Train de nuit

2 minutes de lecture

Le même soir,

La femme frissonna, resserra les pans de ses vêtements contre sa chair blafarde. Debout sur le pas de sa porte, l'épouse du conducteur de train poursuivait son homme du regard. Le grand gaillard s'éloignait, d'une pédalée grinçante, en direction de la gare. Morne, elle tourna les talons, s'enferma à double tour, sachant pertinemment que le Sturmbannführer s'introduirait dans la maison par l'entrée secondaire ; celle ouverte à tous les vents — ou même par le toit si cela s'avérait nécessaire. Elle redoutait cette nouvelle irruption de l'offizier dans son existence.

Plus tard...Au cœur de la nuit...

Posté à la fenètre, l'homme en uniforme consulta sa montre, reporta son attention sur le cortège funèbre. À l'intérieur des wagons où régnait une promiscuité sans nom, la peur se lisait sur les visages. Blottie au cœur des ventres vides, la faim tétanisait les âmes.

À bout de nerf, la mère de famille laissa éclater son courroux.

— Fichez le camp de chez moi ! explosa t-elle les poings serrés.

L'offizier fit volte-face, bloqua sans peine le bras de la maîtresse de maison. Le poing de Jacqueline s'ouvrit, se mua en caresse sur la joue de l'allemand. Le dernier wagon s'enfonça dans la nuit quand leurs souffles se mêlèrent. Au rythme cadencé de ses moyeux opiniâtres la locomotive s'éloignait. La plainte des rails s'estompa peu à peu.

Jacqueline avait si souvent imaginé cette peau — glacée — comme celle des grenouilles de son enfance. Celle de Thomas était brûlante... Souffles à l'unisson, les amants se domptèrent, s'apprivoisèrent — bouche contre bouche. Les mains rudes de Thomas se glissèrent sous la robe — taillée dans la même toile que les rideaux noirs. Elles y pétrirent la chair nue. Jacqueline le repoussa, refrénant à grand peine l'incendie initié par les doigts de l'allemand. Le souffle court, Thomas commença à se dévêtir. On entendit leurs pas précipités sur le plancher.

Sans ménagement, Jacqueline le fit accroupir, enjamba son épaule. Les seins raides de Jacqueline griffaient l'air. Imbriqués, ils s'effondrèrent sur le plancher dans le faible halo de la lampe à pétrole.

Chassée de sa cachette par la faim, Léa quitta les ténèbres. La maigre adolescente tomba nez à nez avec les vêtements du major. La veste d'uniforme habillait le dossier d'une chaise. La casquette, ornée de la tête de mort et des tibias croisés, reposait sur la table, attendant son maître. Léa parvint à réprimer un hurlement.

Aussi silencieuse qu'un grain de poussière, elle poursuivit son exploration, se rapprochant à chaque pas de l'épicentre des halètements. Par la porte entrebâillée, elle vit Jacqueline, à califourchon sur les hanches de l'offizier. Elle ôtait avec précipitation les épingles de ses cheveux gris. Léa déglutit — salive aussi lourde que le plomb. Tête renversée en arrière, Jacqueline cambra son corps de nymphe, émit une plainte rauque.

Annotations

Vous aimez lire Izia FRANK ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0