Les murailles du diable

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D’un pas alerte, un homme sillonna les couloirs et autre vastes pièces. Ses solerets claquaient sur les parquets et sols de pierres. Sur son passages, il faisait signe aux gardes de le laisser passer. Il portait une armure parsemée de boue, enfoncée par endroits. Il avait une longue barbe bien taillée, et sur son visage, une longue balafre creusait un sillon du front au menton, laissant un œil complètement blanc. Il s’arrêta devant une grande porte où deux gardes fermèrent le passage avec leurs lances.

- Le seigneur ne reçoit pas aujourd’hui, monsieur. Dit l’un d’eux, la voix rocailleuse et tremblante.

Le chevalier cracha au sol et s’avança d’un pas.

- Déguerpissez de là, où vous servirez de repas aux chiens !

Les deux soldats se regardèrent un instant puis relevèrent leurs lances en laissant le passage libre. Le chevalier ouvrit sèchement les portes et s’avança jusque dans la pièce. Celle-ci était vaste, une grande table remplie de parchemins en tous genres, une immense cheminée venait réchauffer un homme allongé sur un magnifique canapé de velours. Ce-dernier se redressa et jeta un œil sur l’intrusion du visiteur.

- Avance, Sieber, j’espère que tu as une bonne nouvelle, sinon tu peux ressortir ! ordonna le seigneur en faisant signe à une jeune femme assise devant lui.

Celle-ci ne se fit pas prier, enveloppa sa nudité dans sa cape et sortit en courant. Sieber s’avança et fit face à son seigneur. Il posa sa main sur le cœur et baissa la tête. Il sortit, ensuite, une sacoche cachée dans sa cape et la jeta sur la table basse, ricana un instant puis jeta également une longue épée au pommeau richement ciselé. Le seigneur se leva, un sourire narquois aux lèvres et fixa son fidèle dans les yeux. Il passa sa main sur son long bouc et se mit à rire.

- Est-il…

- Mort, oui ! coupa Sieber. Aussi froid que la glace et aussi dur que la pierre.

- Qui ? Où ?

- J’ai de bons archers. Il nous a tendu un piège dans la grande plaine à l’orée de la forêt maudite. Mais j’avais posté des pisteurs, bien camouflés aux quatre coins. Et après avoir pulvérisé son armée, nous l’avons pourchassé jusque dans la montagne bleue.

- La montagne bleue ? Qu’avait-il en tête ?

- A vrai dire, je n’en sais rien, Arkama !

Ce dernier ouvrit la sacoche et en sortit quelques parchemins. Il les regarda longuement tout en prenant place dans son canapé. Sieber s’accouda à la cheminée, attendant les ordres qui allaient suivre. Son seigneur passait d’une missive à l’autre, parfois en faisant la grimace et d’autres en souriant.

- Sieber, susurra-t-il. Dites-m’en plus !

- Il s’est traîné, laissant des traces bien rouges dans la neige. Mes chiens nous ont conduits directement dans une masure délabrée, et, bien qu’une tempête nous empêchait d’avancer, ils n’ont pas eut de mal à le retrouver. Ils avaient faim… J’ai dû tuer trois de mes gardes pour les nourrir. Seigneur, je ne vous ramène pas sa tête, mais un trophée !

- Cela ne me dit pas pourquoi il s’est aventuré dans ces terres ?

- Les aboiements de mes chiens l’y ont persuadé ?

- Non, Roland est bien trop malin, il devait avoir un dessein que l’on ignore ! Nous partirons au levé du soleil, faite préparer mon attelage et cirer ma cuirasse.

- Bien Seigneur, ce sera fait selon vos désirs !

Sieber s’inclina et sortit prestement. Après avoir parcouru les couloirs, il se rendit directement dans les écuries. Il s’arrêta, un instant devant le box de son étalon, qui était dans un état grave, puis retourna voir le palefrenier.

- A-t-il une chance ? lui demanda-t-il sans aucune émotion.

- Sire, je crains que son état ne soit critique. Bien que les onguents fassent des miracles, il a reçu de nombreuses flèches.

Sieber leva les yeux vers le ciel, puis soupira fortement.

- Bien, abattez-le ! Puis faites-le rôtir convenablement !

- Mais… Sir, il n’est pas condamné !

- Ne discute pas mes ordres. Affirma-t-il en le tenant par le col. Sinon, c’est toi que je donnerai en pâture à mes chiens.

Le palefrenier acquiesça nerveusement avant d’être reposé au sol. Sieber le poussa, le faisant tomber dans le monticule de crottin.

Dans les grands appartements, Arkama faisait les cents pas, lisant et relisant chacun des manuscrits. Il en déposa trois sur le côté et se présenta devant les flammes de sa cheminée. Il réfléchit un instant puis les enroula avant d’ouvrir une porte dissimulée derrière un énorme buffet. Là, des escaliers descendaient dans un couloir étroit, froid et humide. Il saisit une torche, l’alluma et dévala les marches d’un pas rapide. Arrivé en bas, il décrocha une longue clef puis ouvrit la lourde porte en bois. L’odeur qui y régnait était pestilentielle, des bruits de chaînes résonnaient, et de longs filets d’eau s’écoulaient le long des murs. Arkama fit un sourire narquois puis s’avança jusque devant une chaise plantée en plein milieu d’amas d’immondices. Un vieillard portant une longue barbe, amaigri, maintenu par des chaînes releva les yeux. Tout autour de lui, des pieux en fer acérés l’encerclaient de toutes parts. Un mouvement, et il pouvait en être perforé. Le supplicié grogna en voyant son bourreau accrocher sa longue torche au mur.

- Je vous ai déjà tout dit, Arkama. Fit le vieil homme. Alors, finissons-en, tuez-moi, jetez-moi en pâture à vos êtres diaboliques !

- Pas encore, Fergus. Répondit le seigneur, avec un sourire intéressé.

- Que me voulez-vous, encore ? N’ai-je pas répondu à toutes vos requêtes ?

- Il y en a une, sur laquelle j’ai besoin d’éclaircissement.

Arkama fit le tour du trône des tortures, ajustant les pointes vers le corps décharné, puis prit une grande inspiration et se pencha sur l’oreille du vieillard.

- Que représente la montagne bleue pour vous, vous les exécrables mages de pacotille ?

Le vieil homme tourna la tête, se refusant de répondre. Alors, Arkama appuya légèrement sur une pédale, et les pointes se rapprochèrent de la peau déjà bien trop affligée. Fergus lâcha un cri étouffé de souffrance. Une larme perla le long de sa joue, et il geint tout en retenant son esprit. Car il savait que son tortionnaire allait lui sonder les moindres parties de son âme. Il se rappela ces temps, où il était le plus vénéré des mages, mais en ce jour, il était à la merci d’un seigneur avide de pouvoir. Et bien qu’Arkama appuie encore sur la pédale, laissant ces pointes lui perforer la chair, Fergus refusait de répondre.

- Parles, pauvre vieux fou ! ordonna-t-il. Parles, ou je te ferais souffrir jusque dans ton dernier souffle. Et crois-moi, ce sera long, douloureux, et ensuite je m’en prendrai aux tiens.

Fergus laissa tomber sa tête sur l’un des pieux, espérant peut-être une fin rapide, mais Arkama veillait.

- Je te tiendrai en vie, jusqu’à ce que tu me donnes tout ce dont je veux savoir.

- Ils vous retrouveront ! souffla le pauvre homme. Ils vous retrouveront tous et vous détruiront.

- Qu’est cette montagne bleue, Fergus ! hurla Arkama. Roland s’en est rendu et en a trouvé la mort ! Alors, que voulait-il y trouver ?

Contre toute attente, le mage se mit à rire à plein poumon. Qu’importe son sort, Roland avait relié la montagne aux mages, traversant les esprits fous qui y régnaient. Arkama le frappa de son poing, encore et encore, il voulait savoir.

- Que celui qui en trouve l’apogée de sa vie au cœur de la montagne mère, sera délivré de toute souffrance ! répondit-il avec véhémence.

Fergus fit face à son tortionnaire et plongea son regard dans le sien tout en criant :

- Roland n’est plus, et pourtant, il sera votre défaite. Car celui qui a mis son âme entre les mains de la reine bleue, deviendra bien plus fort que tous.

- Qu’est-ce que tu me raconte ? Son corps a été retrouvé aussi froid que la glace, et aussi dure que la pierre. Roland n’est plus et c’est moi qui détiens son arme ainsi que les parchemins. Tu m’entends vieux fou ? Je vais renverser Tarcille, et me couronnerai roi !

- Jamais personne n’a pu tuer un mort, Arkama, personne. Roland a donné sa vie à la montagne bleue, et de ce fait, il en reçoit les pouvoirs les plus puissants.

Fergus afficha un large sourire, détournant son regard, espérant voir une lumière libératrice.

- En ce jour, je peux mourir en paix, car il est là, il sera partout, il parlera avec les anciens, lèvera des armées de guerriers défunts, celui par qui les mages s’élèveront plus haut que le ciel. Il réveillera nos ancêtres, les farouches et vous détruiront, tous, jusqu’aux derniers ! Il a donné sa vie à la montagne bleue. Que la paix atteigne mon âme, afin que je puisse revenir dans ses rangs, parmi les miens…

Arkama leva sa dague et la plaça sur la gorge du vieillard.

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