Une Histoire de Ratés // 4

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Dehors le soleil se levait paisiblement, faisant émerger par ailleurs Bill d'un sommeil plus qu'agité. Il était allongé sur un des transats, à moitié débraillé ; et ne comprit aucunement comment il avait pu atterri ici. La maison semblait encore endormie, contrairement aux abords de la terrasse adjacente. L'écrivain releva les yeux vers la source du seul bruit qu'il discernait, y voyant dans le même temps deux ombres semblant émerger dans l'aurore. Il se contenta donc de se relever péniblement. À présent les deux jambes tendues, il mit cependant un certain temps pour retrouver un équilibre décent, à mesure que des complaintes étouffées lui parvenaient depuis l'autre bout de la résidence.

Il ne put qu'apercevoir les deux derniers convives encore debout -pour ainsi dire- au niveau du petit salon de jardin. Ce dernier complètement saccagé de plusieurs cadavres de bouteilles et de miettes de tabac dispersées un peu partout. Le restant des Losers eux, se trouvaient assis côte à côte sur leur siège respectif. Richie était affalé contre son dossier de chaise. Beverly elle, était à moitié recroquevillée sur la surface de la table.

« V'là le premier survivant... Émis faiblement Tozier, alors que la jeune femme ne prit même pas la décence de se relever véritablement.

Le concerné ne lui hoqueta qu'un simple râle comme preuve de sa présence, se délaissant de tout son poids à même le sol. Le plancher en bois sur lequel il était assis se fit encore légèrement tempéré. Puis Bill lui demanda la bouteille d'eau devant lui. Et toujours silencieux, but ainsi ses trois premières gorgées. Son mal de crâne ne se dissipait toujours pas.

- J'suis content de te voir Denbrough. Bev est en train de crever...

- Non... Non. Pas vrai...

La jeune rousse avait beau dire ce qu'elle voulait ; le simple fait qu'elle ne puisse pas relever la tête correctement la trahissait unanimement.

- Vous n'avez pas dormi du tout ? Esquissa tout de même l'auteur, après avoir ramené une nouvelle fois le liquide réparateur à ses lèvres asséchées.

- Qu'est-ce que tu crois le bègue ? On est des champions toute catégorie... Répondit soudainement Beverly, parvenant enfin à reprendre connaissance des choses.

Il n'en fallut pas plus à Bill pour éclater de rire. Son amie quant à elle lui émis une expression interrogative, sous les yeux amusés du bouclé.

- Ah oui, c'est ça. Des champions. J'allais l'dire...

Un nouvel éclat d'hilarité pris en chasse les deux hommes, sans que la troisième alliée ne puisse comprendre les raisons d'un tel sentiment d'enchantement. Bien-sûr elle n'avait pas remarqué que plus-tôt dans la soirée, son visage s'était vu éclaboussé de plusieurs coups de crayon noir. Son front arborait des-à-présent un pénis flamboyant où étincelait une petite goutte à son extrémité ; en plus des petits insignes sur ses joues qui insinuaient habillement son état insalubre de la veille.

- Pourquoi vous vous marrez tous les deux ? Demanda-t-elle finalement, alors que seul Tozier avait repris un comportement plutôt sérieux à son flanc.

Timidement, il rejeta un signe de la main comme pour lui signifier qu'il n'y avait rien qui expliquait cette hilarité. Mais Marsh le connaissait davantage pour savoir que le grand brun à lunettes cachait surement encore une fois bien son jeu. Et dans un élan d'inconfiance, elle prit en main le téléphone à l'autre bout de la table. Et ne mit pas longtemps pour en discerner son reflet dans le petit écran éteint ; à défaut pour ses pupilles de pouvoir se concentrer davantage sur quelque chose en particulier.

- Putain d'merde, Richie ! S'insurgea-t-elle pendant quelques secondes, tentant tant bien que mal d'effacer toute trace de ce désastreux chef d'œuvre sur sa peau claire.

- C'est pas ma faute ! Tu t'étais lâchement endormie à mon retour : Et je déteste attendre.

Les rires reprirent expressément ensuite, laissant la styliste perdue face à son état comateux et le désastre de son visage. Et finalement comme prise d'une soudaine pulsion, elle s'acharna sur son aîné. Mais ce dernier n'eut aucun mal à la faire cesser tout geste, étant beaucoup plus réactif. Il l'avait bloqué entre ses bras, la privant de tout nouveau mouvement dès l'instant où celle-ci se trouvait à présent quasiment sur lui.

- Lâche moi bon dieu ! J'vais te tuer, j'te jure...

- Pff. Marsh, cesse donc tes enfantillages ! C'est toi qui m'as cassé les couilles pour continuer la soirée. Je n'aime simplement pas les lâcheurs.

Bien que sortie naturellement, cette phrase se trouva en réalité qu'à moitié véridique. Tozier n'aurait jamais pu aller se coucher dans la chambre qui lui avait été attribué la vieille. Pas après la dernière discussion qu'il avait eu avec l'occupant des lieux.

- Faut que j'aille me laver, avant que Ben ne se lève. Lâcha alors la jeune femme, peinant à trouver l'équilibre pour se mettre debout.

Ses yeux étaient encore bien ronds et l'alcool tapissait chaque recoin de ses entrailles. Elle se sentait vaguement nauséeuse ; mais se contenta de masquer cette vérité à ses partenaires.

- T'inquiète Marsh. Je serai là pour raconter à ton mari ton comportement ingérable de cette nuit. Releva finalement Tozier pendant que sa destinataire arpentait difficilement le chemin jusqu'à la baie ouverte.

Elle lui offrit un simple lever de majeur à son entente. Action qui fit une nouvelle fois rire son auditoire. Le regard évanoui vers ses chaussures, elle releva timidement la tête dès l'instant où deux jambes se pointèrent face à elle, sur le pas de l'entrée.

- Ah d'accord, je vois. Faudrait penser à grandir un jour.

Marsh n'avait réagi que d'une manière sévère à cette remarque, poussant nonchalamment ce qu'elle eut devant elle pour pouvoir accéder à l'objet de ses convoitises. Le dernier levé lui, laissa échapper un souffle amusé alors qu'il fit tomber ses iris sur l'horizon du terrain extérieur.

Tozier se contenta de rester immobile, ne parvenant même pas à soutenir son regard. Seul Bill lui rendit son rictus d'un air réjoui, à mesure que le jeune chauffeur se rapprochait. Ce dernier ne put que très vite faire revenir son attention sur le plus grand, n'espérant qu'une seule chose. Mais celui-ci n'affronta à aucun moment les pupilles intéressées qui le fusillaient.

Car Kaspbrak ne pouvait pas se sortir le comédien de ses réflexions depuis son réveil. L'attitude qu'il avait pu avoir lors de leur dernière conversation le laissait extrêmement songeur, perplexe. Il avait bien entendu comprit lorsque Richie lui avait avoué ses propres sentiments ; mais le fait que ce dernier soit littéralement amoureux au sens propre du terme lui avait comme échappé. Et après mure réflexion, il s'était tout bonnement rendu compte que personne d'autre ne l'avait jamais aimé à ce point. Pas même son épouse. Cette conclusion le faisait étonnement beaucoup réfléchir à la situation.

Mais Richie restait quant à lui restait intimidé. Depuis toujours, ce qu'il ressentait pour son cadet le terrorisait. Il n'avait qu'une seule crainte depuis qu'il lui avait avoué cette réalité : Une peur incontrôlée de voir son meilleur ami s'éloigner par simple peur de ce ressenti. Il ne pouvait refouler cette pensée de son esprit, même si Eddie lui avait toujours juré l'inverse.

L'ambiance se fit donc plutôt lourde entre les trois amis. Bill ayant beaucoup de mal à se sortir de sa fraîche gueule de bois et le duo légèrement penaud empêchait notamment la discussion de se lancer. Tozier ne put que regretter le départ de Beverly vers sa salle de bain personnelle. S'en était suivi un semblant de conversation entre l'hypocondriaque et l'écrivain, Richie s'affublant sans grand sérieux sur son smartphone. Puis le restant du groupe se levèrent petit à petit au fil des minutes, offrant gracieusement à Tozier une excuse en or pour se prêter volontaire à la confection des cafés. Ni une ni deux, il s'était alors élancé vers la cuisine.

Personne ne lui fit aucune réflexion, ni même le suivit dans son action. Seul Eddie se permit de le suivre du regard à son départ, mais ne bougea cependant pas. Lui-même ne sut réellement quoi lui dire en cet instant.

Ce fut lorsqu'il patientait devant la petite cafetière -attendant que celle-ci fasse son travail- que Tozier vit le propriétaire des lieux s'avancer face à lui. Ben semblait plutôt ravi. Il ne ressemblait en rien à son épouse qui devait surement s'être éteinte avant même d'avoir pu atteindre le rideau de douche. Les deux amis se saluèrent silencieusement, pendant que le comédien lui offrit une des tasses qu'il avait précédemment remplies.

« J'te remercie pas Richie pour Bev... Quand elle est dans cet état, c'est une horreur.

- Si ça peut te rassurer ; je m'en suis voulu aussi.

L'architecte pouffa d'un rire franc, avant de se délecter naïvement de l'arôme des graines torréfiées entre ses doigts.

- Elle n'a même pas pu se rendre sous la douche. Elle s'est juste étalée sur moi... Joli réveil.

- Ce sera plus calme ce soir... Rassura de ce fait Richie, terminant dans le même temps la disposition des boissons sur un grand plateau.

Son compère ne lui attribua qu'un simple rictus en guise de réponse, lui-même plutôt indécis sur le reste du programme. Malgré tout, il savait déjà que le court de la journée resterait surement bien plus souple. Il se contenta alors de suivre le bigleux jusqu'à l'extérieur où tout le monde s'était plus-tôt réuni. Et même si la nuit n'avait pas été aussi mouvementé pour chacun des individus, la discussion se fit généralement bien plus lente.

Ils acceptèrent tous la boisson énergisante qu'on leur proposaient, seul Tozier ne s'en était pas préparé une. Ses yeux commençaient à piquer sévèrement, dû à un sommeil absent depuis plus de vingt-six heures. L'idée de Beverly lui parut soudain comme la meilleure décision à prendre. Il ne mit pas longtemps à s'éclipser du groupe, ne gratifiant qu'à Ben son envie latente. Kaspbrak n'émit aucune parole à son mouvement, mais ne put s'empêcher de penser que l'autre avait attendu qu'il se relève pour aller se coucher. Il ressentit un nouveau pincement à cette conclusion.

- Eh bien... Je pense que ça va être journée tranquille aujourd'hui les gars. Déclara Mike alors que le comédien avait pénétré dans la grande maison.

- Moi ça m'vas bien...

Bill se rallongea paresseusement sur son salon de jardin, libérant un bâillement incontrôlé.

- Oui, ce n'est pas bien grave. Enchaîna l'architecte, installant au même instant des lunettes de soleil sur le bout de son nez. Laissons-les dormir ce matin, on les réveillera dans l'après-midi si jamais. »

Ils n'allaient pas s'en plaindre. Les plans d'une matinée pénarde semblaient la meilleure idée à entreprendre. Eddie n'en eut rien dis ; il était encore épuisé par les appels qu'il s'était efforcé d'accepter une bonne partie de la nuit précédente. Il ne put que maugréer en silence, et attendre que les deux autres traînards récupèrent.

☽ ☾

Les muscles douloureux, il peina à immerger. Sa sieste improvisée s'était faite plus longue que prévu ; grâce au ciel, bien plus reposante également. En tous cas, ce fut le cas pour son corps qui lui paraissait un peu moins tendu. Il prit plusieurs instants pour profiter du calme ambiant de la pièce. Il replia dans le même temps son genou droit, et laissa échapper un soupir de soulagement.

Le silence autour de lui semblait être comme un cadeau de dieu après deux jours plutôt mouvementés. Les longues heures de trajet pour se rendre sur le lieu des retrouvailles l'avaient entièrement éreinté, et même les trois rails qu'il avait goûté la veille n'avait plus suffi. Et même si ces maigres heures de repos avaient permis à ses différents sens de reprendre une place plus importante, il n'avait en aucun cas la foi de se lever. Il souhaitait s'autoriser encore quelques minutes de prélassement.

Conscient qu'il ne pourrait pas pour autant retrouver les bras de Morphée en cette matinée ensoleillée, il rassembla ses dernières motivations pour se traîner au pied du lit. Là où se trouvait depuis son arrivée la veste qu'il avait laissé tomber sur le sol. Sans même prendre la peine de chercher cette dernière du regard, il en ressorti rapidement un paquet de tabac quasiment vide, ainsi qu'un petit objet rond en plastique.

Il se demanda quelque temps si le fait de fumer dans la chambre serait envisageable ou non. Malgré tout, il choisit d'y réfléchir pendant qu'il préparait un joint bien chargé. Il était encore tôt : Bien trop tôt pour ce genre de produit habituellement. Mais il ne pouvait se résoudre à fumer une simple cigarette. Ses angoisses ne s'envoleraient pas avec simplement un tube de tabac. Les résidus de plantes vertes collaient allègrement aux parois du Grinder, qu'il ne mit pas longtemps à récupérer du bout de son doigt. Son cœur lui ne s'était toujours pas réellement calmé.

Il mit un certain temps à finir de le rouler, dû aux légers tremblements qu'il essayait en vain de contrôler. La fatigue, l'abus de différentes substances et l'angoisse de ses sentiments se mélangeaient sans précédent dans son cerveau. Il maugréa silencieusement à chaque obstacle de sa confection puis, ne put que soupirer de soulagement lorsque la longue cigarette se tendit entre ses doigts.

Il prit tout de même la décence de se diriger vers la fenêtre entre-battante avant de l'allumer. Il jeta un bref regard vers les personnes présente à son dessous ; la plupart dormaient également, ou discutaient. Au loin, le soleil lui s'était depuis complètement levé. Il tira une bouffée conséquente, laissant tomber son attention sur le portable contre sa paume. Il arborait une notification reçue il y eut de cela plusieurs heures, affichant le nom du destinataire en plus gros, ainsi que le début du message. Richie en sourit à l'ensemble de ces mots, ne prenant même pas la peine d'ouvrir le courrier électronique. Il savait déjà ce qu'il y avait de noté. Paolo pouvait-être particulièrement redondant par moment.

Finalement, il tira une deuxième latte tout en pianotant rapidement sur l'écran. Et aussi vite qu'il ne lui fallut pour envoyer sa réponse, il prit la troisième sans sourcilier. L'effet de la plante sur son cerveau à moitié réveillé ne mit pas longtemps à se faire ressentir ; le forçant par conséquent à se repentir. Usé, il ouvrit un peu plus l'ouverture de la pièce. Ce qui permit rapidement à la brise chaude de s'engouffrer à ses côtés. Puis, il se dirigea paresseusement vers la literie qui lui tendait les bras, n'oubliant pas de s'affubler de son propre cendrier de poche. Comme il le disait souvent : « Pour ma santé j'm'en fous, je l'aurai cherché. Mais la terre elle, n'a rien demandé ». Effectivement, le comédien un tant soit peu narcissique, mettait tout de même un point d'honneur pour faire de son mieux au niveau écologique.

Il se demanda quelques secondes si Beverly lui en voudrait de fumer dans la pièce, avant de très vite oublier cette possibilité. Cela devait surement lui arriver de temps à autre, quand l'hiver arrivait et qu'il faisait bien de trop froid pour daigner sortir à l'extérieur. Et de toute manière, elle devait être bien de trop fatigué pour en dire quoi que ce soit. Il eut cependant un violent sursaut lorsqu'il perçut le cliquetis de la porte s'enclencher, avant que la fine lumière du couloir se fasse entrevoir.

Par réflexe, il cacha le pétard derrière son dos, faisant valser la petite poche de plastique sur son T-Shirt. Il hoqueta dans le même temps un son de désagrément, alors que le visiteur semblait s'être immobilisé sur le pas de la porte. Nerveux, le comédien frotta rapidement le dos de sa main contre la cendre tapis sur son ventre, tel un enfant qu'on aurait surpris à fumer pour la première fois.

« Bordel. T'es con, tu m'as fait peur...

- Désolé, je pensais retrouver ma chambre moi aussi.

Eddie n'avait toujours pas bougé de l'entrée, les bras entrecroisés. Il semblait se donner une contenance face à l'attitude de son aîné ; comme un parent qui ferait la morale à son gosse. Même son regard semblait être emprunt à un jugement sévère. Cependant, cela n'avait en réalité rien à voir avec ce genre de sentiment négatif.

- Bien-sûr... Je vais te laisser le lit si tu veux dormir. Commença machinalement Tozier. Tu dois vouloir te reposer.

- Je viens dans l'espoir d'utiliser la douche. Reste ici, je ne te chasse pas. Et vu ta gueule crois-moi, c'est toi qui devrais profiter du matelas.

Eddie se mouva dans le même temps le long du lit pour s'avancer vers la salle de bain ouverte. Il tapota plusieurs secondes le mur de la pièce dans l'espoir de trouver l'interrupteur. Puis la lumière jaillit rapidement, permettant d'illuminer dans le même temps le comédien toujours immobile.

- Je n'ai pas pris de douche depuis... Mon dieu, je ne veux même pas t'le dire. Rajouta le cadet alors qu'il ramassait des vêtements propres dans l'une de ses valises.

Il repensa également aux derniers souvenirs de cette dernière. Son visage changea d'expression du tout au tout. Enfin, rapidement, il se contenta d'oublier ces lubriques détails.

- Toi... ? Demanda Tozier tout en tirant une nouvelle taffe. Te connaissant, ça doit même pas faire un jour...

- C'est bien assez. Le voyage était usant.

Même si sa voix se fit sure, Kaspbrak semblait fuir le regard de son ami. Il ne savait pas pourquoi véritablement, mais il était sûr que quelque chose le mettait mal à l'aise.

- Je comprends Eds. J'te taquine, comme d'hab'.

- Tu fais bien de préciser. J'pensais que tu faisais comme-ci j'étais pas là.

Cette réflexion lui avait tout bonnement échappé. Et Eddie s'en rendit compte que bien de trop tard. L'autre lui haussa un sourcil d'incompréhension.

- Quoi ? Souffla Tozier, maintenant assis.

Il semblait en attente d'une réponse ; qui n'arriva cependant pas. Le plus jeune se contentait de continuer sa fouille, préparant sans sourcilier ses divers produits d'hygiènes.

- Eddie. Qu'est-ce que t'insinues ? Répéta-t-il, plus sérieusement.

- Moi, rien. Je ne fais qu'émettre une conclusion.

Et avant même la fin de sa phrase, il était déjà parvenu au lavabo. Tout était dès-à-présent prêt, mais Kaspbrak semblait s'approprier d'une irréprochable perfection à tout organisé. Richie se fit la réflexion que ces tocs si significatifs en disaient plutôt long sur l'état psychologique de son meilleur ami.

- Eh Eds... S'il te plait. Viens t'asseoir, qu'on discute.

Contre toute attente et alors que le bigleux ne pensait pas faire mouche avec sa demande, Eddie de son côté ne bougea plus. Il avait détourné son attention des différents flacons qu'il venait d'installer sur la baignoire pour les yeux fatigués de Tozier. Il sembla hésiter quelques secondes ; alors que l'autre se décalait un peu plus vers l'extrémité du matelas.

- Tu m'en veux parce que j'évite la conversation ? Alors vas-y. Dis moi ce que tu veux savoir et dis-moi ce qui te chiffonne.

Le ton -même si rempli de confiance- était sévère. Son interlocuteur ne put que se soumettre à cette volonté. Car lui aussi semblait en avoir besoin. Ce fut donc en silence qu'il laissa ses occupations pour s'installer près du comédien, croisant les bras sur son torse une énième fois. Richie n'en eut rien dit ; mais esquissa un maigre sourire.

- Bon alors. Pourquoi cette réaction ? Commença alors l'aîné, rallumant sa cigarette particulière sous les yeux accusateurs de son compère.

- J'suis... Je suis désolé. Mais là, j'suis à bout... Je suis fatigué.

- Et ça à rapport à quoi ? Ton boulot, ton mariage ?

Tozier tira une nouvelle bouffée avant de tapoter sur le tube du bout de son index. Eddie hésita à répondre, ouvrit la bouche, puis la referma tout aussi vite. D'un regard, le plus immature des deux lui fit comprendre qu'il pouvait continuer. Qu'il ne devait plus avoir peur de parler désormais. Et Kaspbrak souffla afin de se donner du courage. Il fallait qu'il le soit, il l'était bien plus qu'il ne le pensait. Et il ne pouvait plus se contenter de rester prisonnier de ce silence si étouffant.

- Depuis qu'on a... Qu'on a tué « Ça » et que tu m'as sauvé la vie, j'ai l'impression que toute cette histoire m'a ouvert les yeux. Sur ma vie, sur mes choix... Et surtout sur ma relation avec Myra.

- Ta femme ? Le coupa Richie, empreint d'une curiosité soudaine.

Étrangement, Eddie n'avait que très rarement parlé de son mariage. Le plus qu'il en avait fait, demeurait sur l'instant de leur retrouvaille à Derry. Et le seul élément qui en découlait furent les nombreuses années passées depuis la signature de ce contrat. Douze ans très exactement.

- Ouais... Ma femme.

Son timbre de voix semblait plus plat ; sa mine elle, paraissait déconfite.

- Ça fait plus de dix ans que je vois rien. Et maintenant, je me rends compte de tout ce qu'il peut se passer. Comme-ci on m'avait retiré un bandeau qui me couvrait les yeux depuis plus de vingt ans. Myra, on dirait...

Il se tut alors avant de terminer sa conclusion. Son teint devenu livide lorsqu'il peina à déglutir. Et d'une pression du bout des doigts, Richie l'invita à continuer. Tout en lui promettant simplement d'une lueur compatissante qu'il ne porterait aucun jugement quelconque sur la suite de ses paroles.

- J'ai l'impression Rich' que j'ai recréé la même situation que quand j'étais gosse. Quand je la vois, qu'elle est devant moi... Je ne reconnais que ma mère. J'ai absolument refait le même schéma. Le même schéma que j'avais oublié...

Même si la situation était propice à toute forme de moquerie de la part du sarcastique, il n'en fit rien et se contenta de le fixer avec sincérité. Bien que surprit par ces révélations, il sembla bien de trop meurtri par le mal-être de son cadet pour répondre quoi que ce soit. Même une réponse sérieuse. Eddie lui ne broncha étonnement pas. Il semblait contre toute attente ravi d'avoir enfin put soulager sa conscience. Et le fait de se le dire à haute voix consolidait un peu le tout dans son esprit.

- Tu as peut-être simplement voulu te rapprocher d'une personne ayant à peu près le même caractère pour pouvoir te rassurer. Ce n'est pas très grave en soi... Commença soudainement Tozier tout en détaillant naïvement le bout de ses ongles. Il ne faut pas que tu te stresses autant. Une passade... Ça arrive dans chaque couple.

- Ce n'est pas qu'une simple passade. Je ne supporte plus cette relation, c'est malsain au plus au point... Et je m'en étais jamais rendu compte. Je me contentais de tout ça sans chercher plus.

- Eds. Tu l'as aimé cette femme, tu as passé dix ans de ta vie avec elle.

- Je ne l'ai jamais aimé Richie. Conclut-il sobrement, plus pour lui-même que pour son acolyte.

Le plus vieux lui porta ainsi de nouveau son attention. Il s'était également rapproché un peu plus ; détaillant un infime reflet dans ces pupilles rétractées.

- Tiens, prends une bouffée. Fait moi plaisir...

Il lui tendit au même instant le joint à moitié consumé que l'autre rejeta, écœuré.

- Pardon ? Non, j'en veux pas... Répondit-il tout en envoyant la main qu'on lui proposait à l'autre bout de la literie.

- Quoi ? Ça va pas te faire grand mal. Au point où tu en es rendu. Et puis, c'est pas plus dangereux que les médocs que tu te forces à gober tous les jours depuis des années.

Eddie hésita. Et finalement, accepta avec un peu d'appréhension. Il fixa le stupéfiant en question d'un air intrigué, avant de le porter avec insécurité à ses lèvres. Puis tira dessus. Il ne prit pas énormément de quantité. Et donc, ne toussa dorénavant pas. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas fumé en règle générale ; mais en reprit une seconde fois. Tozier le scrutait, amusé.

- Ça va peut-être te soulager un peu... Rajouta ce dernier dans un rire léger.

- J'arrive pas à le croire. Qu'est-ce que je vais faire maintenant... »

Sa vue se focalisa sur le plafond, et il réalisa qu'il était dès-à-présent au pied du mur. Peu à peu, il laissa la résine de cannabis faire son effet sans même une once de crainte. Cela lui permit également de relâcher la pression qu'il avait contenu au plus profond de lui-même depuis des mois. Son ami le laissa faire dans une expression quelconque. Il ne lui répondit rien, et ne chercha pas à trouver grand-chose à lui dire. Il se contenta de le détailler tout alors que le plus petit parvenait enfin à cesser de bouger. Il lui reprit tout de même le produit des mains avant de le ramener vers sa propre bouche.

« On tient bien notre nom finalement, on était visionnaire à l'époque. On est vraiment des Losers... Esquissa Eddie dans une faible parole.

Il semblait plus relâché. Ses paupières alourdies venaient appuyer cette théorie. Tozier sembla quant à lui empreint d'un rire nerveux.

- C'est parce qu'on est plus que les deux seuls pauvres malheureux du groupe que tu dis ça ?

- Pourquoi tu m'évites depuis ce matin ?

Son ton fut si sec que Richie se crispa par réflexe. Et lentement, tourna le regard vers celui de Kaspbrak, toujours fixer vers le dessus de sa tête.

- J't'évite pas...

- Mon cul ouais. Souffla ce dernier dans un sourire sarcastique. Attendre que je sois descendu pour venir ici, c'est déjà un premier exemple.

- Fallait l'dire si tu as besoin de moi pour trouver le sommeil.

- Te défiles pas derrière tes blagues sarcastiques Richard.

Le cadet l'avait coupé d'une nonchalance toujours aussi inébranlable. Le pétard faisait son travail ; la fatigue assimilant parfaitement une honnêteté significative à son attitude. L'autre s'était quant à lui rétracté, délaissant son comportement moqueur sur cet instant.

- Tu ne m'as même pas adressé la parole ce matin. Tu n'as même pas daigné me regarder.

- Qu'est-ce que ça aurait changé de toute façon hein ? T'aurai été au crochet de ton téléphone toute la nuit, même si j'avais été là. Coupa Tozier d'un ton rancunier.

- Justement, j'ai besoin de toi. T'es mon meilleur pote ; et c'est aussi dans ces moments-là que j'ai besoin de ton soutien.

Eddie semblait complètement détendu. Il ne prenait pas en compte l'agacement du comédien à son flanc. Celui-ci s'était légèrement relevé, pinçant ses lèvres nerveusement, cherchant une réponse convaincante.

- Bah désolé, mais pour moi, ça me semble clair. Reprit-il alors, plus sur de lui désormais. Tu viens de te rendre compte que tu ne l'aimes pas, ou plus disons. Et maintenant, c'est à toi de prendre la meilleure décision. Si t'es pas heureux dans ton mariage... N'y reste pas. C'est aussi simple que ça.

Il vit étonnement que le concerné hoqueta un semblant d'hilarité à la fin de la réponse, comme déboussolé par cette conclusion amère.

- D'accord. Et après... ? Qu'est-ce que je fais putain...

- Tu cherches ce qu'il peut te rendre pour de bon heureux. Conclut enfin Richie, son attention perdue au niveau de l'extrémité rougit de la cigarette qui se consumait.

- Mais ça, j'en sais foutre rien...

Ce n'était qu'un faible marmonnement dans l'air, même si son buste se remettait un peu plus droit. Kaspbrak se mouva paresseusement, à présent assis.

- C'est pour ça que je te dis qu'il faut chercher. Répondu rapidement le plus grand, offrant gracieusement la fin du produit au plus démuni, qu'il accepta sans hésiter cette fois-là.

- Et toi alors, c'est quoi qui pourrait te rendre plus heureux ?

- Tu fais chier Eds.

- Quoi ? J'te pose une question, c'est tout. J'suis curieux...

Contre toute attente, Richie s'esclaffa légèrement. Il était dans l'incapacité de deviner si Kaspbrak le faisait exprès ou pas. Malgré tout, il se força à faire preuve lui aussi de droiture.

- Me dis pas que tu n'en as pas déjà une petite idée ? Se permit-il de répondre tout en paraissant détaché.

Son interlocuteur ne lui fit parvenir qu'un haussement d'épaules, paraissant dorénavant tout ouïe à la discussion.

- Bordel, m'oblige pas à le formuler merde...

- Pourquoi ça te gène autant d'en parler ? Se permit Kaspbrak, tournant également la tête vers lui pour la première fois depuis son installation à ses côtés.

Tozier voulut répondre ; mais sa salive ne put monter à sa langue. Elle était terriblement sèche, et il fallut un raclement de gorge bruyant pour qu'il puisse ainsi laisser échapper un énième son.

- Ecoute... J'ai passé presque trente ans de ma vie à la fermer sur le sujet. Surtout celui-là... Ça a toujours été tabou pour moi. Je ne me vois pas l'ouvrir directement. C'est comme toi, j'ai des peurs aussi, et il va me falloir du temps pour les franchir...

Eddie en restait à présent silencieux, jugeant avec sincérité l'autre homme. Il voyait pour la première fois les dégâts qu'il engendrait involontairement chez son compère depuis des décennies. Il eut soudain honte de se plaindre autant, alors que le plus vieux gardait toujours tout pour lui.

- Crois-moi, c'est pas évident... Mais il faut qu'on y arrive. Reprit Richie avec un étrange sourire positif, à défaut pour ses iris de laisser entrevoir quelques bribes d'humidité. On doit tous se battre pour quelque chose. Et normalement, il y a toujours un moyen de l'avoir. »

Son sourire semblait faire plus d'effet qu'à l'intitulé. Eddie ne détournait pas son attention des lèvres qui lui firent face, alors que le dernier souvenir qu'il avait des friches remontait discrètement à la surface. Il se souvenait quand Tozier s'était penché vers lui, et qu'il avait collés ses lèvres contre les siennes. Cela avait été bien trop court ; ce n'était même pas un véritable baiser. Mais cet acte avait éveillé comme une fascinante curiosité chez le plus jeune ; tout comme sa dernière douche le lui avait laissé présumer.

Cela devait faire dorénavant plusieurs secondes qu'il n'avait donc pas bougé, perdu dans ses réflexions. L'aîné en resta songeur, toujours immobile. Sans même qu'il ne comprenne pourquoi, il sembla terriblement stressé. Kaspbrak ne répondait plus. Ses yeux étaient fuyants, se déplaçant aux quatre coins de son visage.

« Ed... Eddie... ?

Mais avant même que l'autre ne prenne la peine de répondre, il s'était rehaussé. Ses paupières furent à présent closes. À l'inverse de celles de Tozier, farouchement grandes ouvertes.

- Eds... »

Sa parole s'étouffa, et il se pétrifia. Sa respiration se bloqua également ; celle de Kaspbrak se fit démesurée. Ce dernier laissa ses lèvres se caler sur les siennes, ne les mouvant pas dans un premier temps. Le comédien ne pouvait quant à lui plus réagir. Il se contentait de rester impassible, comme-ci le moindre mouvement pouvait tout détruire.

Malgré tout, le plus jeune ne se recula pas. Et naïvement, termina sa timide action. Il laissa un maigre espace entre leurs visages, ouvrant légèrement les yeux. L'autre ne pouvait faire autre chose que le scruter vainement, penaud. Le temps d'une courte poignée de secondes, avant qu'il n'arpente une deuxième fois les lèvres offertes à son front, un peu plus intensément.

Il ne pensa aucunement aux conséquences de son acte, ne désirant que profiter encore un peu plus de cette opportunité. Eddie lui, ne réfléchissait à rien non plus. Il gouttait pour la première fois à un véritable baiser amoureux ; une vraie bulle de sentiments véridiques. Peu importait par qui celle-ci était donnée : Plus qu'un besoin, s'en fut une nécessité.

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