Au monde

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La sage-femme sort enfin de la maison rouge. Il est à peine sept heures. Elle s'essuie les mains dans son tablier et s'assied à côté du curé, contre le mur couvert de lierre. Le Père Souchin l'écoute avec attention.

« Qu'est-ce qu'elle dit, la Marie ? » Le visage avide de Germaine scrute les personnages en noir et blanc sur fond rouge qui n'ont pas remarqué les deux commères installées sur le banc, de l'autre côté de la voie pavée.
« Mes oreilles sont pas plus longues que les tiennes ! Un fin sourire moqueur étire la ligne des lèvres de Tiphaine. Germaine grimace : la plaisanterie est éculée entre elles.
— Sorcière ! Te fais pas prier Titou !
— Elle dit que c't'une fille et qu'elle est née coiffée…
— …
— Elle dit que la mère est faible et qui faut trouver Nourrice… Le Père Souchin propose la Pique de Chantaron...
— C'est pas tout près !
— C'est ce que dit Marie, elle tient que si la Francine a pu sa piote, elle va passer… Y'a la laiterie des anges qu'elle dit, elle pense qu'elle peut ramener du lait, mais faut que quelqu'un veille la mère et nourrisse la fille… »

En face des commères, Marie se lève et se tourne vers le curé. Les grand-mères laissent simultanément échapper un juron de frustration.

La sage-femme s'éloigne d'un pas vif. Le curé de Massoy, un instant les yeux dans le vague, aperçoit Germaine et Tiphaine. Il se met immédiatement sur ses jambes et s'en va menacer ses ouailles en secouant son index …
Germaine, en plus d'être curieuse comme un chat, ne garde jamais sa langue dans sa poche :
« Alors c'est à qui qu'tu penses, not' curé, pour la Francine ? Tu crois qu'elle va s'en sortir ? Elle est gentille cette fille-là.
— Ah ! Ça ! Vous êtes incorrigibles ! Est-ce que ça vous regarde c't'histoire ? Et puis vous avez passé l'âge d'écouter aux portes hein ! T'as pas honte Titou ?
— Allez rouspète pas mon Père, t'sais bien qu'on n'est pas des mauvaises. Et pis on n'a rien écouté...
— Fais ta finaude ! C'est grand bien que t'sois pas restée sourde, merci mon Dieu, mais je suis pas sûr de partager la joie du talent que ça t'a laissé !
— Hé ! Ben si hein ! Qu'on s'ennuierait sans ça. Pas vrai Gégène ! Quand on est vieux y'a plus que la vie des autres qui intéresse ! ». Et Titou d'enchaîner, l'air de rien « On sait toujours pas où c'est qu'il est le père !
— Non ! Dis ! Là, tu pousses mère Marsouin, je suis pas ton Quotidien ! »

Titou sourit innocemment. Son amie dont la curiosité retombe un peu, s'inquiète vraiment pour la jeune mère :
« Et Louise, t'as pensé à la Louise ?
— Louise ? Ça fait pas loin que son ventre a perdu un piot, ça pourrait être trop vif…
— Faut y d'mander, elle sait mieux que toi. »

Le curé salue les grand-mères : le temps presse pour résoudre le problème.
Comme il n'y a plus rien à voir du côté de la bâtisse aux lierres rouges, les commères retournent à petits pas dans la maison qu'elles partagent depuis la mort du mari de Titou. Leurs langues sont plus rapides que leurs vieilles jambes.
Ni l'une ni l'autre n'ont d'enfant, Titou parce que c'est comme ça et Gégène parce que son Pierrot est mort noyé à trois ans. Elle n'en a plus voulu.

*

Germaine Parage a raison : Louise serait une bonne solution. Elle est jeune, elle n'a qu'un garçon de six ans qui va à l'école et son mari travaille en ville toute la semaine, il ne sacrifiera rien à la situation. En sautillant sur les pavés, le curé sourit : la Gégène et la Titou ! Elles font la paire ces deux-là ! Elles en savent plus que lui ! Et sans confessionnal ! Elles sont toujours à l'affût du moindre incident.
C'est un jeu pour elles, un exercice de l'esprit. Dès qu'elles pêchent une information, elles cherchent à en déduire les cascades d'incidences à venir. Elles sont la bonne intelligence du village, sa pensée clandestine ; quoiqu'elles ne prétendent qu'au commérage.
Le curé est peut-être le seul à connaître le secret de Titou et parce que, ce secret-là lui a servi souvent, comme aujourd'hui, il prend bien garde de n'en rien dire.
Monsieur le curé a ses agents pour confesse.

Tou bi continuaide :)

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