La Nécessité

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Le désert était aride mais dans un sens, froid. Il m'appelait, me demandait de fuir, de me réfugier dans ses longs bras glissant et dorés. Pourtant, je croyais avoir un devoir ou en quelque sorte un destin qui m'empêchait de tout laisser derrière moi et je m'accrochais à ce dernier espoir de toute mes forces - car il n'était plus permis d'espérer.

J'étais enfant lorsque tout cela s'est passé mais une douloureuse lame semble s'enfoncer dans ma poitrine lorsque je lis les carnets de mon père. Il y avait une guerre, terrible, et Hirajah était la cité du soleil, l'impénétrable, le paradis des réfugiés et ce jusqu'à ce que notre ville devint un enjeu stratégique important non pas pour ses ressources ni sa localisation mais bien par pure fierté, celle de réduire l'ennemi en cendre. Mais quel ennemi ? Les hommes, les femmes et les enfants ? Principalement des marchands ou des artistes, brigands pour le pire. Alors je m'étais toujours demandé pourquoi nous avions été cible d'autant de haine, de toute part alors que nous ne possédions aucune armée. Dans mes moments d'ennuis, je pensais à tout cela à nouveau et je me réfugiais dans ma chambre pour lire encore et encore ce qu'Iram avait écrit, comme par nostalgie. Dans ce journal, aucune date, simplement des faits, des souvenirs et surtout l'espoir.

Et j'aurais eu besoin de ce carnet après les terribles annonces à la radio.

"Comment rêver lorsque l'on vit sous les explosions ? Aujourd'hui, la muraille a cédé ! Tout le monde est désespéré et certains profitent pour piller, sûrement par faim. Après tout, nous sommes en siège depuis trois semaines. Nous sommes tous résistants : la chaleur, la faim et la soif, nous connaissons. Mais la guerre ? Je ne croyais pas vraiment en la haine avant aujourd'hui mais étrangement, ça augmente ma croyance en l'amour. De fait comment survivre si l'on a aucun but ? Peut-être que ces hommes-là qui nous attaquent regrettent leur famille et pensent à la vengeance. Le mal n'est jamais sans but, personne n'est méchant pour être méchant, alors pourquoi agir comme ça ? Seul le temps pourra me donner la sagesse de comprendre... Mais le mal est fait. Un cercle de haine est lancé, nos peuples se détesteront toujours."

Ce texte était un de mes préférés. Il dégageait comme une aura puissante : la volonté de survivre, l'incompréhension face à la guerre et cela faisait parti de mes valeurs profondes depuis ma naissance.

Je descendis l'escalier d'où j'étais arrivé pour aller en cuisine. Les annonces m'avaient ébranlées et je ne savais pas quoi faire. Je m'accoudai à la fenêtre près de l'évier, au bout du plan de travail, pour plonger mon regard dans l'horizon. Je m'évadai dans mes pensées lorsque je vis quelque chose d'effroyable. Un chemin de terre longeait notre sobre maison et c'était en quelque sorte une des rues les plus fréquentées de la ville. Alors tout le village passait par là pour rejoindre le quartier artisanale. L'air était pesant, chargé d'un sable étouffant et pire encore, je ne vis personne jusqu'à entendre des bottes métalliques tinter sur le sol. C'était deux soldats qui conduisaient des prisonniers : la purge avait commencé.

" Avancez plus vite ! On a pas que ça à faire de notre journée, disait le premier soldat, agacé.

- Mes chers citoyens, un peu de pain pour vos soldats ne serait pas de refus, cria le second. Nous avons faim et il reste encore une bonne demi heure de route. Qui est prêt à nous accueillir ? Le premier à se proposer sera bien sûr récompensé."

La foule, tapie dans les maisons il y a encore un instant, sortie aux portes et aux fenêtres pour saluer les braves hommes qui purifiaient notre belle cité. C'était comme cela qu'ils ameutaient plus de fidèles, des personnes prêtes à croire aux pires horreurs avec la plus grande honnêteté tant qu'elles sont nourries. Et je les comprenaient. Comment résister à l'or lorsque vos enfants crient famine ? Alors je regardais impuissant jusqu'à ce que je vis l'impossible... Rania... Elle était dans le cortège. Ma vie défila devant mes yeux : je devais faire quelque chose pour cette fille qui fût ma première véritable amie et alliée.

Je quittai ma position et entrai dans ma chambre, l'œil vif et déterminé. Je pris mon bandeau pour me couvrir le visage et les cheveux  et la seule arme que je savais utiliser : mon sabre képesh, trônant fièrement sur son socle. Certes, il était censé être décoratif mais il avait toujours été là et à présent je savais me défendre ou du moins, j'en étais convaincu. Je couru vers la fenêtre de ma chambre, opposée à celle de la cuisine pour arriver dans le jardin et ainsi pouvoir suivre les prisonniers discrètement. Je me demandais où les soldats pouvaient les emmener...

Je me retournai une dernière fois et je vis ma mère qui me regardait. Nous savions tous les deux que je n'allais pas rentrer dîner, ni aujourd'hui, ni demain.

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