Chapitre 22 - SACHA

12 minutes de lecture

le 2/03/2022, écrit avec des vibes d’été comme t’en as jamais vu <3

Je ne sais pas si c’est une mauvaise plaisanterie ou la meilleure nouvelle de ma vie.
L’Organisation serait basée à Paris ? Non, je refuse d’y croire, ils ne sont pas bêtes à ce point pour se cacher juste sous notre nez, dans la même ville que nous, littéralement à quelques kilomètres de la DFAO… Il doit forcément y avoir une autre explication, ou alors j’essaye de m’en convaincre car sinon, cela signifierait une stratégie de génie et je ne veux pas accorder ce plaisir à notre ennemi. Un biscuit dans une boîte de biscuit.
Un juron étouffé dans mon oreille, mais dont je n’arrive pas à déterminer le propriétaire, m’indique que la DFAO a fait le même raisonnement que moi… et parvient à la même conclusion délirante.
Mais la plus choquée de nous tous est peut-être finalement Alexy. Son visage s’est vidé de toutes ses couleurs, malgré la pigmentation foncée de sa peau, virant de l’éclat de la vie à la pâleur de la mort en une fraction de seconde. Elle semble avoir plus peur de retourner à Paris que du contact avec les hommes, et ce n’est pas peu dire.
Avec n’importe qui d’autre, je me serais rapproché pour la soutenir, effleurer son bras, lui demander ce qui ne va pas, mais pour elle je lutte contre mes instincts. Cela ne ferait qu’aggraver sa situation, ce qui pour le coup n’est pas vraiment le but. J’ai toujours su me maîtriser et établir des priorités dans le bon intérêt des déroulements de mes plans.
- Q… quoi ? qu’est-ce que tu viens de dire ? bégaye-t-elle sans chercher à cacher sa réaction.
- Paris. Nous allons à Paris, répète Allen, perdu, et une fois n’est pas coutûme, je rêverais de pointer un pistolet sur sa tempe pour accélérer ses capacités de compréhension.
Est-il aussi stupide que ses supérieurs, qui basent leur groupe rebelle dans une des villes maîtresses ?
- C’est non. Si comptes sur ma présence, nous n’irons pas là-bas.
- Tu sais très bien que tu dois venir…
Mais elle ne le laisse pas finir, certes sous le choc, pas prête à se faire marcher dessus pour autant. Elle a cette faculté à retrouver toute sa lucidité dans les pires moments, exactement à l’inverse de la plupart des gens, ce que je ne comprends toujours pas.
- C’est non, répète-t-elle, campant fermement sur ses positions. Je n’irai pas. Tu veux tous nous faire tuer ?
Ils semblent tous deux m’avoir oublié, et loin de m’en vexer j’estime que c’est un mal pour un bien, car je ne saurais quoi dire si on me demandait de prendre position. Se rendre à la capitale pourrait se révéler extrêmement avantageux pour nous, surtout si Allen compte rejoindre une bonne fois pour toutes leur base. Nous les aurions encore plus sous notre contrôle, et c’est pour le coup beaucoup d’action en prévision pour moi. La campagne m’ennuie un peu, je dois dire.
D’un autre côté, pour respecter ma couverture, je ne peux que soutenir Alexy : mon personnage n’aurait aucune envie de se jeter dans la gueule du loup à nouveau. Je comprends d’ailleurs qu’elle applique exactement le même raisonnement, car selon ses souvenirs modifiés, tout a commencé dans les Résidences. Retourner à Paris, c’est signer son arrêt de mort dans sa tête. Si nous étions vraiment à leur poursuite, elle n’aurait d’ailleurs pas tort, ce qui me pousse à me demander, en dehors de ma première théorie, pourquoi Allen prendrait un risque aussi insensé.
Ils s’invectivent et débattent de manière assez puérile pendant une bonne dizaine de minutes pendant que je suis mon propre chemin. Alexy est maintenant assez à l’aise avec nous pour soutenir une dispute, pourtant elle continue d’avoir des petits mouvements de recul, comme je l’ai si souvent vue faire, quand Allen hausse trop le ton. Au moment où il lève les mains au ciel pour exprimer sa frustration, elle fait carrément un pas en arrière et mes sens se réveillent immédiatement.
Une colère de provenance inconnue gronde en moi, tandis que je bouge légèrement les épaules pour me placer devant elle au besoin. Je jurerais que, si je pouvais voir mon visage en ce moment même, mes yeux brilleraient, autant l’un que l’autre.
Alexy s’est tue, abandonnée par toute sa volonté de lutter. Il serait normalement l’heure pour moi d’entrer dans la danse, ce que je fais contre toute attente au vu de son désarroi silencieux.
- Je donne raison à Alexy sur ce coup. J’ai aucune envie de retourner à Paris. Où est l’intérêt, Allen ?
Je me dépêche de poser ma question, car je l’ai vu sur le point de m’interrompre rageusement. Coincé, il nous regarde alternativement. Vu de l’extérieur, Alexy et moi lui faisons front, autant sur le point physique – nous formons un triangle dont il est le sommet – que par nos yeux résolument fixés sur lui. Sa bouche s’agite sans produire le moindre son, ce qui manque de me provoquer un fou rire. Il me fait penser à un poisson hors de l’eau, mais ce n’est pas un rire méchant, je trouve sincèrement la situation assez comique.
Après un long moment, il finit par reprendre la parole, nous coupant le souffle, autant à Alexy qu’à moi :
- Je ne peux pas contacter l’Organisation.
Il marque une pause, torturé par sa révélation que j’imagine, dans sa situation, plus que problématique. Ce ne serait que pour Alexy, je pense qu’il ne serait pas si réticent, mais malgré notre début de relation, il ne sait toujours pas s’il peut me faire confiance. Qu’il décide de le dire devant moi tout de même me prouve que j’ai définitivement gagné la partie.
- Si nous bougeons ainsi depuis plusieurs semaines, c’est uniquement parce que je ne peux pas les joindre, et donc pas… recevoir les ordres. J’ai longtemps réfléchi, parce que je connais comme vous les risques que nous encourrons en retournant à Paris.
Il ajoute cela avec une pointe d’exaspération, comme si nous aurions dû nous en douter.
- Mais nous ne pouvons pas continuer ainsi, la DFAO finira par nous rattraper. J’ai tout essayé, et je connais quelqu’un là-bas, un contact, qui pourra nous mettre en relation avec mes amis. Nous l’avons dépêché dans la ville justement à cet effet.
Intéressant. Ils sont donc bien plus organisés et répandus que nous le pensions. J’espère que les capitaines, qui boivent chaque mot de cette conversation comme un élixir de vie, ne ferons aucune démarche pour retrouver leur homme infiltré. Cela risquerait de ruiner tout mon plan. Avec un peu de chance, ils seront assez intelligents pour le comprendre.
J’ai cependant mon grain de sel à rajouter pour tenir mon rôle.
- Ca n’a aucun sens, si vous faites tous les deux partie de l’Organisation pourquoi est-ce que vous avez coupé les ponts avec eux ? Pourquoi est-ce que vous êtes si isolés ? Et pourquoi vouloir retourner là-bas à tout prix ?
Le regard d’Alexy se trouble, et j’ai peur un instant d’avoir posé une question pour laquelle ils ne seront pas capable d’inventer un mensonge assez crédible. Bien sûr, je ne devrais pas, car comme à chaque fois Allen choisit la fuite pour esquiver le problème :
- Tu sais que nous ne pouvons pas te dire toute la vérité, Sacha. Mais il y a une bonne raison à tout cela, qui peut-être un jour te paraîtra plus claire.
« Tu sais que... » semble décidément être la phrase préférée d’Allen. A la place d’Alexy, je serais littéralement excédée de me l’entendre répéter à tours de mains.
- Et puis, et en prévision de ce qui va suivre, son regard devient douloureux, j’ai un moyen de rentrer sans nous faire prendre.
Reprenant son plaidoyer désespéré pour nous convaincre, il nous supplie presque :
- Vous devez me faire confiance, je ne vous mènerais pas au cœur de leur territoire si ce n’était pour une raison vitale.
Et je devine ce qu’il veut vraiment dire : « Je ne te mènerais pas au cœur de leur territoire, Alexy. »
Je suis vraiment curieux de savoir quel moyen les rebelles ont trouvé pour s’introduire dans Paris, et également soulagé de ne pas avoir été pris pour un imbécile, puisque leur base ne se situe finalement pas là-bas. Et puis, Allen vient de me donner une excellente raison de le soutenir, je saute donc dessus :
- Je suis partant, déclaré-je comme si cela venait du fond de mon cœur.
J’avance même d’un pas en avant pour faire bonne mesure, même si je me sens ridicule, et aussi un peu coupable de trahir Alexy. Elle pensait sûrement que j’allais la soutenir, elle va maintenant devoir se débrouiller seule contre deux. Deux hommes.
Les relations se sont inversées, elle est le sommet du triangle, un sommet très vacillant. Le défi brille cependant dans ses yeux douloureux de ma traîtrise. Elle ne me regarde même plus, et mon cœur se serre un peu à cette pensée alors qu’il ne devrait pas.
- Je n’irai pas. Vous pouvez, si vous en avez tant envie. Mais je n’irai pas. Et cette discussion est terminée, conclut-elle.
Quand elle s’en va, droite, digne, je sais pourtant à la perfection que c’est pour cacher la véritable nature de cette fuite, pour cacher ses larmes et son tremblotement.
Tous les sentiments à son égard qui m’ont rempli pendant tout ce temps, ce désir de la protéger quand Allen a levé les mains, cette douleur à l’idée de briser sa confiance… je n’en veux pas.
Je lutte contre eux de toute mon âme, et même plus encore.
Mais ils ne disparaissent pas pour autant.

Si nous n’étions pas déjà dans ce champ, j’aurais opté pour le fameux arbre sur lequel je l’ai déjà retrouvée plusieurs fois.
Lui courir après, essayer de rentrer dans sa tête pour deviner où elle est partie après avoir discuté avec Allen pendant une bonne dizaine de minutes, est à la fois une torture car je répugne à lui apporter mon aide, et une pulsion que j’ai envie de suivre pour savoir ce qu’elle fait. Depuis que je suis ici, c’est concrètement en ceci, être tout le temps avec elle, que mon obsession s’est transformée.
Pourtant, pour une fois, je n’ai pas besoin de chercher bien loin : elle s’est réfugiée dans le rover, en conversation silencieuse avec Nuit d’encre comme elle seule sait le faire. Elle a fini par m’avouer le nom de la chienne au terme d’un pari, et malgré le fait que l’animal ait confiance en moi, c’est Alexy qu’elle protégera quoi qu’il arrive. Nuit d’encre a mis longtemps à supporter sa présence pourtant, mais n’est jamais partie, même quand nous lui avons ouvert la porte à la fin de sa guérison, résolue malgré son apparente agressivité pour nous.
Je n’aime pas demander l’autorisation. Au début, quand j’étais sous la surveillance étroite d’Allen, j’ai failli me trahir tellement cela me faisait bouillir. Mais j’en connais la raison : permission veut dire qu’on t’empêche de grimper au sommet par les derniers moyens possibles parce qu’on a peur de toi. Cela s’est confirmé avec l’agent de l’Organisation. Pour Alexy, ce n’est pas la même chose : elle est peut-être terrifiée à l’idée que je la touche, mais ce n’a pas pour but de m’empêcher de prendre le pouvoir. Si je passe outre et force le passage, cela ne m’apportera rien à part de régresser avec elle, et d’habitude, quand je prends par la force, c’est pour gagner un échelon.
Alors, différente situation, différente manière de s’adapter.
Je toque à la vitre. Son regard se trouble, pour regarder derrière moi si Allen ne me suit pas. Constatant que je suis seul, elle hoche la tête, invitation à entrer.
Je m’installe à ma place habituelle, sur la banquette où j’ai fait semblant de me réveiller, enchaîné, la première fois que nos regards se sont croisés. Aujourd’hui je suis libre, et de nous deux, elle semble être la prisonnière.
Prisonnière d’elle-même.
- Je ne peux pas y aller, se confie-t-elle immédiatement.
Ce n’est pas la première fois que je viens après elle pour comprendre le problème et l’aider face à Allen, même si je viens d’assurer à ce dernier que je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour la convaincre.
- Pourquoi ?
La franchise est devenue de mise entre nous, raison pour laquelle je ne passe pas par quatre chemins pour lui poser ma question. A l’inverse, elle me regarde sans me cacher qu’elle ne peut répondre honnêtement à cette question. A la place, sans me révéler son faux passé dans les Résidences, elle m’explique son ressenti dans une demi-vérité :
- Si nous retournons là-bas – premier lapsus, car elle n’est pas censée y être déjà allée, mais je me garde bien de le relever -, ils nous retrouveront.
Je la sonde. Qu’est-ce qui la bloque ? Parce que ce n’est clairement pas la peur, je n’en perçois aucune. Je décide de lui poser tout simplement la question, pour la laisser le figurer par elle-même, elle qui est si douée avec le décryptage.
- Tu as peur ?
- Non, répond-t-elle automatiquement, sans une hésitation. C’est vrai, s’empresse-t-elle d’ajouter, comme si j’allais douter de sa parole. Je veux défaire le Gouvernement, détruire tout ce qu’ils ont construit, et révéler…
Elle s’arrête, mais je devine cette fin qu’elle ne peut prononcer : et révéler mon existence.
- Mais même si je n’ai pas peur, ça ne m’empêche pas de penser à ce qui arrivera quand ils nous rattraperont. Tu ne peux pas me dire que tu tiens vraiment à en affronter les conséquences ?
Elle pense à son enfermement, je le sais.
Je le vois dans ses yeux de nuage, sillonnés de traces argentées représentant la pluie qui l’inonde.
Et c’est maintenant à moi de prendre la parole, pour tenir ma promesse à Allen et enfin passer à la seconde étape de mon plan, soit quoi que ce soit de concret.
- Oui, je pense que je suis prêt.
Je glisse de la banquette, pour donner plus de poids à mes paroles en me mettant à son niveau, tout autant que parce que j’en ressens le besoin. Nuit d’encre relève à peine la tête, couchée à côté d’Alexy, persuadée qu’elle peut me faire confiance. Comment fais-je pour tromper même les sens aiguisés d’un animal, eux qui ne se laissent pourtant pas prendre par de tels mensonges émotionnels.
- Je suis en cavale depuis trois ans maintenant parce que je suis en désaccord avec le Nouveau Système. Au départ, je pensais que cela allait me suffire, que vivre seul loin d’eux pourrait me combler. Et à présent que je suis tombé sur vous, je ne peux m’empêcher de penser que ce n’est pas vraiment une vie. Ne jamais rencontrer personne, ne plus jamais avoir de relations avec qui que ce soit, et ce pendant encore des dizaines d’années ?! Je te retourne la question, Alexy : es-tu prête à affronter les conséquences d’un tel choix ?
- Se faire enfermer par la DFAO est mille fois pire, me murmure-t-elle comme si elle avait peur d’être entendue.
- Vraiment ? tt je sais que je m’aventure sur un terrain dangereux. Je veux dire, en continuant ainsi, tu sais ce qui t’attend, et tu prends tout de même le risque de te faire rattraper, quoi que tu en dises. Tu ne pourras pas fuir pour l’éternité. En allant à Paris, en suivant Allen dans ce plan insensé, le risque est toujours présent, cela ne change pas. Mais si nous réussissons, la suite sera peut-être au-delà de toutes nos espérances.
Je réalise que je suis en train de la convaincre de la même manière que je me suis moi-même convaincu d’entrer dans la DFAO. Rester à Chicago avec mon géniteur, subir cette vie dont je connaissais la fin autant que le début. Ou affronter tout autant de difficultés mais m’offrir la possibilité d’un meilleur futur en la traquant grâce à notre division. Fera-t-elle le même choix que moi ?
Elle me dévisage, si intensément que j’ai soudain peur qu’elle puisse m’avoir percé à jour, mais je soutiens son regard. C’est me détourner qui me trahirait.
Je sais ce qu’elle cherche dans mes yeux, qu’elle regarde de manière équivalente alors que personne, pas même Willer, n’a jamais osé affronter ma pupille blanche et nue. Elle ne sait même pas ce qu’elle m’a infligé, elle ne s’en rappelle même pas. Et plusieurs années après, c’est mon visage qu’elle fouille en quête d’assurance qu’elle s’apprête à prendre la bonne décision. Elle ne veut pas de réconfort, ou même de pitié. Elle n’en a pas besoin, ce qu’elle veut c’est ne pas se tromper encore une fois, et, oh, combien je la comprends !
- Est-ce que tu peux me promettre que tout ceci est réel ?
Je sais à quoi elle pense, et cela me fait l’effet d’être percuté par un camion.
Elle, la femme qui partirait à la dérive sans un ancrage, elle qui ne considère quelque chose réel uniquement si elle peut le comprendre.
Est-ce que tu peux me promettre que tu me comprends ?
Est-ce que tu peux me promettre que tu ne me mens pas ?
Bien sûr que je mens. Je ne fais que ça depuis que deux semaines. Ou peut-être pas. Peut-être qu’une part de tout ceci est vrai, peut-être que quelque part, je suis sincère sur certaines choses.
Et c’est ce qui rend mon mensonge suivant à la limite du supportable, mais supportable tout de même :
- Tout ceci est réel.

Annotations

Vous aimez lire diye99 ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0