Chapitre 28 - SACHA

6 minutes de lecture

le 09/03/2022

Il était trop tard quand j’ai compris qu’Alexy s’était enfuie à l’extérieur ; le petit micro dans mon oreille résonnait déjà du son d’une correspondance en provenance. Me retrouvant seul à l’étage, et sans accorder beaucoup d’importance à Waël en bas, j’ai accepté l’appel, mais en attendant les cris choqués de mes collègues à l’autre bout de la ligne… pas la voix aux intonations réconfortantes de Mr. Carren.
Après ce qu’il vient de se passer avec Alexy, cette chose qui nous a emportés tous les deux contre notre grès, une communication avec mon protecteur et le rappel que je ne dois pas décevoir ses attentes a achevé de me déstabiliser. Je ne suis donc pas vraiment en capacité de répondre, et je crois que je n’entends même pas ses paroles, submergé par la sensation encore vivante de ces lèvres… je pense que j’ai imaginé quel effet leur contact me ferait depuis notre première rencontre, juste avant qu’elle ne me fasse tout ce mal et change à jamais nos relations. De me dire qu’à cause d’elle, nous n’avons jamais eu la moindre chance… et alors ?
Qu’est-ce que ça peut me faire ? Elle mérite ma haine, et moi je ne veux pas penser à ce qui aurait pu se passer si je ne la lui avais pas accordée.
- Cost !
Presque personne ne m’appelle ainsi, c’est sans doute ce qui me tire de ma rêverie. Un presque personne qui se résume à Mr. Carren, avec qui justement je suis en ligne… ce n’est vraiment pas le moment de faire n’importe quoi, et je ne sais même pas pourquoi il n’a pas encore perdu son calme avec moi. Mais je ne devrais pas être étonné, il a toujours été le seul à me comprendre, même si il tolère rarement les divergences de mes émotions.
- Oui, Monsieur.
Je reprends ma tonicité et ma volonté de fer en quelques secondes, réajustant mes pensées aux sujets qui devraient me préoccuper actuellement, surtout que je n’ai à mon avis pas longtemps avant que Waël ne s’aperçoive de quelque chose. Je ne devrais pas oublier que si Allen lui accorde sa confiance, le sous-estimer est une mauvaise idée. Décidément, c’est ce que j’ai tendance à faire avec tout le monde, ce qui n’est pas vraiment une bonne stratégie, car je n’adapte pas mes plans en fonction de la force véritable de l’adversaire. Toujours prévoir plus que pas assez, c’est la première règle que je me suis imposée et je ferais mieux de ne pas en dévier, même si c’est manifestement dur en ce moment.
- Je suis fier de toi, Sacha.
Ces mots me serrent le cœur. Je ne mérite pas l’attention qu’il m’accorde, sa gentillesse, tout ce qu’il a sacrifié pour moi. Et je ne mérite certainement pas sa reconnaissance en ce moment précis, alors que j’embrasse mon ennemie au lieu de la détruire comme je le lui avais promis.
Je l’ai embrassée.
Ou plutôt, elle m’a embrassé.
Nous nous sommes embrassés mutuellement, dans un accord commun.
C’est si absurde que j’ai mis du temps à enfin prononcer la vérité à haute voix dans ma tête, mais maintenant que je l’ai fait, cela sonne étrangement juste comme manière de décrire la situation, simple et efficace, sans prendre en compte le sac de nœuds que sont devenues mes émotions.
Je me tais en attente de la suite car je connais assez bien mon interlocuteur pour savoir qu’il n’a pas fini, mais aussi parce que je serais dans l’incapacité de formuler une réponse cohérente s’il le fallait.
- Je tenais à te dire que tu réalises un travail parfait. Je reçois des rapports réguliers de toutes tes avancées, et tu peux sûrement penser que tes progrès ne sont pas assez efficaces, mais je t’assure le contraire. Toi mieux que quiconque devrait avoir conscience de la patience qu’il faut pour exécuter un plan aussi complexe. Tant que ton inactivité actuelle n’est pas inutile, alors elle ne doit pas en devenir frustrante.
Mon cœur s’épanouit littéralement dans ma poitrine quand j’entends cette succession de compliments, édictés d’une voix douce et absolument sincère. Mr. Carren ne s’embarrasse pas de mensonges ; il dit la vérité, qu’elle soit mauvaise ou bonne comme en ce moment. Mais d’un autre côté, je me dis qu’il ne parlerait pas ainsi s’il était au courant des dernières informations sur mes progrès, comme il dit.
Les nouvelles n’ont pas encore dû lui parvenir, à lui comme au reste du Gouvernement de Paris qui suit probablement ma mission avec assiduité. Mais je sais qu’elles courent vite là-bas, et le fait qu’Alexy et moi nous soyons embrassés ne manquera pas se s’ébruiter jusqu’aux plus insignifiants.
J’avoue que je tremble déjà à cette idée, non pas que l’avis de mes inférieurs m’intéresse bien sûr.
- Et l’embrasser, la traîner ainsi sous ta coupe d’une manière aussi subtile et implacable ! Même moi je n’aurais pas imaginé une idée aussi intrépide, surtout étant donné de l’agressivité dont elle peut faire preuve parfois. Tu aurais pu te dévoiler, mais tu as parfaitement calculé ton coup et je vois que mes enseignements commencent à porter tout leurs fruits… de même que ta légendaire témérité bien sûr !
Je pourrais presque sentir sur ma peau la chaleur du sourire qui inonde son visage à coup sûr, et qui entre en collision violente avec le froid glacial se répandant dans mes veines. Il sait ?
Moi, Sacha, je me retiens de m’étrangler sur ma salive en ce moment même. Je crois que les derniers évènements, couplés à une réaction aussi insensée de la part de Mr. Carren, achèvent de me retourner l’esprit pour de bon. Quoique, il a toujours apprécié ma capacité à me moquer des risques lorsque je poursuis un but supérieur, qu’il interprète bien évidemment sous cet angle en cet instant. S’il savait que derrière ma détermination à manipuler les sentiments les plus profonds d’Alexy se cache également une pointe de désir que je n’ai pu contenir lorsqu’elle s’est pressée contre moi…
Instinctivement, je sais qu’il est temps pour moi de réagir, justement pour ne pas laisser percer la réalité de la situation. Je redeviens maître, j’applique toutes les méthodes de contrôle possibles que Mr. Carren m’a transmises qui, j’ai l’impression, ne m’ont jamais servi autant qu’aujourd’hui.
- Votre point de vue me touche, Monsieur.
Je ne donne généralement pas dans l’emphase avec lui, sachant qu’il déteste les beaux parleurs, changeant mon comportement habituel pour ne pas risquer de le froisser, même si rajouter un « énormément » aurait été totalement sincère. Je reste donc simple et authentique, exactement comme il l’aime.
- Mais je sens que je suis en train de me rapprocher du but, comme vous avez sûrement pu l le constater.
Je baisse la voix.
- Sans entraves de notre part, l’agent devrait nous conduire à l’Organisation d’ici peu, et comme vous le dites, Alexy est totalement sous mon emprise.
Je n’ai jamais prononcé un mensonge aussi gros de toute ma vie.
Non, elle n’est pas sous mon emprise, car si j’ai bien appris une chose à son sujet, c’est qu’elle est et restera plus libre que je ne l’ai jamais été de toute ma vie. Cela ne m’empêche pas de la faire payer, mais je ne lui enlèverai pas que la mettre à ma merci totalement est impossible.
- Elle est probablement en train de rechercher Allen en ce moment même, et quand ils reviendront, ils auront les dernières réponses dont nous avons besoin. Il ne manque plus beaucoup de temps.
Ne vous en faites pas, je rajoute silencieusement, sauf que je ne le dis pas à haute voix car Mr. Carren n’est pas le genre d’homme à aimer qu’on le réconforte.
- J’en suis d’autant plus satisfait que tu me le confirmes, Sacha. Avant de rentrer à la maison en traînant derrière toi ma vicieuse petite esclave, dis-lui de la part de Christian qu’elle a rampé avec son esprit, avec son corps, mais que je ne vois toujours pas l’arme dans sa main. Retiens bien cela, Sacha.
Perplexe, je ne trouve rien de pertinent à répondre mais grave sa tirade dans un coin de ma tête, bien que je n’en ai pas compris un seul mot. Si je pouvais l’analyser, j’en tirerais sûrement une mine d’informations, mais je suis impuissant face à ce genre de choses, et je ne peux que me répéter avec une sensation de malaise grandissant : « ma vicieuse petite esclave ».
« Ma ».

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