Chapitre 6: Fugue

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Stacy

Stacy ne cessait de réfléchir à toute vitesse tandis qu'elle montait les escaliers vers sa chambre. A l'instar de son père, elle avait discrètement pris congé de leurs invités et se jetait à présent sur son armoire, pour troquer sa robe de soirée contre un blue jean, un t-shirt et des baskets souples. Elle attrapa également au passage une veste en cuir noire, avant de sortir en trombe du manoir, par l'arrière.

Il était déjà très tard, et les lampadaires avaient déjà été allumés. Etant donné que la majorité des habitants de cet étage étaient au manoir des Grimmsworth, les rues étaient étrangement désertes. Stacy se mit à courir à toute haleine vers la maison de Théo. Peu lui importait, elle savait qu'il était en danger et se devait de vérifier de ses propres yeux s'il lui était arrivé quelque chose.

Le mouvement révolutionnaire. Un mystérieux groupuscule de dangereux aliénés. Comme tout le monde, la jeune femme connaissait l'histoire : il y a environ sept siècles, l'humanité peuplait la Terre sur toute sa surface. Sa mère, autrefois, racontait qu'insatisfaits et avides de pouvoir, les hommes décidèrent d'explorer les confins de l'espace, de conquérir le ciel, et tout cela sous le regard bienveillant de leur protecteur divin, Cianse. Malheureusement, les cieux ne virent pas cela d'un bon oeil, et envoyèrent sur Terre, là où les hommes étaient le plus nombreux, le bourreau qu'on nommait Cataclysme. Ce fut un véritable massacre. La Terre devint aride, desséchée. Les infrastructures s'écroulaient, la nourriture se faisait désirer. La vie n'y était plus propice.L'humanité, au bord de l'extinction, se tourna vers Cianse, qui observait de loin son peuple mourir à petit feu. Mais devant l'absence de réponse de leur protecteur, les hommes se tournèrent vers l'Eglise, qui elle agissait non pas sous l'égide de Cianse mais sous celle de Dieu. Ainsi, le clergé entama la construction de la Tour, incitant les hommes tous à vivre au même endroit, et lui donna un nom: Babel. Durant des années, elle rassembla les peuples à travers le monde, et l'édifice haut de 121 étages vit le jour au bout de cent trente-deux ans de dur labeur. Mais durant ce siècle, quelques fervents disciples de Cianse se levèrent en secret contre l'Eglise. Et aujourd'hui encore, on racontait que sous le nom de "mouvement révolutionnaire", ils prévoyaient de s'attaquer au clergé.

Ils étaient partout, avaient même des contacts parmi les nobles. La conversation qu'elle avait entendue plus tôt ne lui laissait aucun doute : ils comptaient mettre la main sur Théo, et sûrement à cause de ses recherches d'après l'administrateur Hoffmann. Elle devait absolument le prévenir avant qu'il ne soit trop tard.

Une fois arrivée dans la petite bâtisse, elle se précipita à l'étage. Quelque chose clochait cependant, ne faisant qu'accentuer son appréhension. Jamais Théophile Blacksmith n'aurait laissé sa porte ouverte en pleine nuit.

Il n'était visiblement pas à l'atelier, qui était sans dessus-dessous. La bibliothèque était renversée, et ses outils étaient brisés, éparpillés sur le sol au milieux des livres. La plupart de ses papiers, où étaient griffonnés ses travaux, avaient disparu de son bureau. Son manteau et ses bottes de voyage également.

-Il compte quitter l'étage, songea Stacy. Mais c'est étrange, c'est le niveau le plus sécurisé hormis le 121e...

Ça n'avait aucun sens. Peut-être avait-il choisi de trouver refuge chez un puissant, afin de rester hors de portée ? En y réfléchissant bien, il aurait sans doute demandé l'asile chez les Grimmsworth. Qui d'autre qu'un administrateur aurait pu le protéger ? Il entretenait une relation particulière avec la défunte femme de ce dernier, ainsi qu'avec sa fille.

En réalisant que son précepteur se trouvait sûrement chez elle en ce moment, la jeune femme se sentit soudainement terriblement stupide et étourdie. Elle s'était finalement précipitée pour pas grand-chose. Malgré tout soulagée qu'il soit potentiellement en sécurité, elle sortit d'un pas traînant de la maison et retourna sur le chemin qui menait au manoir. Evidemment, elle se mit à penser aux conséquences de ses actes. Son absence allait finir par se faire remarquer, et elle se voyait mal expliquer à son père pourquoi elle n'était plus en tenue de soirée et surtout, pourquoi elle se trouvait dehors à cette heure-ci. Au mieux, elle pourrait se faufiler en toute discrétion vers sa chambre et se changer. Elle prétexterai que suite à une migraine, elle avait préféré se retirer en toute discrétion, pour ne pas inquiéter leurs convives.

Ainsi rassérénée, elle se faufila une fois de plus par l'entrée de derrière, après avoir vérifié que personne n'était là. Elle monta doucement les escaliers, passant devant les chambres où les cris avaient cessés. Elle ignorait pourquoi, mais le silence qui régnait à présent dans le couloir la mettait mal à l'aise. Elle avait conscience que, dans la salle des fêtes, la soirée était encore bien animée, mais elle avait la désagréable impression d'être seule dans l'imposant bâtiment.

Elle entendit soudain des pas au détour d'un couloir. Hors de question cependant que quelqu'un la voie ici. Elle se jeta dans la pièce la plus proche, derrière une porte en chêne.

-Qui va là ?

Avec effroi, elle reconnut la voix de l'administrateur Hoffmann. Elle entendit également son pas, lourd, s'approcher de la salle où elle se trouvait. Elle devait rapidement trouver une cachette.

Elle fit volte face, et se sentit défaillir. C'était une chambre d'amis. Et d'après les ronflements et la masse informe couchée sur le lit, elle était occupée.

-Il faut que je reste lucide, pensa-t-elle. Réfléchis, réfléchis, réfléchis...

Une seconde porte, légèrement entre-ouverte, à l'autre bout de la pièce. Elle n'hésita pas un instant et s'y précipita le plus silencieusement possible, et referma délicatement, sans faire de bruit. Bien lui en prit, car elle entendit une fraction de seconde plus tard la première porte s'ouvrir à la volée, et un homme à la voix inconnu pousser un cri agacé, rapidement transformé en couinement.

-M... Monsieur l'administrateur... Hum...

Mais Stacy ne s'attarda pas. Elle cette porte-là menait non pas à un couloir, mais à un escalier en colimaçon, étroit et sombre. Elle hésita quelques instants, mais finit par se décider à descendre. Elle aurait de sérieux ennuis si on la surprenais ici, et elle finirait bien par ressortir quelque part.

Elle descendit ainsi une trentaine de marches. La chaleur était étouffante, et elle fut bien tentée de déposer sa veste de cuir ici. Elle se retrouva finalement devant un couloir tout aussi étroit, faiblement illuminé par quelques ampoules vieillies, qui s'étalait à la fois à sa gauche et à sa droite. Elle s'avança sur quelques mètres, et réalisa que plusieurs autres escaliers similaires à celui qu'elle venait d'emprunter étaient disséminés un peu partout le long des murs.

Visiblement, elle avait vécu durant des années dans le manoir tout en ignorant que la grande majorité des pièces étaient reliées par un passage secret. Elle songea cependant qu'elle avait toujours trouvé curieux que la chambre de son père possédait une seconde porte, qu'elle n'avait pas le droit de franchir. Elle avait toujours pensé qu'il s'agissait d'une annexe, mais elle se trompait.

Légèrement excitée par sa découverte, la jeune femme voulut s'avancer, mais un objet qui brillait dans la pénombre retint soudain son attention. Elle se pencha en avant. Une boucle d'oreille bon marché, typiquement le genre de bijoux que les servantes portaient. Elle eut un frisson désagréable. Il y avait quelque chose d'étrange, de malsain, dans ce corridor. Ce ne fut pas le seul objet insolite qu'elle trouva sur son chemin. Il y avait également des lambeaux de tissu, des traces de lutte. Au bout d'un moment, elle repéra également quelques tâches rouges. Du sang. Un individu, blessé, s'était traîné le long du mur.

Elle marcha longtemps, suivant les traces écarlates. Plusieurs fois, le corridor se divisait, tandis que d'autres se rejoignaient. Elle était au centre d'un véritable dédale, qui s'étalait sans doute sous toute la ville. Au milieux, elle trouva un nouvel escalier en colimaçon qui, lui, descendait. Or, elle était déjà sous le sol du manoir. Logiquement, cet escalier devrait mener à l'étage d'en dessous. Elle hésita une bonne minute. Elle n'avait aucune raison de s'intéresser à ce qu'il y avait au bout. Elle avait déjà atteint son objectif, à savoir échapper au regard de son père. Il lui suffisait de remonter et revenir dans sa chambre avant le lever du jour, et tout cela ne serait plus que de l'histoire ancienne. Elle retrouverait Théo au petit matin, en sécurité. Tout irait pour le mieux.

La curiosité finit cependant par l'emporter. Les genoux tremblants, elle s'engagea sur les marches.

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