Arsenic et vieilles binocles

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Chapitre 7-Arsenic et vieilles binocles


Durant la semaine qui suivit, Râleuse s'interrogea :

— Et si j'arrêtais de voir le mal partout et que j'appréciais les choses qui s'offrent à moi, humblement... naturellement ? Est-ce que cela participerait à mon mieux-être ? Et si je posais un regard d'amour sur autrui au lieu de pointer le doigt sur ce qu'il a de différent ou de plus que moi ? Est-ce que cela améliorerait ma santé et participerait à mon rétablissement ? Oh, comme j'aimerais avoir un cœur doux simple... Oh, comme j'aimerais savoir me contenter de ce que la vie me donne et accepter ce que je n'ai pas... Oh, comme j'aimerais ne plus être une ingrate et reconnaître ma chance et tous mes privilèges de princesse... Oh, si seulement, je pouvais changer de lunettes... voir les choses autrement... nettoyer mes pensées... Me voilà bien éprouvée d'être ainsi...

À la consultation du docteur Bésicles, Râleuse lui expliqua ses souhaits et lui fit part de ses tourments. Elle lui confia sa tristesse de ne jamais se sentir comblée et de ne jamais être sereine.

— La colère semble vous avoir quittée, chère enfant, seulement la tristesse qui vous accable ne prévaut rien de bon... Non, rien de bon...

— N'y a-t-il aucune évolution, docteur Bésicles ?

— Eh bien, disons que je perçois un léger mieux, mais cela reste fragile... Très fragile et encore très incertain. Il est préférable d'attendre avant de se prononcer.

— C'est dur... Si dur... J'ai l'impression d'être ainsi faite, qu'une déception chassée m'en ramène une autre, et puis encore une autre....  J'ai l'impression de me battre sans fin... Je m'épuise et je crains de ne pouvoir y arriver.

— Ne déposez pas les armes, chère enfant. Rien n'est encore perdu, même si le temps est compté !

— Merci pour vos encouragements, docteur Bésicles... Je vais me battre... et espérer.

— Merci ? Vous venez de me remercier ?

— Oui, qu'y a-t-il d'étonnant à cela ?

— Chère enfant, il me semble que ni moi ni personne n'a jamais entendu le moindre " Merci " sortir de votre bouche.

— C'est pourtant vrai, confirma Râleuse en souriant.

— Cela est excellent ! C'est très bon signe ! 

Ravie de cette nouvelle, Râleuse s'applaudit timidement.

— Au fait, j'ai une surprise pour vous ! l'informa le médecin. Un de vos frères patiente derrière la porte. Il a souhaité vous tenir compagnie et veut s'entretenir avec vous.

Le visage de Râleuse s'éclaira.

— C'est bien. C'est très bien. Qu'il entre !

— Parfait. Je vais donc vous laisser passer un moment ensemble et m'en retournerai vous voir demain. À plus tard, chère enfant.

Le docteur Bésicles parti, c'est Achille, l'aîné des sextuplés qui entra dans la chambre et s'avança à pas feutrés vers le lit de la malade. Il n'était pas encore à sa hauteur, qu'avec un sourire radieux, Râleuse s'exclama :

— Achille ! Comme je suis contente de te voir !

Guère habitué à un accueil aussi chaleureux de la part de sa sœur, le jeune homme fit des yeux ronds et la regarda d'un drôle d'air.

— Ne sois pas surpris, Achille. Il est bon que tu sois là, car je reconnais avoir été une sœur odieuse, assommante et extrêmement pénible. Je comprends que tu aies préféré fuir mes critiques et m'abandonner à mes plaintes. Je reconnais que je n'ai pas su me rendre aimable ni essayé de t'aimer et de te comprendre.

— Oui ma sœur. Il est certain que jamais tu n'es venue vers nous pour dialoguer et apprendre à nous connaître ! rétorqua Achille sur un ton sec et peu courtois.

— Ah ? Mais n'ai-je pas parlé avec vous, de temps à autre ?

— Si, mais cela n'avait rien à voir avec des discussions ! Ce n'étaient que de longs monologues plaintifs, sans échange ni écoute ! Un dialogue est un échange équilibré ! C'est parler à l'autre, mais aussi savoir l'entendre. Avoir un dialogue ce n'est pas utiliser son interlocuteur comme un déversoir à colères et à rancœurs. Si nous tes frères, venions pour te parler, tu ne savais que nous reprocher d'avoir été plus gâtés et plus favorisés que toi. Et si par fatigue, nous te laissions seule et nous désintéressions de toi, tu nous accusais d'être des égoïstes et des indifférents.

— J'ai cru aux mensonges dans ma tête, déplora Râleuse. Toutes ces années, ils m'ont empoisonné l'existence et grignoté la cervelle. Vois-tu, aujourd'hui je risque d'en mourir et je le regrette amèrement. Pourras-tu me pardonner ?

— Bien sûr que je le peux, répondit Achille en serrant sa sœur dans ses bras.

Après la réconciliation, Achille voulut montrer ses erreurs à Râleuse. Une fois n'est pas coutume, elle eut plaisir à l'écouter sans lui prêter de méchantes intentions, sans le voir comme un ennemi et sans le jalouser.

Pour la première fois depuis dix-sept ans, Achille expliqua à sa sœur que la réalité est souvent très éloignée de ce que l'on pense. Il lui avoua que d'être grand et fort comme il l'était, n'avaient pas que des avantages. La majorité du temps, les autres ne l'appréciaient que pour sa puissance et pour sa musculature en négligeant sa sensibilité. Les yeux brillants, il admit en souffrir et ajouta ne l'avoir jamais confié à personne.

Comprenant ses erreurs, Râleuse murmura :

— Excuse-moi d'avoir jugé aux apparences et de t'avoir si souvent maudit et détesté.

À la suite d'Achille, les cinq frères et sœurs de Râleuse poussèrent sa porte à tour de rôle et se présentèrent à son chevet. Les uns après les autres, elle les reçut par un fougueux : 

— Comme je suis contente de te voir !

Un accueil aussi aimable de la part de Râleuse, les avait tous déroutés.

— Ne sois pas surpris, Basile. Il est bon que tu sois là, car je reconnais avoir été une sœur odieuse, assommante et extrêmement pénible. Je comprends que tu aies préféré fuir mes critiques et m'abandonner à mes plaintes. Je reconnais que je n'ai pas su me rendre aimable ni essayé de t'aimer et de te comprendre.

Tel qu'Achille l'avait fait, Basile informa Râleuse qu'elle s'était trompée sur son compte et que, d'être généreux n'était pas toujours une aubaine. Il expliqua que certaines personnes avaient profité de ses largesses et l'avait dépouillé sans scrupule. Puis, il confia à sa sœur qu'il en avait le cœur brisé mais n'en avait jamais rien dit à personne.

Reconnaissant ses torts, Râleuse réitéra ses excuses et enlaça son frère.

Virgile fut le prochain à pénétrer dans la pièce. Prestement salué par Râleuse, après quelques échanges réconciliateurs, tout comme ses deux autres frères, le jeune homme avisa sa sœur que d'être un artiste n'était pas aussi formidable qu'elle pouvait l'imaginer. Il lui expliqua que les œuvres artistiques étaient souvent parodiées et quelquefois... dénigrées. Puis, il lui confia combien il était triste et blessé que beaucoup l'appelle " saltimbanque ", mais qu'en dépit de l'incompréhension et du mépris, il poursuivait sa passion.

Après le pardon fait à Virgile, c'est Lucille qui s'avança dans la chambre à petits pas nerveux. Après le bon accueil de Râleuse, la demoiselle se détendit et apprit à sa sœur que la beauté n'était pas sans inconvénients. Elle lui expliqua que son physique avantageux était source d'envies et de convoitises parfois... malséantes. Puis, la larme à l'œil, elle avoua que la plupart de ses amies la jalousaient et que les garçons la considéraient comme un trophée à remporter. Pour finir, elle révéla à sa sœur qu'elle était devenue méfiante avec son cercle d'amis, mais qu'elle gardait cette douleur au fond d'elle.

Les deux filles tombèrent dans les bras l'une de l'autre. Après le départ de Lucille, c'est Sybille qui prit la suite. Et de la même manière que ses frères et sœurs, elle aussi se confia à Râleuse. Elle lui apprit que de discerner les intentions derrière les paroles ; que de savoir interpréter les pensées et deviner les actions à l'avance, pouvaient s'avérer très ennuyeux et très inconfortable. Elle lui confia que bien souvent, elle s'était trouvée dans des situations angoissantes, révoltantes ou délicates, et conclut ses aveux en disant :

— Cela, je ne l'ai jamais révélé à personne...

Les visites terminées, Râleuse médita sur sa couche.

Ainsi donc, se dit-elle. Me voilà la seule à qui ils tous ont ouvert leurs cœurs... Quelle belle preuve de confiance envers moi qui n'ai su que les juger... "

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