Chapitre 35

7 minutes de lecture

Le corps d’Arawn se tenait là, devant lui, coucher contre le sol, une marre de sang se répandait sur le pont du Neptune. Un filament de fumée s’échappait du canon de Mannles, qui souriait fièrement face à la mort de son ennemi. La rage bouillonnait dans le corps du garçon, le faisant hurler à pleins poumons. Le pirate le frappa au visage pour le faire taire, un coup qui sonna l’enfant.

— Que faisons-nous ?

Jalac regardait le corps inerte du phénix puis tourna son attention vers son supérieur.

— Nous avons ce que nous étions venus chercher. On rentre.

Le capitaine tira l’enfant à sa suite, mais ce dernier continua malgré tout de se débattre. Il essayait de s’échapper pour rejoindre l’équipage du Phoenix. Il les regarda être conduits sur le pont du brick, ainsi que le corps de leur capitaine. Il sentait son corps vibrer, son sang pulsait jusqu’à ses oreilles, sa respiration était saccadée. Il voulait se battre pour sa vie.

Un écho se fit entendre. Une onde de choc se produisit, la surface de l’eau ondula autour des navires. Elle figea les forbans et fit s’agrandir le sourire de Mannles. Faisant face au garçon, il admira ses yeux bleutés qui semblaient provenir des profondeurs de l’océan.

Mais cet élan d’énergie ne dura pas. Ses forces l’abandonnèrent et le capitaine fut contraint de le porter. Le pirate était heureux de cette démonstration et ordonna à ses hommes de ne pas perdre plus de temps. Il grimpa en haut de la dunette et plaça le garçon face au bastingage.

Lorsque le Neptune se recula, ils purent entendre le crépitement des planches de bois, le bruit métallique des canons qui tombèrent à l’eau. Il leur fallut une dizaine de minutes pour manœuvrer loin de l’épave du Phoenix et se placer parallèlement à lui. Durant ce laps de temps, Earl observait de loin le pont du brick, son cœur s’emballa lorsqu’il aperçut les membres de l’équipage se mettre en mouvement. Certains se dirigeaient vers leur capitaine, d’autres descendaient dans le reste des sous-bassement ou regardaient par-dessus bord.

Un espoir germa dans son cœur en se rappelant les gabiers et la vigie qui avaient sauté à l’eau avant l’harponnage. Ils allaient s’en sortir, c’était inenvisageable qu’ils n’y parviennent pas. Pourtant, des bruits lourds et métalliques l’intriguèrent dans son dos. Il se tourna et posa son regard sur certains mercenaires transportant des boulets de canon inhabituel de ceux qu’il avait pu voir sur le Phoenix.

Son sang se glaça lorsqu’il comprit les intentions de Mannles. Il ne pouvait rien faire, son corps était vidé de toute énergie, et le pirate le maintenant fermement contre lui. Il ne pouvait pas fuir.

Le Neptune s’éloigna davantage, si bien que le garçon ne put voir que des petites masses en mouvement sur l’épave. En réalité, il ne percevait plus aucun mouvement. Aucun. Jusqu’à l’ordre du capitaine dans son dos.

— Faites feu.

Dans les secondes qui suivirent, les canons crachèrent leurs boulets en direction du Phoenix. Earl resta impuissant face aux boulets enflammés qui filaient au-dessus de l’eau, et écarquilla les yeux lors de l’impact. La coque du navire s’enflamma à cause des réserves de poudres rester à bord, provoquant un souffle puissant et bruyant. Puis, une immense explosion survint, faisant éclater le reste du navire et éparpilla ses restes sur la surface de l’océan.

Un hurlement déchira sa gorge face à cet horrible spectacle. Les larmes coulaient sur ses joues, traçant de longs sillons à travers la poussière accumulée sur sa peau. Il ferma les yeux en se recroquevillant, espérant pouvoir échapper à cette vision d’horreur. Mais le capitaine du Neptune ne fut pas de cet avis ; il l’attrapa par les cheveux et soutint son menton pour l’obliger à garder la tête droite et contempler les fruits de son pouvoir.

— Voilà le triste sort réservé à ceux qui décident de protéger une créature comme toi.

L’oiseau éternel n’était plus qu’une épave délabrée, complètement déchiquetée. Il était impossible que l’équipage ait survécu à une telle explosion. Son cœur se serra, il se sentit complètement seul. Il laissa un long souffle lui échapper alors qu’il fermait les yeux. Il s’abandonna à son sort.

Mannles le regarda avec attention puis relâcha la pression qu’il avait sur son corps. Le prisonnier tomba à genoux, n’ayant plus aucune force pour bouger ou se débattre. Le capitaine ordonna à l’un de ses hommes de l’emmener dans le cachot et de l’y enfermer.

Une poigne horriblement force s’empara de ses bras, le trainer sans ménagement sur le bois sombre du pont. Il le fit dévaler les escaliers, le traina le long d’un couloir et le jeta à terre dans une cellule. Poignets et chevilles furent attachés à des chaînes humides et rouillés.

Le mercenaire qui lui fit face l’observa un long moment puis se redressa. Il sourit en voyant l’état pitoyable dont était le prisonnier. Il referma la porte de cette cage et remonta sur le pont. Des bruits de pas se firent entendre, étouffés par les couches de bois présentes dans les cales. Des éclats de voix, puis à nouveau des pas.

Tous ces sons qui l’entouraient ne le firent pas réagir. Il restait là, assis contre la coque froide du galion, le regard rivé sur ses mains, vide de toutes sensations. Les larmes avaient séché, ses joues étaient gelées. Il savait que le capitaine descendrait tôt ou tard, pour une raison particulière sans doute.



Ce fut à la nuit tombée que le capitaine se décida à le rejoindre. Il se posta devant les grilles et sourit.

— Tu es bien silencieux maintenant. Tu dois bien connaître la raison pour laquelle tu es ici désormais, non ?

Le regard bleuté du garçon se leva vers lui, déversant la haine qu’il possédait. Cette réaction ne fit qu’agrandir le sourire carnassier du pirate.

— Je connais quelques personnes qui sont impatientes de te revoir.

Le visage du prisonnier se décomposa lorsqu’il comprit. Mannles ricana face à cette réaction et poursuivit.

— Nous devrions arriver à destination dans quatre jours. Trois si le vent nous est favorable.

Il se moqua de plus belle et quitta les cales. Earl resta immobile, les yeux grands ouverts. Il comprit enfin la raison de cette soudaine attaque. Les rumeurs qui concernaient les pirates étaient réelles et ils en avaient payé le prix par sa faute.

Le Neptune le transportait vers Nelak, la destination initiale de son voyage à bord de l’Isenor. Là-bas l’attendaient les commodores et officiers généraux de l’armée impériale, afin de prononcer leurs dernières instructions. Avant sa mise à mort.

Dans quatre jours, il sera mort.

À cette pensée, il éclata en sanglots. Son corps fut secoué de spasme tandis qu’il repensait aux paroles du capitaine et de chaque membre du Phoenix. Il les avait tous menés à leurs pertes, à cause de ses pouvoirs, de sa nature. À cause de cette foutue malédiction qui le rongeait et lui pourrissait la vie. Mais il n’avait aucune haine envers l’océan, au contraire. Il croyait enfin en tous ces légendes et mythes qu’elle arborait fièrement et dont il faisait partie.

Alors il pria. Il joignit ses mains entravées malgré les fers qui rongeaient peu à peu sa peau. Il posa ses genoux contre le bois humide, ferma les yeux et pria. Il laissa ses souvenirs l’envelopper et murmura inlassablement la même chose.

— De grâce, ayez pitié… Épargnez-les… Sauvez-les… Prenez ma vie contre la leur…

Il répéta cette phrase durant toute la durée de son périple. Jour et nuit, sans jamais s’arrêter. Aucun forban ne descendit pour lui apporter nourriture ou breuvage, ni même vérifier son était de conscience et savoir s’il était encore en vie.

Seule la mer semblait inquiète de son état. Les vagues s’écrasaient avec force contre la coque du navire, le temps était exécrable, et les conditions de navigations difficiles. Le ciel était déchiré par les éclairs, la pluie et le vent se mêlaient pour rendre la vie sur le pont presque impossible. Et le garçon continua de prier. Il ne pouvait faire que ça, puisque la mort l’attendait à la lumière.




Ce fut au bout du quatrième jour que la houle se calma et que le cri des oiseaux marins l’arracha à ses prières. Il rouvrit les yeux avec difficultés, la fatigue avait pris le dessus sur lui. Des sifflements se firent entendre à l’extérieur, ainsi que des éclats de voix — de nombreuses voix, bien plus que sur un seul navire.

Ils étaient arrivés.

Deux hommes descendirent dans la cale. Ils ouvrirent sa cellule et une seconde dans le fond, libérèrent son corps de ces chaînes. Ses poignets furent toutefois de nouveau attachés, entourés d’une corde rugueuse, serrés bien trop fortement par le second du navire qui semblait prendre un malin plaisir face aux grimaces du prisonnier.

Il fut tiré hors de sa cellule sans ménagement et tomba nez à nez face à un autre garçon. Il ne l’avait même pas remarqué durant ces jours de voyages. La peau claire, les yeux indigo et les cheveux améthyste, son regard étaient soulignés d’important cerne sombre. Amaigri et affaibli, il peinait à tenir correctement debout sans vaciller d’un pied à l’autre.

Il n’eut pas le temps de le contempler plus longtemps lorsque son bourreau le tira vers les escaliers. Franchissant l’écoutille, le soleil l’accueillit aveuglément. Lorsque son regard se posa sur le port de Nelak, une boule se forma dans sa gorge, le faisant osciller entre une envie de vomir ou de pleurer. Il s’arrêta volontairement face au bastingage, pour observer la ville.

Des habitations s’étendaient à perte de vue, de bois et de pierre. Des étals de poissons et de viande dans les allées, de nombreux passants vagabondaient, certains s’étaient arrêtés pour regarder ce mystérieux navire pirate amarré. Au loin se dressait le fort de l’île, monstrueusement armé. Mais ses yeux saphir finirent par se poser sur un groupe d’homme qu’il reconnut que trop bien par leurs tenues et leurs postures.

Il avala difficilement et descendit lentement du galion en compagnie du second prisonnier. Comparé à ce garçon, il garda la tête haute, le regard froid face à l’officier vers lequel il se dirigeait, accompagné du capitaine du Neptune et de son second.

Ils s’arrêtèrent face au groupe et les pirates sourirent. Le marché était rempli.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Arawn Rackham ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0