La Lettre

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La comtoise de la bibliothèque égrenait les heures de son tic-tac entêtant. Silencieux, au milieu des livres, Zéphyr contemplait le papier immaculé. Cela faisait plus d’une heure qu’Angelina avait quitté le refuge. Elle ne reviendrait, comme à l’accoutumée, qu’au petit matin, souriante et apaisée. Il s’était toujours figuré qu’elle descendait au village le plus proche afin de dénicher une proie. Les habitudes de sa protectrice ne l’avaient jamais rebuté ni dégoûté, après tout, elle n’avait pas vraiment choisi de devenir vampire, il fallait bien qu’elle survive dans ce monde hostile et ravagé par la guerre.

Zéphyr lâcha un soupir et perdit son regard dans la toile qui trônait au-dessus de la cheminée. Il n’avait jamais su comment son précédent mentor était parvenu à subtiliser cette peinture. Elle représentait l’époque où le royaume était prospère et n’avait pas encore sombré dans le chaos. Ses deux parents se tenaient côte à côte, seuls leurs doigts entremêlés laissaient présager qu’ils étaient en couple. Ils ne les avaient jamais connus, sa mère l’ayant confié aux bons soins de Dorian juste avant de mourir. Il lui arrivait souvent de rêver à la vie qu’il aurait s’ils étaient encore de ce monde. Andromède était le prince héritier de Sorgat. Zéphyr était son portrait craché avec ses oreilles effilées, son visage fin et délicat, ses longs cheveux argentés qui descendaient jusqu’au milieu du dos et son port altier. Il ne pouvait nier ses origines elfiques, il n’avait hérité que le regard émeraude de sa mère, Lucinda. Angelina lui ressemblait tellement.

Mais pourquoi donc ses pensées revenaient-elles sans cesse à elle ?

Zéphyr trouva son comportement risible. La jeune femme comptait tant pour lui. Elle était entrée dans sa vie, par le plus grand des hasards, juste après la mort de Dorian. Elle s’était interposée entre l’elfe et un groupe de vampires voulant le saigner à blanc. Il n’avait jamais su pourquoi elle l’avait sauvé ce matin-là ni pourquoi elle l’avait recueilli et protégé, le cachant aux yeux du monde jusqu’à ce que le chaos soit définitivement vaincu. Le prince pourrait alors monter sur le trône de Sorgat aux côtés de Céleste, une héritière elfique qu’il ne connaissait pas. Elle était promise à sa main depuis sa naissance et à eux deux, ils restaureraient la paix et le bonheur sur le royaume. Son futur était déjà écrit, immuablement. Qu’adviendrait-il de leur couple s’il n’aimait pas cette femme ; s’il ne supportait pas son attitude ou son caractère ?

Le problème était là, il ne se passerait rien. Il devrait faire fi de ses sentiments et s’investir dans son rôle de monarque avec la même abnégation qu’avait Angelina pour le soutenir. Zéphyr reporta son attention sur le portrait de sa mère, son sourire éclatant et ses boucles cuivrées qui cascadaient sur ses épaules, puis dans un nouveau soupir, il fit glisser la plume sur le parchemin afin de coucher ces quelques lignes :

Ma très chère Angelina,

Je peine depuis des mois à t’avouer ce que j’ai sur le cœur, aussi ai-je choisi de poser ces mots sur le papier.

Je tiens à te remercier sincèrement pour ton aide et ton dévouement. Tu représentes pour moi la seule étincelle de lumière dans l’obscurité de ma vie. L’unique lueur d’espoir qu’il me reste. Tu me soutiens comme une mère, tu me protèges comme un garde, tu concentres tes forces pour changer ce monde comme le ferait le plus loyal des alliés. Cependant, je nourris le rêve secret de déceler un jour, dans tes yeux, la même flamme que celle qui m’anime.

Lorsque tes doigts m’effleurent, l’espace d’un instant, je sens mon cœur s’emballer. Cela n’a rien à voir avec leur immuable froideur, mais plutôt à la passion qui me ravage dès lors. Je brûle… Je brûle de poser mes lèvres sur les tiennes dans un baiser ardent. Même si ce n’est qu’une seule fois.

Je sais que je suis voué à une glorieuse destinée aux côtés d’une elfe que je ne connais pas. Or mon cœur a déjà choisi une autre reine. C’est avec toi que je veux vieillir, c’est avec toi que je veux vivre. C’est égoïste de ma part, j’en suis conscient. Je souhaiterais tellement renoncer au trône de Sorgat afin de passer ma vie avec toi. Je t’aime profondément, désespérément. Je…

Zéphyr suspendit sa plume tandis qu’il sentait les larmes lui monter aux yeux. Angelina faisait preuve d’une telle abnégation que jamais elle n’accepterait de le voir ruiner sa destinée pour elle. S’il lui avouait son amour, elle s’éloignerait de lui afin de le préserver. Il se leva doucement tout en froissant rageusement la lettre. Puis, laissant libre cours à sa peine, il brûla le parchemin dans la cheminée, comme il l’avait fait avec les précédents aveux.

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