Chapitre quatre

11 minutes de lecture

Le soleil était passé derrière les nids de pierre, quand Orion, Plume, Lune et Aconit arrivèrent à destination. Le temps s’était rafraîchi depuis que la lumière avait faibli. Lune frissonna, son poil trop court pour empêcher le vent frais de pénétrer sa fine peau. Elle sauta auprès de Plume pour se réchauffer, mais son amie était dans le même cas qu’elle : elle subissait simplement la situation.

Cachés dans une ruelle inanimée, les souris observaient les jambes des bipèdes traverser les chemins dallés dans le bruit et les odeurs insupportables des monstres. Aconit pinça son nez :

- ça pue trop ici ! Et si on se dépêchait d’avancer, au lieu de rester planter là comme des glandus ?

- Quand Orion trouvera son chemin, nous pourrons reprendre la route, lui prévint Plume, venu se blottir avec Lune proche de la souris molletonnée.

- On n’aurait pas dû laisser ce débile diriger la mission, grommela la souris blanche, qui soufflait sur ses pattes pour les réchauffer.

- Avec un peu de chance, j’obtiendrais mes cinq graines si Orion se fait attraper comme un bleu, ricana Aconit.

- Tu as toujours ta chance au moins.

- De quoi vous parlez ?

Plume était perdue devant le regard complice que se lançaient Lune et Aconit. La grande souris décida de les laisser dans leur délire pour rejoindre Orion.

Orion était une souris au poil noir, dont les quelques touffes avaient décidé de blanchir avec le temps, pourtant, il avait à peu près le même âge que Lune. Petit, il avait toujours rêvé de partir à l’aventure, mais sous les ordres de son père, il s’était contraint à attendre sa maturité pour fuir. Adulte, il s’engagea dans un long périple qui faillit un grand nombre de fois achever sa vie. Il était pourtant toujours debout, en pleine forme et encore aussi têtu qu’avant. C’est par un pur coup de chance qu’Orion était tombé sur Aconit : la souris noire était poursuivie par une hermine, quand la souris rayée est venue à son secours. Ensemble, ils gagnèrent contre le mustélidé, et après cette aventure, ils décidèrent de voyager ensemble. Puis, ils rencontrèrent les autres et fondèrent un semblant de famille dans la grotte de Bœuf.

La souris noire semblait chercher une faille dans l’étrange conduit ferrique : il tapait avec sa clépée contre le bouchon, pour s’immobiliser ensuite à cause de la résonance du tuyau.

- Tu as trouvé un chemin ?

- Oui ! répondit Orion avec une pointe d’agacement. Sauf que je ne sais pas s’il y a des trucs dedans, alors je tape dessus.

- Ce ne serait pas mieux de passer par là, plutôt ?

De la patte, elle indiqua le mur de pierre : ses briques asymétriques donnaient un relief indistinct à la surface rocheuse. Plume expliqua qu’en tant que rongeur, ils auraient plus de facilités à s’accrocher à une surface comme celle-ci, plutôt qu’à un tuyau métallique et rouillé.

- C’est pas bête, ouais. Alors allons-y.

Orion effectua un haut saut, et attrapa de ses pattes un morceau de brique. Il se hissa sans difficulté sur le rebord, et continua sa route sans prêter attention à ses amis. Plume appela Aconit et Lune, et elle commença aussi à grimper, plus prudemment et moins vite que le faisait son ami au poil noir. Il ne jeta pas un coup d’œil aux autres souris, happé dans son escalade solitaire. Il était si brutal dans sa manière d’attraper les bouts de mur, qu’il laissait de petits gravats tombés sur les autres.

- Hé ducon, un peu plus d’attention ça serait pas de refus ! gronda Aconit qui venait de se prendre de la poussière dans le visage. Y en a qui vont moins vite que toi.

- Accélère la cadence alors, répondit Orion d’un haussement d’épaules. Mais j’oubliais, c’est compliqué avec ton petit bidon grassouillet.

Orion s’esclaffa comme un fou, alors que Plume remarquait le rouge monter au visage de la souris rayée. D’un saut, Aconit dépassa les deux femelles, à presque deux queues de renard de la souris noire. Surpris, Orion gémit, et grimpa à vive allure, la peur sur le visage. Plume lança un regard désespéré à Lune, et continua son ascension alors que les mâles disparaissaient de son champ de vision.

Quand elles arrivèrent tout en haut du nid, un spectacle des plus exaspérant s’offrit à elle. Aconit plaquait Orion au sol. D’une patte, il lui giflait les oreilles tout en rugissant des insultes que Plume se passerait bien d’entendre.

- T’as pas à faire le matou, je plaisantais ! cria Orion qui se débattait vainement.

- On se moque pas du physique, espèce d’incapable, cracha Aconit à bout de nerf. Je vais te montrer ce que c’est de se moquer de mon ventre.

La souris rayée tenta d’écraser Orion, mais ce dernier se releva avant de se prendre du poil dans la bouche. Sans support, Aconit s’écrasa sur la surface lisse, et glissa jusqu’au bord du toit. Plume évita le danger que représentait son ami, et il chuta dans le vide dans un petit cri. Suivie par celui de Lune, qui arrivait sur le toit après la bataille. Aconit s’accrocha à sa queue, et il pendouilla dans le vide, furieux et tremblant de peur.

- Aidez-moi ! supplia la souris blanche qui luttait de toutes ses forces. Je supporte le double de mon poids.

- T’y mets pas toi aussi ! piailla Aconit entre deux respirations sifflantes.

- Je ne fais que dire la vérité, rien de vexant.

Avec un soupir, Plume jeta un regard sévère en direction d’Orion, qui sursauta devant la colère de son amie. Sans qu’elle ne prononce un mot, la souris noire accourut à son côté pour soulever les deux souris en difficultés. Lune et Aconit s'écroulaient, à bout de souffle.

- Allez, on se remet en route, commanda la grande souris en longeant le toit en pente.

- On peut pas faire une petite pause, deux minutes ? demanda Lune essoufflée.

- On se reposera une fois le citron en poche. Levez-vous.

Sans un commentaire, les quatre souris se remirent en route, Plume ayant pris la tête de la troupe. Orion restait en arrière de la file, loin d’Aconit, bloquée par Lune qui se trouvait entre les deux mâles. La souris rayée tentait d’ignorer les petits couinements culpabilisateurs d’Orion, et Lune grommelait de ce bruit imperceptible et dérangeant.

Pour accéder à la plus grande zone du nid de bipède, les souris devaient s’enfoncer encore plus dans le bourbier. L’idée des hauteurs n’était finalement pas une si mauvaise idée : grâce à cela, Plume pouvait distinguer plus facilement le chemin à prendre pour arriver à destination au plus vite. Plus qu’une trentaine de nids à traverser, et le danger au sol à esquiver en cas de chute, et ils arriveraient en un seul morceau.

- Tu nous demandes de faire de l’acrobatie ? se plaignit Orion quand Plume s’avança sur un fin câble presque transparent.

- Tu préfères peut-être ce qu’il y a en bas ? (Elle désigna les monstres qui défilaient sur le chemin noir sans se soucier de ce qui les entourait) Ce n’est pas la meilleure solution, mais c’est tout ce que nous avons.

Avant que Plume ne s’engage sur la corde, Orion sauta jusqu’à elle et lui barra la route.

- C’est trop dangereux, passons par un chemin plus long et sûr que par là.

- Je ne veux pas qu’on s’amuse à perdre du temps pour des choses aussi insignifiantes. Coco nous attend à la grotte, je ne veux pas l’inquiéter plus que ça, alors que toi, Aconit et Lune, vous êtes revenus à peine hier pour repartir aujourd’hui.

- C’est quoi, l’importance de revenir le plus vite possible ? ça va nous créer que des problèmes si on se presse !

- On aura encore plus de problème si on est lent !

Découragé, Orion souffla et tourna le dos à son amie, face au vide et au câble transparent.

- Très bien ! Je comprends pas ton raisonnement, je suis peut-être un peu bébête, mais si ça te fait plaisir, on passe par là. Mais j’y vais en premier.

Plume s’apprêtait à arrêter la souris noire en attrapant sa queue, mais Orion était déjà élancé sur la fine. Ses pattes arrière s’accrochaient au fil avec fermeté, et ses pattes avant tiraient tout son corps pour avancer sans tomber. Son petit corps de rongeur tremblait sur la corde instable.

Les trois souris regardèrent Orion en difficulté sans pouvoir l’aider : il était risqué pour eux de grimper sur la corde, ils se gêneraient en laissant le support trembler dans tous les sens. Orion faillait à tomber plusieurs fois, et au bout de la moitié du chemin, il s’arrêta pour tourner la tête vers ses amis.

- Tu penses toujours que c’est une bonne idée ?

La grande souris allait répondre, quand une ombre passa au-dessus d’elle. Alertée, elle leva les yeux vers le ciel, et elle reconnut la longue forme d’un oiseau prédateur. Son pouls tambourina dans son crâne, alors qu’elle criait à Orion :

- Reviens vite !!

Lune et Aconit aperçurent aussi le rapace, et ils se préparèrent à se défendre, au cas où l’oiseau leur tomberait dessus. Mais Orion ne semblait pas l’avoir remarqué. La souris noire, satisfaite de la défaite de Plume, se redressa sur deux pattes pour se tourner vers elle, son équilibre parfait. Il avait truqué son mal à l’aise sur la corde pour faire céder son amie.

- J’apprécie que tu avoues que ton plan de passer par ici était une mauvaise idée, il fallait se rendre à l’évidence que moi, Orion, ait toujours rai-

- Arrêtes de parler et reviens !! vociféra Aconit, qui avait interrompu la montée d’égo de la souris noire.

- Le ciel ! l’avertit Plume en dernier recours.

Orion fronça les sourcils, dérouté par l’attitude de ses compagnons. Comme contraint par eux, il leva les yeux, et aperçut le volatile tourner autour de lui. Ses oreilles se baissèrent et ses yeux s'agrandirent, tétanisés par la peur. Au même moment, l’oiseau plongea.

Incapable de pouvoir se rendre plus utile, Lune dépassa Plume et Aconit pour attraper la corde et la secouer. Les ondes atteignirent Orion, qui dérapa et commença à tomber, avant de pouvoir se rattraper. L’oiseau remonta, incapable d’attraper la souris noire dans ces conditions. Le rongeur en profita pour remonter et courir le plus vite possible vers le groupe ; mais le prédateur l’avait aperçu, et il fondit sur lui, serres en avant. Orion n’était plus qu’à une queue d’écureuil de la patte que Plume lui tendait. Il se jeta dessus, sur le point de l’attraper, quand il disparut dans une tornade de plume beige.

Le rapace avait attrapé Orion, et il s’envolait trop haut pour que les souris puissent lui venir en aide. Les trois souris le regardèrent, impuissant, une vague de tristesse et de remords les envahissait.

- C’est ma faute, murmura Plume dans un sanglot étouffé, les yeux tournés vers le rapace qui s’éloignait.

- Regarde !

L’appel de Lune la laissa d’abord perplexe, avant qu’elle ne se rende compte de ce qu’elle indiquait. Le rapace piquait vers le bas, son vol saccadé, comme s’il était dérangé. Il s’écroula plus loin sur les toits. Une lueur d’espoir brilla dans les yeux de Plume.

- Dépêchons-nous !

Aconit et Lune acquiescèrent, et sans prêter attention aux dangers, les trois souris s’engagèrent sur la corde. Elle tanguait énormément, et faillit laisser tomber quelques souris sur les bipèdes plus bas, mais elles tenaient bon.

Orion et le rapace n’étaient pas tombés si loin. Une fois de l’autre côté, Plume puisa dans ses forces pour sauter de nid en nid, sans se préoccuper de si ses compagnons la suivaient. Tout ce qu’elle voulait, c’était savoir si Orion allait bien, et s’il n’était pas encore mort.

Elle trouva le rapace beige sur un nid en pente, qui exprimait une grande frustration en poussant des cris et en battant des ailes. Sous sa serre se tenait Orion, pris au piège, mais qui se défendait bec et ongle avec la clépée qu’il avait apportée. Le bec du prédateur tentait de frapper le crâne du rongeur, mais avec la clépée entre eux, il ne cessait de cogner contre du métal froid.

- Oh, salut Plume ! s’exclama Orion, comme s’ils ne s’étaient pas vus depuis très longtemps. Il est cool mon oiseau, on le ramène à la grotte ?

C’était une manière à lui de dire qu’il allait bien. Lune dépassa à ce moment Plume pour sauter au visage de l’oiseau. D’une griffe, elle frappa l’œil du rapace, qui piailla de douleur. Il bascula, surpris par l’attaque, et libéra enfin Orion qui rejoignit Plume et Aconit. La grande souris parcourut vite le pelage de son ami, à la recherche de blessures graves. Il avait de petites entailles par-ci par-là, mais rien d’alarmant. La souris femelle soupira de soulagement.

- On doit vite partir, ce fou furieux n’abandonnera pas si facilement, prévint Aconit. Lune !

La souris blanche venait d’être délogée de sa prise, et elle alla s’écraser au bord du nid, une patte dans le vide.

Éborgné, l’oiseau gonfla son plumage de colère, et se jeta sur Lune pour l’écorcher vif. Aconit arriva en renfort, et de son poids, fit basculer le prédateur avec lui dans le vide. Orion attrapa Lune et suivit Plume qui s’accrochait à la patte du rapace pour joindre le mouvement. Ensemble, ils chutèrent jusqu’à terre, entre des bipèdes surpris et apeurés. Heureusement, les souris n’avaient rien, et après deux petites claques à l’oreille de Lune pour la réveiller, les quatre s’élancèrent dans une ruelle sans prêter attention à la panique qu’ils venaient de créer.

Les souris coururent longtemps dans les allées, passant par des chemins plus étroits encore, jusqu’à être totalement sûr qu’ils n’étaient plus suivis. À bout de souffle, elles s’arrêtèrent sous une poubelle, à l’abri des regards.

- Je suis vraiment désolée, s’excusa Plume à l’adresse d’Orion.

- Tu n’as pas à t’excuser pour cet idiot, gronda Aconit qui lissait le pelage de son ventre. S’il n’avait pas fait l’imbécile, on aurait avancé plus vite et on aurait probablement évité ce fichu piaf. Tu aurais dû te faire gober, tiens !

- Mais c’est pas très gentil de dire ça, couina Orion, affaissé sur le sol en signe de soumission.

- On aurait pu tous crever !

Après un silence où Aconit reprenait son souffle, il reprit, cette fois plus calmement :

- Dorénavant, je guide la troupe. Et au retour, on passera par les égouts. Tes reptiles géants imaginaires n’auront pas notre peau, de toute façon il n’existe pas.

Orion lâcha un « mais euh » presque inaudible. Son regard évitait celui de ses amis. Lune et Plume n’avaient rien à redire du choix d’Aconit, qui ne serait pas le meilleur leader, mais pas le pire non plus. Gérer une petite troupe était assez difficile comme ça, alors elles s’abstinrent de donner un avis, fatiguée par cette longue journée de marche et de course poursuite.

- Reposons-nous un peu, dit la souris rayée après s’être assise. On reprendra la route une fois la nuit tombée. On évitera aussi de se balader sur les toits, ça pourrait être encore plus risqué.

Dans un acquiescement collectif, les souris s’enroulèrent toutes ensemble pour se réchauffer, en attendant que le soleil ne disparaisse pour laisser la lune prendre le relais.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Lyncas Weiss ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0