51. Distance

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Nous sommes dimanche. Le son de la télévision que regarde Clémence créait une ambiance lointaine, me donnant l’impression d’être dans une bulle avec mon amante. Elle est lovée contre mon flanc, sa jambe enlacée à la mienne et ses doigts parcourent à l’aveugle mon tatouage.

Nous avons fait l’amour pendant une heure. Vivre une sexualité aussi intensément, c’est tout ce dont je rêvais depuis mon adolescence. Chaque fois que je me dis qu’il a fallu que je sois défigurée pour la vivre, ou même simplement rencontrer Giulia, je me mettrais presque à remercier mes agresseurs. J’ai horreur de ce sentiment, car il est faux. Mylène et moi nous étions embrassées. S’ils n’avaient pas été là, c’était elle que j’aurais présenté à mes parents. La mort de ma collègue réémerge de la mélasse de souvenirs et mes yeux s’humidifient. Pourquoi faut-il que je pense à des idées noires maintenant ?

Giulia qui ne s’en rend pas compte, arrête de me caresser, puis s’allonge sur le dos.

— J’aimerais te présenter à ma mère.

Je sors de ma mélancolie, digère la surprise et m’étonne :

— Je croyais que tes parents étaient des cathos homophobes ?

— Je lui ai dit que je changeais de travail et de région et elle a deviné qu’il y avait quelqu’un derrière ça. Je n’ai pas pu nier, mais… je ne lui ai pas dit que t’étais une femme. Elle ne comprend pas pourquoi je ne veux pas lui parler de toi. J’aimerais bien qu’elle te rencontre, mais si elle vient en France ou qu’on part en Italie, il y aura forcément mon père. Et lui, c’est sûr que ça ne passera pas.

— Avec ce qui s’est passé dans ma famille, je comprends que t’ais pas envie. Et puis ça ne fait pas longtemps que nous sommes ensemble.

— Tu m’as bien présentée à ta famille.

— Oui, mais j’avais besoin de faire mon coming-out. Je peux comprendre que t’aies pas envie de rompre avec ta famille. On ne sait jamais, si finalement on s’engueule trop souvent ou que je te trompe avec dix filles en même temps, t’auras tout perdu.

Elle se tourne sur le côté et m’observe.

— Tu sais, les rêves ne se produisent jamais.

— Je sais que je peux partir en vrille. Je n’ai pas envie de te faire de la peine. Mais des fois je me demande si ma tête sera plus forte que…

— Je ne suis pas toujours toute seule dans ma tête, non-plus. Tu sais, faut pas penser qu’avec ta tête. La vie, c’est être soi-même. Et quand je repense à notre première fois dans les douches du dojo, je sais que c’est cette fille qui j’ai choisie. Tu sais ? Avant de te rencontrer, j’ai l’impression que mes relations ont… Comment dire ? Je sortais avec des garçons, je les testais, je cherchais le mec parfait qui aurait pensé avec son cœur avant d’écouter sa bite.

— Et t’as trouvé une fille qui ne pense qu’avec sa chatte, ris-je.

— Ce n’est pas ce que je voulais dire. Ce n’est pas faux, mais non, ce n’est pas ça. Je veux dire : j’avais une partie de moi qui n’y croyait pas. Je veux dire que j’avais envie de connaître une vie normale, une vie de couple. Mais est-ce que j’y croyais vraiment ? C’est comme le sexe. Je m’imaginais réussir à trouver une sexualité normale, à passer au-delà de ce que m’a fait mon oncle. Franchement, je savais que je pouvais passer au-dessus de ça. Mais je n’aurais jamais cru avoir cette véritable envie dans le ventre, comme ce jour où tu m’as plaquée sous la douche.

— Tu n’avais jamais pensé à une relation avec une femme ?

— Non. J’étais surprise de te plaire alors qu’on s’était battues. Quand tu m’as demandée si ça ne me dérangerait pas d’avoir une relation avec toi. Je me suis dit que t’étais vraiment tarée, et même temps y avait ce truc au fond de mon ventre qui me criait qu’il fallait que j’essaie. Pour moi, pour combattre les cauchemars créés par mon oncle, il fallait que je que je vive la même chose avec amour, donc avec un homme. Et là, t’as débarqué ! T’avais ce truc de femme serpent dans le regard. C’est comme… C’est comme si j’étais une petite souris et que j’avais envie d’être mangée. Je me demandais ce que tu voulais me faire, et si j’aimerais. Je ne pouvais imaginer tout et n’importe quoi, je savais que ça ne pouvait qu’être différent d’un homme. Je sentais que tu saurais comment t’y prendre et que je comptais. Et c’est quand t’a mis ta main sur mes parties que ça m’a fait un déclic. J’ai dit oui et à partir de ce moment, j’étais open à out ce qui pouvait arriver. Tes caresses sont devenues super délicieuses. Ta bouche sur mes seins, ton doigt en moi, puis ensuite ta langue dans ma bouche. Je n’oublierais jamais.

— En réalité, t’as pas dit oui. T’as dit non.

— Tu m’as demandée si ça ne me dérangerait pas, et en effet, j’ai dit non. Mais t’étais tellement envoûtante. C’est cette Élodie que j’aime. Terrifiante et envoûtante, libre et prédatrice. C’est comme tenter d’adopter un animal sauvage.

J’échange un sourire avec elle, émue par sa déclaration. Elle caresse mon bras puis me confie :

— Je ne veux pas mentir à ma mère, pas sur ça.

— Tu lui mens sur autre chose ?

— Disons que quand elle évoque son frère, feu mon cher oncle, qu’elle ressasse tous les bons souvenirs de son enfance avec lui, je souris. Je fais la Joconde.

— Ça doit être dur.

— Ouais. Nous n’avons pas les mêmes souvenirs d’enfance, elle et moi.

Giulia se rapproche et se blottit, elle renifle, me faisant prendre conscience qu’elle pleure. Je suis surprise de voir l’implacable Giulia fondre.

Je l’étreins, caresse son dos, puis son téléphone indique qu’il est tard, qu’elle doit rentrer sur Paris. Elle tourne son visage contre l’oreiller, essuie ses larmes, puis se lève en retrouvant sa prestance naturelle. Je reste allongée et lui confie pendant qu’elle s’habille :

— T’avais raison. Clémence est amoureuse de moi.

— Elles le sont toutes.

— Peut-être que je suis dans le coma et que je rêve.

— Pourquoi ?

— T’as vu ma gueule ? Qu’est-ce qu’elles me trouvent ?

— Du sex-appeal.

— Toi, tu as du sex-appeal.

Habillée de son tailleur, le petit foulard autour du coup, elle me tend les mains. Je les saisis, elle me lève et questionne :

— Tu seras sage en mon absence ?

— Je vais essayer.

Elle recule la tête, regarde les fées sur mon corps et pointe un couple sur la fresque :

— Même quand le chatte n’a plus faim, on ne peut pas l’empêcher de jouer avec les souris, non ?

Je ne sais pas quoi répondre, je préfère être un serpent qu’une chatte dans ses métaphores animales. Est-ce de la résignation ? S’est-elle aperçue que ça ne changeait rien à ses sentiments ? Ou découvre-t-elle qu’elle n’a plus de sentiment ? Son annonce de vœu de coming-out invalide cette dernière hypothèse.

J’opine du menton, elle m’embrasse sur la bouche et elle quitte la chambre. J’avance jusque dans l’encadrement de la porte. Elle se penche vers Clémence et échange une bise. Elle me fait un petit digne des doigts avant de fermer la porte d’entrée. Je reste songeuse, essayant de cerner ma lunatique Italienne. La semaine va me paraître longue, sans elle.

Le regard fixe de Clémence dans ma direction me rappelle que je suis nue, alors je rentre dans la chambre pour m’habiller.

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