Une ombre au tableau

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Mon existence n'est que le fruit d'un pur hasard, celui de la présence d'un être de chair et de sang -comme toi, lecteur- et d'une source de lumière ; celui d'une mauvaise blague de la physique, celle qui fait que cet être absorbe égoïstement tous les photons qui lui parviennent, me condamnant à l'éternelle obscurité. Bon, ne va pas non plus croire que je déteste ce mode de vie : cela a ses avantages de ne pas avoir de corps physique ! Ainsi, pas besoin de remplir les feuilles d'impôts, cela me laisse plus de temps pour réfléchir à la philosophie de la vie.

Par exemple : la réincarnation. Est-ce qu'une ombre se réincarne à chaque fois que son détenteur passe devant une nouvelle source de lumière ? Est-ce la même ombre, attachée aux même pieds, ou bien une ombre un peu différente, passée par les sources du Léthé, amputée d'une partie d'elle-même qu'elle a à jamais oubliée ? Brrrr, cette idée me fait froid dans le dos : j'aime croire à l'unité de ma petite silhouette.

Ou encore : le dédoublement. Lorsque mon humain passe sous les projecteurs (ce qui lui arrive fort rarement, mon humain étant plutôt du genre timide), un affreux double palôt apparaît aussitôt, se déforme sous l'angle de la lumière, tourne puis disparaît avant de revenir à la prochaine occasion. Mais qui est-il, celui-là ? Il ne peut pas se trouver un autre humain ? Du coup je me pose des questions sur la fragilité de ma propre existence, et je n'aime pas ça : le stress, c'est mauvais pour la silhouette.

Mon humain veut devenir astronaute, et visiter les étoiles. Lorsque je lis par-dessus son épaule ses manuels de physique, je m'inquiète : et si le voyage à des vitesses supraluminiques était possible ? Qu'adviendrait-il de moi, pauvre petite ombre abandonnée à la gare pendant que mon humain s'envole à des millions de kilomètres pour poser ses pieds le premier sur un tas de cailloux sans intérêts ? Peut-être qu'une ombre peut voyager plus vite que la lumière elle aussi. Mais ce ne sont là que spéculations à propos d'un avenir incertain et improbable. La plupart du temps, je paresse dans la pénombre, profitant de l'existence insouciante qui m'est donnée pendant ces quelques heures enluminées.

Le jour se couche doucement sur mon humain, me fais grandir, grandir jusqu'à envahir la pièce et je me fonds bientôt dans l'ombre uniforme qui envahit le monde. Alors je te souhaite également bonne nuit, lecteur, et n'oublie pas de prendre soin de ton ombre demain matin : elle le mérite !

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