Chapitre 12 - ALEXY

8 minutes de lecture

le 01/04/2020 et le 03/04/2020 & le 14/02/2022

Tout est si similaire et en même temps si différent.
Comme la première fois, je ne vois pas le temps passer, je n'ai aucun moyen de le mesurer, et comme la première fois, le noir envahi mes sens jusqu'à faire partie de moi.
Cependant, aujourd’hui, la peur me maintient en alerte quand avant elle me pétrifiait. Mon sang se glace à la simple idée qu'ils découvrent ce qu’elle a fait, mais j’essaye de me rationaliser en me disant que dans tous les cas je n’ai plus aucun prise sur ce qui se passe. Le plus de temps je reste ici, le plus je finis par me sentir en sécurité, car tant qu’ils ne viennent pas me chercher cela signifie qu’ils n’ont rien découvert.
A moins que l’homme, le capitaine, ne le leur dise. Mais à force de réfléchir, j’en ai conclu qu’ils l’avaient probablement plongé en coma artificiel pour guérir sa blessure plus vite dans une capsule de soin, et il est donc pour le moment incapable de révéler quoi que ce soit à qui que ce soit. Du moins je prie pour que ce soit le cas, même si ça ne fait que retarder l’inévitable. Un jour ou l’autre, je serai démasquée, mais mieux vaut plus tard que maintenant.
Lorsque la lumière s’allume enfin, je ne saurais dire si j'ai passé plus de temps dans ma cellule cette fois que la dernière, mais je peux affirmer que je n'en ressors pas du tout dans le même état d'esprit. Je l'avais quittée brisée, soutenue par deux soldats parce que je ne pouvais même pas marcher, je franchis aujourd’hui la porte dans le même état physique en apparence, mais à l’intérieur je suis plus éveillée que je ne l’ai jamais été depuis mon arrivée ici. Je perçois comme de la crainte dans les regards que les gardes me lancent, mais cette affirmation me semble trop avancée pour que j'ose la formuler véritablement dans mon esprit. Ce n’est qu’un pressentiment, car leurs positions et leurs expressions faciales sont toujours aussi impartiales. Cela signifierait qu'ils ont peur de moi à cause de ce que j’ai fait – en admettant que c’était bien moi – et ce n’est pas une possibilité qui me réjouit vraiment.
Pour me rassurer, je me dis que je suis peut-être douée pour décrypter les visages, mais chaque personne interprète et analyse la situation différemment selon son éducation, ses moeurs, les règles auxquelles il est soumis, et ça, c'est bien une des seules choses que je ne peux pas prévoir avec exactitude. Peut-être que cet éclat dans leurs yeux n’a rien à voir avec de la peur, et peut-être que si c’en est, cela n’a rien à voir avec moi.
Je ne veux pas être ce genre de personne. Je veux être libérée en tant qu’individu normal, parce que je me serai bien comportée et parce qu’ils auront enfin compris qu’ils ne pourront rien tirer de moi. Je veux retourner à ma vie pacifiste et sans histoire, redevenir invisible.
Pour l’instant, le capitaine n'est toujours pas là, et surtout ce ne sont plus deux gardes qui m'encadrent mais dix, disposés tout autour de moi. Je suis la première horrifiée de mes actes, mais ce sont des soldats, et cela indique simplement qu’ils ont peur de me perdre, et non pas peur de moi en soit pour le danger que je représente… si ?
En arrière plan, je sens une légère vague de bonheur inonder mon subconscient. Depuis son apparition, je suis bien plus consciente de la présence qui m’habite, ou alors c’est un effet de mon imagination justement parce que c’est ce que je redoute. Quoi qu’il en soit, je n’ai absolument pas le sentiment d’être aux commandes, comme si la situation pouvait basculer à tout moment. Voilà pourquoi je dois rester… je dois rester quoi ?
- Vous êtes donc tellement insensibles ? Qu'ont-ils fait de vous pour que vous soyez si froids, si aveugles ? Comment pouvez-vous cautionner ce qu'ils me font subir ? Comment pouvez-vous ne pas frémir devant ce qu'ils vont encore me faire subir ?
A qui appartient cette voix qui résonne entre les murs du couloir ? Qui vient de parler ? D’habitude, les soldats gardent un silence religieux, sauf pour me menacer comme la dernière fois. Et puis je fais le lien avec cette sensation d’engourdissement familière et je comprends que c’est l’autre Alexy qui fait sa réapparition. C’est étrange, maintenant que je m’en rends compte, c’est comme si deux consciences luttaient à l’intérieur de moi, mais pas forcément en tant que deux ennemies. C’est plus comme si aucune ne voulait céder du terrain car chacune est persuadée d’avoir raison.
- Et encore, s'il ne s'agissait que de moi! Mais il y en a d'autres, tellement d'autres, enfermés dans ces cellules comme des moins-que-rien, comme s'ils n'étaient même pas vivants! Vous n'entendez donc pas ces gémissements qui ne ressemblent même plus à une voix humaine ? Ne vous brisent-ils pas le coeur ? Comment peut-on oser assister à une telle horreur sans même lever le petit doigt pour l'arrêter ? en profite pour continuer mon double tandis que je suis occupée à l’analyser.
Je dois arrêter ça. Maintenant, et pas plus tard. Chaque parole de plus leur donne de nouvelles raisons de penser que je suis toujours une dangereuse rebelle.
- Mais le pire, c'est que je ne ressens que de la pitié pour vous. La pitié la plus profonde. Vous ne vous rendez même pas compte que vous êtes manipulés vous aussi. Vous ne vous rendez même pas compte que vous n'êtes que des objets pour eux.
Je devrais intervenir, mais je suis comme dépouillée de toute volonté. Ces paroles sont si justes ! Je suis convaincue que tous ces soldats ne peuvent pas être aussi insensibles qu’ils le prétendent. On les a forcément manipulés et conditionnés, ce qui ne fait d’eux que d’autres victimes dans cette histoire. Je suis subjuguée.
- Ils vous utilisent, et ils vous jetteront dans ces cellules que vous gardez dès le moment où ils n'auront plus besoin de vous. Et ce moment pourrait bien arriver plus vite que prévu. Ils vous attendent peut-être au prochain tournant, mais vous êtes trop bornés pour réagir. Je ne vous imaginais pas si bêtes, si aveugles. Je pensais que vous étiez au moins forcés, mais non. Vous êtes simplement persuadés de faire votre devoir alors que vous ne faites que combattre votre propre espèce. Vous ne voyez donc pas que je suis votre rêve, la solution à votre équation ?!
Brusque retour à la réalité. Mais à quoi je pensais ? Rien de tout ceci n’est juste ! Je ne suis la solution de personne, plus maintenant, et certainement pas la leur. Ces derniers mots ne sont que mensonges, mensonges éhontés, même si je ne sais pas dans quel but exactement.
- Je suis votre… hurle l’autre Alexy, mais j’ai déjà repris le contrôle, coupant court à sa tirade.
De toute manière, ils sont comme endormis, leurs oreilles bouchées au moins autant que leurs yeux sont bandés.
Je me demande une énième fois ce qu'ils ont bien pu leur faire pour effacer leurs dernières traces d'humanité... et d'intelligence. Ils ne semblent plus réfléchir par eux-mêmes, comme s'ils n'étaient capables que d'exécuter les ordres à présent. Et mon impression semble se confirmer lorsque je me remémore leur manifeste incapacité de décision, lors de mon évasion ratée. Ils ne sont pas préparés à ce genre de situation où ils doivent faire leurs propres choix, et c'est exactement pour cette raison qu'ils ont peut-être si peur de moi en ce moment. Parce qu'ils sont sûrement en train de se demander ce qu'ils devront faire si je tente de m'échapper à nouveau.
Ce qui n’arrivera pas ! Je sais que ces pensées ne sont dictées que par mon autre conscience qui essaye tant bien que mal de m’influencer dans une mauvaise direction, mais à partir d'aujourd'hui, je compte bien redevenir le robot obéissant qu'ils veulent que je sois et gagner ma liberté.

***

Docile, je laisse donc les dix soldats me conduire vers la même alvéole que la dernière fois, puis me diriger non pas vers la salle SV06, mais celle marquée SV18. Mon coeur s'accélère.
Qu'est-ce qui peut bien se cacher derrière cette porte-ci ?
Mes gardiens prennent grand soin de ne pas me lâcher d'une semelle : tandis que le plus avancé toque trois fois à la porte, toutefois sans me quitter des yeux, les autres ne desserrent pas leur formation et esquissent même un mouvement pour me saisir le bras, mais semblent finalement juger cette précaution inutile.
Mais quand j’imagine leurs doigts m’empoigner, je me souviens de la tenue dans laquelle je me trouve et ma honte revient à la charge : les mauvaises habitudes ne partent pas si facilement.
La porte s'ouvre et on me pousse à l'intérieur avant de la claquer derrière moi. J'ai l'impression de revivre la même scène. Tout se passe exactement à l’identique, à cette différence près que ce n'est plus le même homme qui m'accueille dans la salle. Je devine sa présence derrière mon dos, mais quelque chose en moi me retient de me retourner, comme si ne pas voir son visage pouvait effacer le tourbillon de sentiments qui entrent en collision dans mon coeur.
Je me surprends à m'étonner du contenu de la pièce : pourquoi disposer, dans une pièce à part, une table d'opération presque identique à celle de la salle 6, et un plateau contenant à première vue les mêmes instruments ? Je remarque également une armoire contre le mur droit, dont les battants s'écartent légèrement sans pour autant me laisser en deviner le contenu.
Je suis distraite dans mes observations par l’inconnu qui s'avance pour me dépasser. Mes yeux ne peuvent que se poser sur son dos athlétique. Il semble représenter physiquement le contraire même du capitaine qui l'a précédé : fin, grand, tout en muscles et en force, les cheveux bruns et presque aussi bouclés que les miens. Pourtant, il porte le même costume cravate, et il carre les épaules avec la même suffisance transpirante, qui démontre leur ressemblance mentale. Tous deux sont taillés pour faire souffrir.
Toujours dos à moi, il commence à parler :
- Ce que vous avez fait au capitaine Willer a fait le tour de notre petit monde.
Sa voix sonne à mes oreilles comme la voix d’un traître, me mettant immédiatement en alerte : douce, mielleuse, chaude, rassurante... Si ce n’était pour mes sens aiguisés, je serais tombée dans le piège.
- Vous devez sûrement avoir déjà remarqué que les mesures vous concernant ont été renforcées. Sachez cependant que je ne suis pas comme celui qui m'a précédé à cette place. Il prônait la méthode brutale et directe, mais je veux vous laisser encore une chance. Je pense que vous n’avez pas bien saisi ce que nous vous offrons. Avec nous, vous pouvez tout recommencer, Alexy. Je peux vous assurer que vous avez tout à gagner à nous faire confiance. Pourquoi résister quand dans tous les cas, vous perdrez un jour où l'autre ? Autant céder tout de suite et accéder à ce bonheur que nous seuls pouvons vous procurer. Parce que si vous acceptez, vous pourrez tout recommencer comme avant. Nous avons ce pouvoir. Celui de vous faire tout oublier, au sens propre, et de vous transformer en ce dont vous rêvez depuis votre plus jeune âge. Vous pouvez encore être normale.
Je commence vaguement à apercevoir ce qu'il tente de me faire comprendre mais... non, c'est trop absurde pour être vrai. Ils ne feront pas ça, c'est ridicule. Ils ne le peuvent pas.
Pourtant, il confirme mes espoirs les plus fous en se retournant pour m'annoncer :
- Si vous acceptez, je jure que nous mettrons tout en oeuvre pour mener à bien l'opération qui vous transformera physiquement en homme.

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