Lettre à Jean Rochefort

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Cher Jean. Très cher Jean.

J'ai mis longtemps à vous l'écrire cette lettre. C'est l'intérêt, la beauté autant que l'étrange du rythme d'un deuil qui m'entame aujourd'hui plus qu'hier. Votre moustache ne frémit plus, agitée par votre rire aigu. Vos yeux bleus et pourtant amusés n'ont plus à offrir ce regard au monde. Cinématographiquement, vous êtes entré dans l'éternel.

Où irez-vous maintenant ? Qui sait ? L'avantage des rêveurs, c'est qu'ils peuvent rêver partout. Je tâcherai donc de rêver plus fort dans un monde qui ne vous contient plus. Comme Jean Noiret avant vous, et quelques autres archanges du jeu, vous emportez avec vous derrière le rideau de l'inconnu une part de mon enfance et de mes tendres enchantements. Gardez-les précieusement près de vous. Vous demeurez leur gardien flegmatique.

Je vous revois, drôle et piquant, dans Que la fête commence. Être un abbé vicieux et cynique vous va à ravir. Et pourtant, c'est touchant et grave de dignité et d'émotion pudiquement renfermée que vous êtes dans Le Crabe Tambour. Vous êtes tous les visages. Vous me parlez d'amour, et nous finissons hilares. Vous me parlez d'un casse-dalle nocturne avec Marielle dans Calmos, et je pleure soudain, seul, face au visage d'une amitié qui a le panache de pouvoir se sceller sans tâche dans un festin arrosé de Tuborg. Bref, vous êtes. Et pour être comme vous sûtes le faire, il en fallait du talent.

J'aimerais moi aussi pouvoir faire ce que vous fîtes sans y paraître. Provoquer le plateau, tutoyer la caméra, et lui faire de si beaux enfants. Vous êtes aujourd'hui, Jean, l'un des plus grands amants que le cinémascope ait caressé. Avec votre moustache si anglaise et votre cœur si français, vous avez été plein de passion et d'abîmes, de rires et d'élégance. Et votre élégance, nous habille encore chaudement, Jean.

Vous êtes, et pour toujours, l'un de mes trésors sacrés, l'un de mes mentors invincibles. Comme vous le disiez avec tant de juste pudeur, il vous arrivait à vous aussi de faire appel pour les jours sans joie à la pharmacopée. Et pourtant, vous saviez franchir votre porte si lourde ensuite, pour nous donner à goûter au bonheur. Comme vous le disiez si bien : " Quelle leçon ! "

Merci Jean. Ils ont de la chance là-haut. Là-haut ... On imagine toujours qu'une autre vie nous attend en hauteur. Si c'est le cas, avant de vous rejoindre un jour pour cette ascension énigmatique, je prie de réussir partiellement ce que vous fîtes avec tant d'éclats : devenir un seigneur et un maître.

Avec tout mon respect transis,

David, enfant rêveur

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