Le bruit

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L‘homme se réveilla en sursaut. Le bruit. Il était revenu, comme tous les soirs, toujours à la même heure. Il s’assit lentement sur son lit, attentif. Il n’osait pas allumer la bougie. Une faible clarté filtrait par les interstices des lourds volets en bois. D’un pas hésitant il s’approcha de la grande fenêtre. Le grondement se fit à nouveau entendre, plus proche cette fois. Plus menaçant. L’oeil collé à une fente, il observait le dehors. On ne distinguait que très mal. Il ouvrit les volets le plus discrètement possible, comme s’il pouvait y avoir encore quelqu’un au dehors. Aussi loin qu’il pouvait s’en souvenir il n’avait pas vu le moindre signe de vie là-bas. Il était maintenant sur le balcon. Le paysage, sombre s’étendait à perte de vue sous un ciel sans lune ni étoiles. Un cliquetis retentit, clair comme du cristal. Il rentra la tête dans les épaules. D’où pouvait bien venir ce bruit de métal ? Un autre grondement sourd, plus long que les précédents. La petite pièce trembla. L’homme se tint à la rambarde. Un tremblement de terre ? Avec horreur il constata que la barrière qui le protégeait du vide commençait à se disloquer. Il entra rapidement dans la chambre et s’empara d’un maillet. Il frappa un coup rapide et violent sur le coin gauche de la rambarde. Le coup résonna dans le silence de la nuit. Le calme était revenu. Il huma l’air : nul danger ne menaçait. Une fois les volets fermés, il s’assit contre le mur, bien décidé à veiller. Le sommeil s’empara de lui, malgré la poussée d’adrénaline causée par la peur.

Le grondement. Il ouvrit les yeux. Depuis combien de temps dormait-il ? Une série de cliquetis le firent se lever. Pour la première fois depuis le début de l’étrange manifestation il réalisa que cela venait du plancher. Il y colla son oreille. Oui, cela venait bien de là ! Il entreprit de fouiller toute la pièce, déplaçant le lit, les meubles. Ses efforts furent récompensés : au fond, derrière la grosse armoire normande il y avait une trappe. Elle refusa dans un premier temps de s’ouvrir. Il força à l’aide de divers outils. Enfin, un craquement de bon aloi lui annonça la réussite de ses efforts. Il prit son marteau et en assura la prise en le faisant tourner une ou deux fois dans sa main droite. Avec la gauche il ouvrit la trappe maintenant débloquée. Un petit escalier en colimaçon s’enfonçait dans le plancher. L’homme descendit avec grande prudence, le souffle court mais calme, l’oreille aux aguets. Chaque marche craquait sous son poids. Il arriva au bout de l’escalier. Ce qu’il vit le laissa sans voix. Le marteau lui échappa de la main et tomba sur le sol avec un bruit mat.

Devant lui, un engrenage terrifiant tournait lentement, sans le moindre clic-clac, parfaitement huilé. En fermant les yeux on percevait toutefois un petit vrombissement. Une odeur d’huile, de mécanique imprégnait les lieux. Bouche bée, l’homme fit le tour des rouages d’un métal brillant avec des plaques dorées qui tournaient, encore et encore. Il constata avec horreur qu’ils enveloppaient totalement sa chambre. La panique commença à le gagner. Alors qu’il allait faire demi-tour, il avisa un autre escalier, à l’opposé du sien. C’est presque en courant qu’il en gravit les marches. La même trappe. Sauf que d’en bas, il y avait un petit mécanisme pour l’ouvrir. Il l’actionna et le panneau coulissa avec l’armoire. Pas de lumière. Juste cette pénombre habituelle qui filtrait à travers les volets. Ses yeux s’habituèrent rapidement. Une forme allongée sur le lit attira son attention. L’explorateur se hissa sur le plancher. Une femme dormait paisiblement. Il essaya de la réveiller, en vain. Il la prit par le bras pour la secouer plus fort. Rien à faire. Prit de panique il la força à se lever. Elle tomba. Il déglutit, angoissé. Elle gisait maintenant sur le plancher, comme un vulgaire pantin désarticulé, morte selon toute vraisemblance. Le cou faisait un angle peu naturel avec le reste du corps. L’avait-il tué ? L’homme se pencha sur elle. Il recula précipitamment, le visage tordu par une grimace horrifiée. Il descendit les marches, la bouche grande ouverte en un cri silencieux, remonta dans sa chambre et se planta devant le miroir. D’un geste tremblant il rasa les cheveux sur la base de sa nuque : un code barre se lisait sur le cuir chevelu, comme sur celui de la femme à la seule différence que le sien comportait une lune et celui de l’étrangère un soleil.

Le grondement retentit alors. Une série de clic-clac lui vrillèrent la tête. Il cacha son visage entre ses mains, apeuré. La pièce toute entière tremblait. La folie s’empara alors du pauvre hère. Il prit une corde, l’attacha au lit, en passa le noeud à son cou, ouvrit les volets d’un coup sec et se jeta dans le vide.

Le jour se levait. L’enfant ouvrit la porte de la chambre en baillant. Il se levait toujours en premier. Il se frottait les yeux quand il aperçu l’homme pendu à sa corde. Il poussa un hurlement. Son père arriva aussitôt, ébouriffé. Il suivit le regard de son jeune fils.

  • Ne t’en fais pas Nils, on va la réparer cette vieille horloge que tu aimes tant. Tu sais bien que le ressort du petit bonhomme se dérègle souvent et que parfois il se retrouve comme ça, pendu au dehors… Allons, rien de grave. Vient m’aider.

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