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Écrit en écouant notamment : Vortek's - Pyramide

Rarement dans sa courte existence Matthieu avait autant aimé la sonnerie de son réveil. À vrai dire, l’excitation l’avait déjà réveillé il y a une bonne demi-heure, mais il profitait avec délectation de l’instabilité de sa conscience, qui parfois allait visiter une vallée profonde, ensorcelante, baignée de chants d’oiseaux et de rayons puissants, parfois remontait, lui rappelant à chaque fois avec une exaltation nouvelle que même si son amoureux n’était pas à ses côtés, ceci n’était plus qu’une question d’heures.

Comme Matthieu, Arthur étudiait en école d’ingénieur, même si leurs deux établissements étaient séparés par l’immensité de la capitale. En cette veille de vacances de Noël, ils devaient se retrouver après les cours. Ils iraient boire un verre, avant de terminer tendrement la soirée dans l’appartement de Matthieu. Bien qu’ils ne se connussent depuis un mois seulement, leur rapprochement presque magnétique aux yeux de Matthieu justifiait bien qu’il souhaitât présenter son ami à sa famille lors du repas qui convierait la petite vingtaine de représentants du cercle rapproché. Avec leur train partant à sept heures et demie du matin de la gare du Nord le lendemain, ils auraient le temps de visiter Lille avant de rejoindre la maison de l’oncle de Matthieu, lequel se faisait une joie de recevoir tout ce monde chaque année, démontrant d’ailleurs à chaque fois de plus belle ses talents de cuisinier.

Matthieu apporta son enceinte portable dans la salle de bain, et se déshabilla après avoir lancé sa playlist disco. Certains de ses amis adoraient le taquiner par rapport à ses goûts particuliers, mais lui, se déhanchant déjà naturellement sur les rythmes entraînants, se demandait bien comment on pouvait y résister. Il prit ensuite un petit-déjeuner copieux qui lui permettrait peut-être de ne pas s’endormir pendant son cours magistral d’automatique. Il n’espérait pas suivre le cours, mais en profiter pour gérer quelques affaires personnelles n’est jamais inutile.

Il eut la désagréable surprise de constater qu’il avait obtenu un 9 lors d’un examen qu’il avait passé le mois dernier, mais il ne le regrettait pas : il avait bien mieux fait de passer sa première nuit dans les bras d’Arthur que de passer celle-ci à s’énerver sur ses révisions. De toute façon, les rattrapages étaient toujours bien plus faciles ; les profs ne s’emmerdent pas à devoir justifier devant l’administration qu’un élève a échoué dans leur cours. Le souvenir de cette nuit ne le laissa pas insensible, suite à quoi il croisa ses jambes pour masquer son excitation.

Étant vice-président de l’association étudiante d’œnologie de son école, il avait parfois la chance de se faire offrir une ou deux bouteilles personnellement lorsqu’il faisait venir certains producteurs lors de dégustations organisées par l’association. Il eut un sourire goguenard en se rappelant la vision des étudiants qui assistaient à celles-ci, plutôt attirés par le ticket d’entrée à seulement cinq euros qui permettait de boire une bonne dizaine de verres, que par un intérêt subit pour les détails techniques de vinification des breuvages présentés. Dernièrement, il avait pu mettre de côté un Pomerol dont il n’était pas peu fier. Son Arthur apprécierait très probablement, ce n’est pas le genre de crus qu’on voit passer tous les jours ! Ils adoraient se lancer sur de grands sujets de discussion, à débattre pendant des heures, avant de finalement retrouver le plaisir simple de se tenir dans les bras. Nul doute que la bouteille bordelaise accompagnerait parfaitement leurs réflexions sur la politique gouvernementale en matière d’éducation, ou encore les conflits d’influence en Syrie…

Quittant son dernier cours de la semaine, il traversa le campus pour rejoindre son appartement, se rendant compte qu’il saluait beaucoup trop d’inconnus, chose qu’il ne faisait que très rarement en général. Il fut stupéfait par le sourire que lui rendit le vigile à l’entrée de son bâtiment : avait-il l’air tellement joyeux que pour ôter le rictus immuable du type ? Enfin bref… peut-être que ce dernier était lui aussi satisfait de prendre des vacances, après des nuits passées à se frotter à des étudiants alcoolisés qui rechignaient à baisser leur sono.

Il s’allongea sur son lit, ferma les yeux, et explora délicatement son torse en imaginant le plaisir que pouvait ressentir son amoureux en le caressant. Il plongea vers un état décorrélé de la réalité, laissant ses pensées s’assembler, se mélanger, s’évaporer en laissant un profond sentiment de relaxation envahir son esprit. Matthieu aimait ce lâcher-prise, qui finissait naturellement par s’évanouir, ayant restauré sa confiance, sa motivation, ayant relégué ses incertitudes et ses soucis au-delà de l’horizon de sa conscience.

Il frémit en sentant son téléphone vibrer et le nom de son amoureux s’afficher. Pourtant, il comprit rapidement que son rêve se brisait en ce moment même, le château de cartes bâti s’écroulait à une vitesse vertigineuse, ne laissant pas le temps de rattraper la moindre carte. « Tu es une personne formidable, intelligente, intéressante, bienveillante, mais je ne viendrai pas. Je ne saurais pas dire pourquoi, mais c’est ainsi. » Matthieu n’entendit pas la suite du discours, obsédé par la violence que transportaient ces quelques mots sous leur chic apparence. Il laissa Arthur raccrocher après un long silence que sa consternation ne lui permettait pas de briser.

De longues minutes passèrent avant qu’il ne commence à hurler des insultes au hasard, puis à frapper son matelas de rage. Lorsqu’il sentit que ses forces venaient à manquer, il s’enfouit sous sa couverture, restant prostré pendant un long moment. Il monta plus tard le son de sa chaîne hi-fi à fond pour balayer la vague de souvenirs qui s’abattait sur lui, des souvenirs qu’il se figurait comme fixes, morts, bons à ranger dans une caisse qu’on laisserait vieillir au grenier pendant des dizaines d’années, jusqu’à ce qu’on oublie totalement leur existence. Il aurait souhaité en finir rapidement, fauché par le peloton d’exécution, mais sa raison savait qu’il subirait une mort lente et pénible. Le démon de l’amour saurait lui rappeler à chaque moment opportun qu’il est dangereux de le défier, surtout lorsqu’il penserait en avoir fini.

Matthieu se dirigea vers le frigo, et déboucha la bouteille qu’il avait prévue pour lui et son amoureux. Ce serait l’instrument de sa déchéance, et il en aurait ainsi bien plus pour lui. Il porta le goulot à ses lèvres, mais les premières gorgées l’écœurèrent, il ne goûtait que l’alcool, puissant, rêche, destructeur, contenu dans une enveloppe liquide, froide, qui tapissait sa gorge d’une couche lugubre, le faisant suffoquer. Il préféra jeter au loin cet instrument de torture, fracassant plusieurs centaines d’euros devenus inutiles sur la rue en contrebas de son appartement. Un certain soulagement se fit sentir, suite à quoi Matthieu eut un rire sarcastique. Si ce connard ne voulait plus de lui, il trouverait bien quelqu’un d’autre.

Le sentiment d’impatience, d’urgence, né de la frustration, lui évoqua une célèbre application de rencontre qu’il aurait jusque-là eu honte d’utiliser. Il créa un profil sans tarder, prenant plaisir à prendre son torse athlétique en photo. Celle-ci ferait bien l’affaire ! Matthieu n’hésita pas à engager la conversation avec un jeune homme de son âge relativement attirant, qui apparemment habitait à moins d’un kilomètre de chez lui. Loin d’être dégoûté par les photos intimes qu’il reçut assez rapidement, il se mit en quête de faire de même, motivé par l’envie de plaire à son correspondant. Sans hésiter une seule seconde, il s’amusa à envoyer quelques images osées ; son excitation était déjà à son paroxysme. L’autre lui répondit qu’il était disponible le soir même, alors Matthieu alla se laver les dents, enfila une veste qui lui seyait à la perfection, et se rendit sans tarder à l’adresse indiquée. Après quelques minutes d’attente, il fut soulagé de constater que le mec ressemblait bien aux photos envoyées et était effectivement relativement attirant.

Matthieu se vit offrir une bière, qu’il refusa au profit d’un verre d’eau, puis attendit simplement que son partenaire d’un soir vint se coller à lui. Le premier baiser échangé le fit définitivement plonger dans un certain apaisement. Suivant les mouvements, il caressa le torse du mec, puis ses fesses, retira son t-shirt, et s’allongea dos sur le lit. Son pantalon et son boxer ne tardèrent pas à rejoindre le t-shirt, et après quelques préliminaires bâclés, il demanda au brun de venir lui faire l’amour. Aucune difficulté pour entamer la pénétration, finalement, ce n’était pas une si mauvaise idée. Matthieu ferma les yeux, allongeant ses bras derrière sa tête, se laissant envahir par les sensations. Celles-ci décrurent pourtant rapidement lorsqu’il attrapa les hanches du mec et ne put reconnaître celles de son Arthur. Il garda les yeux fermés pour ne pas faire apparaître sa détresse, mais son partenaire, plutôt conciliant, lui demanda néanmoins si tout allait bien. Matthieu, malgré les coups de reins qui provoquaient désormais plus de détresse que de plaisir, ne dit rien, absolument tétanisé. Il finit par sentir son torse strié de plusieurs jets chauds, et souhaitant montrer une fausse gratitude à son partenaire, se mit à se masturber. Ne parvenant pas à trouver la pente ascendante vers le plaisir, il commença à râler intérieurement, avant d’abandonner la tâche, déjà recouvert de sueur. Le brun tenta de l’aider avec quelques caresses bien placées, mais tout ce qu’il put obtenir au bout d’un bon quart d’heure fut un orgasme purement mécanique qui le laissa fatigué, las de toute cette agitation. Ainsi, il ne tarda pas à se rhabiller, saluant l’autre quelques minutes plus tard, en le remerciant même pour sa supposée patience.

L’air vivifiant du mois de décembre semblait de prime abord effacer la soirée médiocre qu’il venait de passer ; pourtant, Matthieu se mit rapidement à trembler sans pouvoir contrôler ses mains. Il se dépêcha de rejoindre son appartement pour prendre une douche chaude, qui n’eut qu’assez peu d’effet sur son état. La couverture de son lit ne semblait pas non plus en mesure de lui apporter ce réconfort ; le contact avec sa peau finit même par l’insupporter. Un puissant mal de crâne l’envahissait en même temps, auquel il tenta de remédier par un antidouleur classique. Pourtant, son sommeil était haché, il se réveillait en sueur toutes les vingt minutes, après avoir revécu en boucle les moments marquants de la soirée juste écoulée. Le visage encore attirant il y a quelques heures du type rencontré se montrait désormais méchant, carnassier. Matthieu se sentait inutile, se voyait comme une marchandise au mieux réutilisable. N’y tenant plus, il se leva alors que son téléphone affichait une heure et demie du matin, enfila ses habits de course à pied, et sortit en filant dans la pénombre. Il accéléra rapidement la cadence, souhaitant provoquer une douleur maîtrisée, qu’il pourrait décider d’arrêter quand bon lui semble. Ses poumons brûlaient sous l’effet de l’air glacé, mais ses jambes répondant bien, il poursuivit l’effort pendant plusieurs dizaines de minutes. Estimant qu’il pouvait faire mieux, il enchaîna des séries de sprint, ne tenant pas compte des haut-le-cœur qui témoignaient de la difficulté de l’effort. Terminant au bout de la souffrance par un tour de stade complet au maximum de ses capacités, Matthieu s’effondra sur le tartan, la vue troublée, les muscles tétanisés. Après s’être mis un peu à l’écart pour vomir, il rentra péniblement en marchant chez lui. Il se maudissait, incapable de maîtriser ses pulsions, incapable de plaire à son Arthur.

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