Chapitre 9 – Hubert de Saint-Brys

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Chapitre 9 – Hubert de Saint-Brys


1975


Cela faisait maintenant plusieurs années que le Corostylen était considéré par les planteurs comme l’insecticide miracle, qui avait permis de se débarrasser du fameux charançon.

Hubert de Saint-Brys, comme tout bon chef d’entreprise, avait pris l’habitude de lire la presse au petit déjeuner. Mais souvent avec quinze jours de retard lorsqu’il s’agissait de journaux importés de France métropolitaine. Ce qu’il découvrit ce matin-là, dans son quotidien national, faillit le faire tomber de sa chaise : un incident majeur s’était produit aux États-Unis, dans l’usine de fabrication du produit. Inquiet, il bondit aussitôt sur son téléphone et appela son correspondant qui se trouvait sur place au siège de la société.


— Allo, Matthew ? Hubert de Saint-Brys à l’appareil. C’est quoi cette connerie ?

— Good morning Hubert. Ohhh... Vous n’avez pas reçu mon télex ?

— Non !

— Il y a eu... Euh... un problème ici.

— Mais nom de Dieu, je suis au courant figurez-vous ! Pourquoi croyez-vous que je vous appelle !

— Pas de panique Hubert. Il s’agit seulement de l’intoxication de quelques ouvriers.

— Arrêtez de me prendre pour un con Matthew, vous savez très bien que l’intoxication ne s’est pas arrêtée aux seuls ouvriers mais qu’elle a également touché les riverains ! C’est grave, j’espère que vous en avez conscience ! Ils vont sûrement fermer l’usine... Vous réalisez ?

— Yeah, it’s a big shit !

— C’est tout ce que vous trouvez à dire ?

— Pourquoi vous vous inquiétez ? Avec les stocks que vous avez en réserve, vous avez de quoi voir venir, vous êtes tranquille.

— Écoutez-moi bien, il ne faut surtout pas ébruiter l’affaire. Vous connaissez l’étendue des enjeux en cours, ce serait une catastrophe. Si jamais cette histoire venait à faire la une du journal local, je vous en tiendrais personnellement responsable. Vous m’avez compris ? J’ai beau avoir des relations, je ne suis pas le bon Dieu !

— Ok. J’ai parfaitement saisi, vous pouvez compter sur moi.




En raison de précautions insuffisantes, plusieurs dizaines d’ouvriers furent en effet intoxiqués ce jour-là, mais aussi des riverains par la pollution des sols alentours. Les examens pratiqués alors établirent un lien formel de cause à effet entre les troubles neurologiques des patients et la catastrophe survenue un peu plus tôt. Cet accident permit d’actualiser les connaissances sur la toxicité de la molécule, sur sa persistance, ainsi que sur son accumulation dans les différents compartiments de l’environnement.


Ces résultats entraînèrent non seulement la fermeture de l’usine, comme Hubert de Saint-Brys le prévoyait, mais également l’interdiction pure et simple de la production et de la commercialisation du produit aux Etats-Unis dès 1977. Des rapports furent publiés dans les années qui suivirent par différentes institutions américaines, notamment l’Office pour la santé au travail (NIOSH 1976), l’Agence de protection de l’environnement (EPA 1978) et l’Académie des Sciences (NAS 1978).


Les rapports des français Snebaloff (1977) puis Kertalec (1980) établirent catégoriquement les risques de ce pesticide, dont ils montrèrent la persistance et l’accumulation dans les organismes. En 1979, la molécule rejoignit la catégorie des produits potentiellement cancérigènes, établie par le Centre international de recherche sur le cancer, au service de l’Organisation mondiale de la santé.






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