Prologue

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 La brume recouvrait les montagnes et la pluie venait chantonner sa douce et relaxante mélodie. Un spectacle dont Hadès se délectait, tout en sirotant son thé glacé. Cela faisait si longtemps qu’il n’avait pas eu de temps rien que pour lui. Entre les conflits au sein du Grand Conseil et les rixes créées par la Brigade de l’Ombre, on ne l'avait pas ménagé, lui demandant de calmer la situation. Ce qu’il avait réussit à faire, après des nuits blanches entières, de débats houleux et de négociations, il avait finalement ramené un semblant de paix dans la capitale. Khora se trouvait toujours dans de beaux draps, mais au moins, elle ne risquait plus de subir de catastrophe majeure.

 Pour se reposer après des semaines de travail acharné, Hadès était retourné chez lui, dans une petite maison de montagne. Les villageois étaient d’ailleurs fous de joie de le voir revenir. Son départ en avait inquiété plus d’un, à juste titre, il était leur seul protecteur. Le dôme de protection avait beau les rendre invisibles aux yeux du monde, certaines entités malveillantes réussissaient parfois à traverser le sort. Quand cela arrivait, seul un sorcier expérimenté pouvait se charger de la menace.

 Même si, là, dans son état, il se voyait mal éliminer quiconque.

 Hadès soupira en s’enfonçant dans son fauteuil. Il fallait penser à autre chose. Avec tout ce dur labeur, il devait au moins avoir le droit de récupérer un peu de ses forces. Il porta la tasse à ses lèvres, sentant la douce odeur du jasmin lui chatouiller les narines.

 Quelqu’un frappa à la porte.

 Il fut arrêté dans son mouvement, reposa la tasse sur sa table et se leva pour se rendre à l'entrée. Assez méfiant, il préféra se munir de sa baguette en bois de cerisier. Il ouvrit la porte et une silhouette détrempée se découpa dans l'encadrement de la porte.

 — Marcus, sourit-il rassuré et faisant disparaître sa baguette d’un geste de la main. Rentre, je t’en prie.

 Le concerné ne se fit pas prier et pénétra dans les lieux tout en grelottant. Il partit se réchauffer face à la cheminée. Hadès ferma la porte derrière lui et alla rejoindre son ami de toujours.

 — Tu veux que je t'apporte une serviette ? Pendant que tu te sèches, je vais te préparer un thé.

 — … Non, merci, je ne reste pas longtemps.

 — Alors, que me vaut le plaisir de ta visite ?

 — C’est Carpenter.

 — Oh, il enquête encore sur ce bouquin, hein ? Il veut un corbeau de plus, c’est ça ? Pour ça, il doit me rendre celui qu’il m’a déjà em… prunté.

 De la tristesse et de la peine se creusèrent sur le visage de Marcus, il baissa lentement la tête. Quelque chose n’allait pas et ça Hadès l’avait bien vu.

 — Qu’y a-t-il Ma…

 — Il est mort.

 Un lourd silence vint emplir l'atmosphère. Hadès se tenait immobile, fixant Marcus.

 — … Quoi ?

 — Il a été retrouvé par l’un des gardes hier, assassiné dans son bureau. On l’a attaqué par surprise, il n’y a aucune trace de lutte. Il a été égorgé par-derrière. Le Grand Conseil est persuadé que cette attaque a été orchestrée par la Brigade de l’Ombre. Leur but était visiblement ton corbeau, car ils n’ont rien pris d'autre, aucun dossier ne manque. On pense que tout ça a un rapport avec le grimoire qu’il recherchait. Il a sûrement trouvé quelque chose d'intéressant alors ils l’ont fait taire et ont récupéré les informations. Je suis là pour te demander, que racontait ce corbeau ? J’ai besoin de savoir si notre situation est vraiment piteuse et quels impacts cela pourrait avoir sur Auroria, voire le monde.

 Hadès était sous le choc. Carpenter et lui s’étaient connus lors de la guerre des Dix, celle qui opposait les êtres damnés et les sorciers. Tous deux avaient formé un duo dévastateur et était, en grande partie, la raison pour laquelle les damnés avaient été repoussés. Ils avaient d’ailleurs hérité du surnom des “deux faucheuses”. Par la suite, ils s’étaient grandement rapprochés et étaient devenus de bons amis, même si leurs tempéraments étaient contraires. Hadès était plutôt calme et réservé, tandis que Carpenter était sans arrêt agité et agissait dans le feu de l’action. Puis la Brigade de l’Ombre est apparue, proclamant que le Grand Conseil n'avait plus lieu d’être. Carpenter vouait une haine terrible envers cette organisation de déviants et avait dédié sa vie à son démantèlement. Hadès l'avait aidé du mieux qu'il pouvait, lui fournissant les corbeaux qu’il désirait. Une certaine alchimie s’était mise en place.

 Carpenter était un vrai symbole de réconfort pour la population, étant l’un des sorciers les plus puissants et célèbre dans la lutte contre les déviants. Si la population venait à l’apprendre, elle paniquerait et perdrait sûrement espoir. Alors Hadès n’eut même pas à demander, il savait que l’annonce de sa mort ne serait pas rendue publique pour l’instant.

 Le sorcier savait qu’il devait faire preuve de sang-froid et qu’il ne devait pas perdre la face, pour le bien-être d’Auroria et ses habitants. Alors, il serra les dents et les poings et répondit avec le plus de calme possible :

 — Non, j’ignore ce qu’il contient comme informations, il est arrivé il y a une semaine. Je n’ai pas pu le voir. C’est Carpenter qui l’a trouvé, il m'a laissé ce mot pour tout m’expliquer. Il ignorait que j’étais parti pour la capitale et était venu me demander mes corbeaux les plus récents. Mais il s’est vite rendu compte que personne n'était là et alors qu’il allait repartir, c’est là qu’est arrivé ce nouvel oiseau. Il l'a donc emmené avec lui pour son enquête.

 Hadès pointa du doigt un morceau de papier plié sur sa table.

 — Il a précisé qu’il scellerait lui-même ce corbeau après l’avoir utilisé, ajouta-t-il. Donc si jamais la Brigade de l’Ombre le possède vraiment, ils ne pourront pas voir ce qu’il contient. Il leur faudra un long moment pour briser le sceau.

 — On dispose de combien de temps environ ?

 — Tout dépend d’eux, mais je dirais trois à cinq jours. Le sort qui leur est lancé est vraiment complexe quand on ne sait pas exactement comment l’enlever.

 — Ça, c’est une bonne nouvelle, nos enquêteurs auront plus de temps que je pensais pour les retrouver.

 Il y eut à nouveau un silence. Marcus parut douter puis continua :

 — Ta bibliothèque à corbeaux, ils l’ont toujours convoitée, elle n’est plus en sécurité ici.

 — Qu’est-ce que ça veut dire ?

 Marcus inspira profondément et ferma les yeux. Il savait très bien que ce qu’il allait dire n’allait pas du tout plaire à Hadès.

 — Des mesures vont être prises pour la protéger d’eux.

 — Quel genre de mesures ?

 — Le Grand Conseil veut la déplacer en pleine capitale, à Khora.

 — C’est hors de question. C’est bien trop dangereux. Elle est plus en sécurité dans un village éloigné que là-bas. Avec ce qui vient d'arriver et les tensions actuelles, c’est une très mauvaise idée.

 — Tu verras cela avec eux. Le Grand Conseil souhaite te parler demain, tu es convoqué pour quinze heures pile, histoire de mettre les choses au clair et de réfléchir à la suite des événements.

 Il s’éloigna de la cheminée et se redirigea vers la porte. Ayant franchi le seuil, il s'arrêta un instant avant de se retourner.

 — S’il te plaît, fais attention, la Brigade est sur les nerfs. J'ai déjà perdu un ami, je veux pas perdre un frère.

 Hadès acquiesça d'un signe de tête.

 La porte claqua derrière lui, laissant Hadès seul. Celui-ci alla s’installer devant le feu et son regard se perdit dans ses flammes. Il repensa à tout ce qui venait de lui être dit, il y avait beaucoup de choses à encaisser. Ses pensées se perdirent alors dans une profonde réflexion. Pourquoi la Brigade de l’Ombre agissait-elle aussi violemment tout à coup ? Que se passerait-il si sa nuée de corbeaux était envoyée loin de lui ? Quel était ce grimoire sur lequel enquêtait Carpenter ? Carpenter… Il ignorait même la date des funérailles. Il serra la mâchoire luttant contre la tristesse. Il ne pouvait plus se permettre de laisser ses émotions troubler son jugement. À fortiori avec sa convocation de demain. Il savait que ses émotions devaient être bridées. Et étrangement, le choc de la nouvelle l’y aida. Il avait encore du mal à s’en rendre compte qu'il ne pourrait revoir son ami.

 Hadès ignorait combien de temps il était resté devant cette cheminée, mais il faisait nuit. Et c'est un croassement venant de l’extérieur qui le tira de sa transe.

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