Chapitre 19: La geôlière aux cheveux de feu

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Stacy

Stacy se réveilla en sursaut lorsqu'elle entendit la serrure se déverrouiller. Sans changer de position, elle garda les yeux ouverts, alerte, prête à se défendre en cas d'agression (même si elle risquait de ne pas faire long feu).

-Je sais que tu fais semblant de dormir, dit une voix féminine, tranchante. Lève toi et plus vite que ça, j'ai pas toute la journée.

La jeune fille frissonna, car elle n'avait toujours pas l'habitude de se faire tutoyer. Lentement, elle se leva et se tourna vers sa geôlière, qu'elle reconnut vaguement comme étant l'acolyte de son ravisseur. C'était une femme de son âge, voire un peu plus âgée. Ses cheveux, roux, étaient coupés très court de façon désordonnée, comme si elle se les coupait elle-même à la va-vite, en utilisant le long couteau qu'elle portait à la ceinture. Elle la dépassait d'une demi-tête, mais semblait si frêle que Stacy pensa un petit instant qu'elle pourrait lui échapper en l'assommant. Mais elle abandonna aussitôt cette idée en croisant ses yeux verts, qui reflétaient une folie sadique, presque bestiale, comme si elle se retenait à grand peine de l'éventrer à mains nues par pur plaisir. Les habitants de cet étage étaient visiblement tous effrayants, à leur manière.

-T'as fait de beaux rêves princesse ? Lui lança son interlocutrice d'un ton plein de sarcasme.

Par expérience, la jeune femme préféra retenir la réponse cinglante qui lui brûlait les lèvres. Faire profil bas était parfois l'une des meilleures manières d'assurer sa survie, et encore plus ici.

En réalité, elle n'avait pas si mal dormi que ça. Elle aurait dû rester sur ses gardes, éveillée, mais elle se savait en sécurité d'un certain point de vue. Elle s'était alors écroulée à même le sol, dans sa cellule qui ressemblait plus à un placard à balais tant elle était exiguë, et s'était assoupie d'un sommeil sans rêves.

-Allez debout. T'as du travail aujourd'hui.

La jeune femme hocha docilement la tête, et suivit sa geôlière à travers l'entrepôt, où plusieurs subordonnés d'Evan s'activaient déjà autour des mystérieux sacs que Stacy avait déjà aperçus l'avant-veille.

-Tu veux savoir ce qu'il a là dedans ?

-Pardon ?

-Les sacs. Tu lorgnes dessus depuis que t'es arrivée.

La jeune fille rougit de gêne, mais surtout de frustration. Elle ne pensait pas être aussi transparente.

-Figure-toi ma p'tite dame qu'ils contiennent de la viande crue, directement en provenance d'une de nos fermes.

-Vos fermes ? Mais les fermes appartiennent à l'Eglise...

-Bien évidemment idiote, c'est de la marchandise détournée. On fournit quelques bistrots illégalement, et comme la viande vaut cher quand on ne vient pas des étages supérieurs, on en fait notre gagne-pain.

-C'est du blasphème.

Son guide s'arrêta net, et se tourna vers elle. Stacy s'attendait à un regard furieux, voire des coups, mais elle ne vit qu'un visage neutre, froid, dénué de toute expression.

-Du blasphème hein ? Un monde où les nobles possèdent tous les droits et où les gens comme nous sont traités comme du bétail, c'est pour vivre dans ce genre de monde que nous devons obéir à l'Eglise ? S'il y avait vraiment un Dieu quelque part, les gens du peuple ne seraient pas en train de vivre dans leur propre merde.

-Mais c'est...

-Dans l'ordre naturel des choses ? Continue à penser comme ça ici et tu mourras beaucoup plus vite que prévu.

Stacy ne répondit pas, tétanisée. Elle sentait la haine que vouait sa geôlière aux gens de sa caste, mais ne la comprenait pas. Certes, c'était dommage pour eux d'être nés au mauvais endroit, mais le monde avait toujours fonctionné ainsi.

-Evan place pas mal d'espoir en toi, continua-t-elle, mais ce n'est pas mon cas.

-Je n'ai pas demandé de traitement de faveur. Et, que je sache, je n'ai pas demandé à être ici.

Elle avait craqué. Se faire apostropher aussi vertement, faire face à un tel blasphème, fragilisait le masque imperturbable de la jeune fille. Masque qui lui avait permit de se fondre dans la masse et de survivre jusqu'ici. Evan était d'ailleurs celui qui avait briser ce masque pour la première fois, lorsqu'ils s'étaient rencontré.

La réaction de la rousse fut néanmoins totalement différente. Elle ne la frappa pas, ne la menaça pas. Elle se contenta de lui offrir un sourire amusé tout en ouvrant une porte.

-Après vous votre altesse, dit-elle d'un ton plein de sarcasme.

Stacy se retrouva au milieux d'une pièce dénuée de meubles. S'y trouvaient seulement des bâtons de bois de différentes tailles, sagement alignés contre les murs. Son guide verrouilla la porte derrière elles, puis enleva son t-shirt pour se retrouver en brassière, laissant voir des abdominaux parfaitement tracés.

-Où sommes-nous ?

-Dans la salle de torture. Ou alors la salle d'entraînement. Pour toi, ce sera la même chose.

-Pardon ? Mais je...

Le premier coup lui coupa le souffle. Elle s'effondra au sol, pliée en deux, les mains sur son estomac.

-T'es lente.

-Tu m'as eue par surprise, souffla la jeune fille.

Un coup de pied d'une violence inouïe vint lui fracasser les côtes en guise de réponse.

-Et ? Personne n'attendra que tu sois prête au combat. Personne n'attendra que tu te relèves. T'as juste à rester sur tes gardes, et à frapper avant d'être frappée. C'est la leçon numéro un.

Stacy se redressa, un genou au sol. Elle n'en revenait pas que son adversaire soit aussi rapide. Elle comblait la distance qui les séparait avec une vivacité incroyable.

-Pourquoi...

Le troisième coup l'atteint au niveau de la mâchoire, tandis qu'elle finissait à nouveau à terre.

-Leçon numéro deux. Quand tu te bats, tu la fermes.

La brune tenta vainement de se relever. Son vis-à-vis la laissa faire cette fois-ci, restant assez éloignée pour lui permettre de souffler. Stacy la détailla à nouveau, non pas comme un prisonnier face à son geôlier, mais comme une proie face à son prédateur. Elle remarqua à nouveau la finesse des membre de la rousse, mais aussi leur robustesse. Les cicatrices blanches qui strillaient ses bras, synonyme d'expérience sur le champ de bataille. Elle n'avait pas l'ombre d'une chance.

-T'es chiante, tu vaux pas grand chose finalement. Autant te tuer tout de suite.

-Quoi ?

-On a déjà obtenu les documents que t'avais sur toi. Et puis au pire, Evan m'engueulera un peu, dit-elle d'une voix blanche en dégainant son couteau.

Stacy s'apprêta à rétorquer, mais elle dût faire un bond en arrière pour éviter la lame effilée. De justesse. Horrifiée, elle croisa le regard de son adversaire, dénoué de toute pitié. Une lueur sauvage s'agitait désormais dans le vert de ses yeux.

Elle était sérieuse. Elle allait la tuer ici et maintenant.

Cela frustrait la jeune fille, mais la soulageait en même temps. Elle n'avait pas accompli sa mission, mais après tout, à quoi bon ? Elle n'avait aucune piste, ne savait pas où chercher. Elle s'était lancée dans une quête vouée à l'échec dès le départ, et tout ça pour une amourette d'adolescente. Elle s'en irait apaisée, dans cet étage de merdeux, sans doute déchue de son titre par son père. Elle avait déjà tout perdu, sa vie ne valait plus grand chose. Alors elle baissa les bras, tandis que son adversaire se jetait sur elle.

La jeune femme ne comprit pas les événements qui survinrent dans les secondes qui suivirent. Peut-être était-ce son orgueil qui, dans un dernier sursaut, déplaçait son corps contre son gré. Peut-être était-ce cette peur, qui lui nouait le ventre depuis ce fameux soir, qui se manifestait en elle. Cette peur d'être constamment sur ses gardes, traquée telle une proie. Cette peur d'être attrapée, puis tuée. Cette peur de mourir.

Alors, durant une fraction de seconde, elle se vit à nouveau dans l'étage secret. Elle y avait été témoin d'une horreur sans nom, mais elle avait préféré nié son existence en son for intérieur. Elle s'était convaincue elle-même, inconsciemment, d'oublier ce passage de sa vie, ces quelques heures durant lesquelles elle avait pris la réalité en pleine face. Et elle se vit, à l'image de toutes ces servantes, nue, violentée, dans une cage. Réduite à l'état d'animal. De bétail.

Alors elle hurla. Sans même qu'elle s'en rende compte, elle évita à nouveau la lame, avec une vélocité qu'elle ne s'imaginait pas posséder. Sans réfléchir, elle se jeta sur la rousse, la rouant de coups. Elle ne contrôlait pas son corps, ne ressentait même plus la douleur malgré les attaques toujours aussi violentes qu'elle recevait en retour. Elle savait que dans la main droite de son vis-à-vis se tenait la Mort, qui attendait juste une faille de sa part. Mais, comme si sa conscience l'avait quittée, elle ne s'y attardait pas plus que ça. Elle se contentait de frapper sans faire attention. Son esprit n'était plus qu'un mélange de sentiments distincts: effroi, angoisse, colère, fascination. Contradictoire, mais terriblement grisant.

Son élan fut néanmoins stoppé net par l'autre combattante, beaucoup plus expérimentée. Lâchant contre toute attente sa dague, elle mis la brune à terre d'une balayette, et se retrouva au dessus d'elle, plaquant ses poignets au sol grâce à ses mains, son genou douloureusement ancré dans son estomac.

Et Stacy, lentement, émergea. La fatigue la saisit soudain. Son corps frissonna légèrement. Pour la troisième fois aujourd'hui, elle fixa ce regard vert où dansaient des flammes pleines d'une folie meurtrière. La folie d'une bête acculée, qui n'a plus rien à perdre. La folie de ceux qui en ont trop vu, trop tôt. Une folie qui effaçait toute pensée hormis une: survivre. Et à l'instant où elle croisa ce regard, Stacy comprit que ses yeux reflétaient exactement la même chose.

-Leçon numéro trois, murmura la rousse avec un sourire dément tout en rapprochant leurs visages transpirants, n'oublie jamais ce sentiment.

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