais sa silhouette était clairement celle d’une jeune femme entre 25 et 30 ans. Elle semblait avoir une certaine corpulence mais cela n’était qu’une impression due aux vêtements amples qu’elle portait. Bien qu’elle portait un masque sur le visage, nous pouvions facilement distinguer sa chevelure. Elle avait les cheveux mi-long, de loin je pouvais distinguer ces derniers comme clairs mais sans plus de précisions, peut-être blonds. Sa démarche en s’approchant de l’homme était mal assurée, elle regardait derrière elle plusieurs fois, elle semblait être consciente d’un danger. Je ne pouvais pas en dire davantage sur cette Elore, de plus c’était Horus qui m’en faisait la description en regardant à travers le viseur de son fusil de précision. Un micro avait été placé sur le mari pour écouter la conversation.

- Acciaio, je peux savoir pourquoi tu m’as contacté ? Ce n’est pas comme ça que ça fonctionne.

- Ecoute Elore… Je ne peux plus continuer. La Dictatrice a exécuté Halterman… si même au sein du Conseil ils se font descendre c’est dangereux.

Les Assassins, pensant qu’il voulait prévenir Elore, avaient demandé l’autorisation d’ouvrir le feu. J’avais répondu par la négative. La jeune femme avait invectivé violemment le mari dont le nom de code était Acciaio.

- Et alors ?! Tu ne peux pas arrêter, tu sais ce qu’ils feront sinon ! Tu veux que je rapporte cela à Anant ?

- Non ! Ecoute moi Elore, les gars de Sojusz sont allés trop loin ! Elle est remontée contre vous, tu n’as pas vu ? Toutes l’Unité des Os…

- Je sais. C’est une hécatombe. Mais justement, c’est ce qu’elle voudrait si… écoute Acciaio. Tu ne peux pas nous lâcher. Je vais discuter de ça avec Anant.

- Non… Il va me tuer si tu lui dis ça. Dis-lui plutôt que… je sais, j’ai été découvert, on a été arrêtés. Comme ça il nous laissera tranquille. Tu peux faire ça pour moi ?

En ayant obtenu ce dont j’avais besoin, j’ordonnais à la police d’intervenir. En quelques instants ils venaient d’entourer les deux personnes. Si le mari, Acciaio, n’était pas surpris, Elore elle était complètement perdue.

- Quoi ? Tu m’as balancé ? Attends… Comment, tu as osé faire ça ? Sale traitre ! Tu vas le payer à Sojusz, tu vas payer à Anant !

- Je suis désolé… ils nous ont trouvés. Ma famille est en otage, je n’ai pas le choix.

L’homme avait dit cela discrètement à Elore, il ne savait pas que nous lui avions placé un micro aussi pensait-il ne pas être sur écoute. De fait ses regrets, ceux dont il avait parlé dans la prison, n’étaient pas réels. Il clama haut et fort « Mort à Sojusz, vive Europa ! Vive la Dictatrice ! » pour faire bonne figure comme un homme loyal, mais je savais désormais que c’était une déclaration hypocrite. La jeune femme se calma, elle ne répondit simplement pas « je comprends », avant de détourner le regard vers les policiers qui s’approchaient d’elle. Elle regarda ensuite les alentours, je sentis presque son regard se poser sur moi alors qu’elle ne pouvait pas me voir à cette distance.

- Je suppose qu’il y a des tireurs embusqués puisque ce rendez-vous était un piège. Inutile de chercher à fuir, je ne suis même pas armée…

Nous avions capté ces paroles grâce au micro du mari. Elle inspira un grand coup avant d’ajouter, tandis que les policiers tenaient Elore en joue.

- Je suppose qu’ils vont m’exécuter. Je comprends Acciaio même si cela m’attriste. Je ne pensais pas mourir si stupidement. Policiers d’Europa, je vous en prie, faite votre sale travail et tuez-moi pour votre folle Dictatrice.

En disant cela, elle retira son masque tout en levant les mains. Cependant, contre toute attente de sa part, elle avait simplement été arrêtée. Sa vie ne prendrait pas fin, pas encore. Elle se retrouva quelques heures plus tard dans la prison d’Europa.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Lina Avdeeva ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0