Chapitre 53 : la sentence - (1/2)

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La mise à mort de Biluan eut lieu le lendemain de la sortie de Deirane de l’infirmerie. Néanmoins, elle n’y assista pas. Elle ignora ce qui lui avait été infligé. Mais elle entendit ses hurlements. Deux jours plus tard, quand Dursun fut en état de quitter sa chambre, Chenlow vint chercher les deux jeunes femmes.

— Que se passe-t-il ? demanda Deirane.

— Vous êtes convoqué devant Brun, annonça-t-il.

Même si Dursun allait mieux, le bandage qui lui couvrait le crâne lui donnait un air fragile. En tout cas, elle semblait aussi alerte qu’avant. Elle avait la démarche bien ferme quand elle emboîta le pas au chef des eunuques.

Dehors, devant la chambre, les attendaient deux gardes du palais. Ils étaient destinés à les escorter jusqu’à leur roi.

— Brun fait les choses de façon officielle, remarqua Dursun.

— Oui et non. Ce que vous avez réalisé ne serait pas pour déplaire à Brun. En plus, Biluan était devenu nuisible. Mais il est quand même obligé de sévir. Ne serait-ce que pour calmer la famille de Biluan.

— La famille de Biluan ! s’écria Deirane. J’ignorai qu’il en avait une.

— Tout le monde en a une. Il a une femme et quatre enfants, répondit Chenlow.

— Et que va-t-il nous faire ? demanda Dursun.

— Comme dame Orellide te connaît bien, il s’est entretenu avec elle pour trouver une punition adéquate. Et ce qu’on a imaginé devrait satisfaire pas mal de gens.

La pièce où Brun les reçut était une salle d’audience. Brun s’en servait entre autres pour rendre la justice, quand l’importance d’une des deux parties nécessitait son intervention. Mais elle était d’usage plus général, chaque fois que des représentations devaient avoir lieu en public. La chambre donnait sur la galerie de marbre, toute personne pouvait y entrer sans autorisation. Toutefois, en raison de la présence du roi, les gardes rouges fouillaient tous les spectateurs.

Sur une longue estrade se tenaient trois trônes. Mais il était possible de mettre beaucoup de sièges. Face à eux, trois rangées de chaises étaient disposées en escalier, remontant légèrement vers la porte pour que tout le monde pût voir la scène. L’endroit ressemblait à un petit théâtre et il jouait parfois cette fonction. Mais ce n’était pas le cas aujourd’hui.

Brun était assis sur le trône central entre Dayan à sa droite et Orellide. Sur le banc face à eux, un groupe de personnes inconnues de Deirane occupait la partie gauche de la salle. Et de l’autre côté, elle vit Nëjya et Naim qui les attendaient. Elle localisa également Pers, le domestique d’Orellide, qui s’était placé discrètement au tout dernier rang. De même que Loumäi. Elle avait pour une fois déserté ses tâches. Elle s’était installée à côté du vieil eunuque. Logique, les événements qui allaient se jouer ici étaient aussi critiques pour elle que pour Deirane.

Le reste n’était que badauds désœuvrés qui venaient assister au spectacle. Deirane prit place à côté de ses amies. Dursun alla s’asseoir contre Nëjya. Les deux femmes s’étaient manquées. Elles échangèrent un baiser rapide. Elles auraient bien voulu faire plus, mais en public, surtout face à Brun, elles n’osaient pas. Elles ne savaient pas comment il prendrait la chose. Quoique, l’Yriani estimait que s’il était seul avec elles, il éprouverait du plaisir à les regarder s’en donner mutuellement. Elle examina le petit groupe d’inconnu. Certainement la famille de Biluan. Son épouse semblait encore jeune. Elle était belle aussi. L’avait-il choisi parmi ses esclaves ? Où était-elle une femme libre fille de notable ? En tout cas, elle avait une allure fière. Les enfants : l’aîné avait l’âge de Deirane, ou un peu plus. Et la dernière n’avait guère plus de deux ans. Elle en vit deux autres entre eux. Pour montrer leur importance au sein de la cité, ils avaient revêtu leurs plus beaux atours, contrairement à Brun et son ministre qui avaient une mise plus simple conformément à leurs habitudes. Elle regarda ensuite Orellide qui lui envoya un sourire rassurant.

Brun dressa le bras pour intimer le silence. Aussitôt, le brouhaha, jamais très fort devant le roi, cessa. De la main, il désigna Deirane qui se leva comme le commandait le protocole. Elle s’inclina.

— Je vous prie de recevoir mes humbles salutations, Seigneur Lumineux, mille fois béni des dieux.

— Nous sommes très honorés, concubine Serlen.

Puis il s’adressa à l’assistance.

— Vous savez pourquoi nous sommes là ? demanda-t-il.

— L’agression dont nous avons été victimes, mes amies et moi, Seigneur Lumineux, répondit Deirane.

— En effet. Nous sommes réunis ici en raison de l’intrusion d’un étranger au harem à l’intérieur d’une zone où nul homme entier n’est admis sans mon autorisation.

Son regard se posa sur la femme de Biluan. Comme si elle n’attendait que cela, elle se leva.

— Seigneur Lumineux, mille fois béni des dieux, j’en appelle à votre justice, prononça-t-elle d’une voix qui tremblait un peu.

— Énonce ta requête, l’invita-t-il.

— Avant de la formuler, je voudrais éclaircir un point de procédure, si vous l’acceptez.

D’un geste de la main, le roi l’incita à continuer.

— Mon mari a été exécuté hier, pourquoi est-ce seulement aujourd’hui que son jugement a lieu ?

— Ce n’est pas un jugement, répondit Brun. L’intrusion dans un harem sans notre accord, quelle qu’en soit la raison, est un crime de lèse-majesté qui ne nécessite aucune présentation devant une cour de justice. Le choix de son sort me revient entièrement. Par égard pour les services rendus, nous lui avons évité une mise à mort ignominieuse dans l’arène. Mais après un tel crime, il ne pouvait plus vivre. Aujourd’hui, nous sommes réunis pour que nous vous annoncions les décisions que nous avons prises à la suite de cette agression. As-tu une autre question ?

— Non, Seigneur lumineux.

— Dans ce cas, tu peux exprimer ta requête.

Elle déglutit avant d’oser parler.

— Mon mari est mort, victime d’un complot. Et c’est elle qui l’a ourdi.

Du bras, elle désigna Deirane.

— Concubine Serlen, ce qui dit cette femme est-il vrai ?

— Seigneur Lumineux, commença-t-elle, je…

Mais surprise par l’attaque directe, elle ne put continuer. Heureusement, Dursun prit le relais.

— Seigneur Lumineux, répondit-elle, en venant ce matin, j’ignorai que nous passerions en jugement. Je n’ai pas pu préparer ma défense.

— Novice Dursun, toi et Serlen n’avez pas de défense à présenter parce que vous n’êtes accusées de rien. Vous êtes les victimes, intervint Dayan.

Deirane se détendit.

— Pourtant, cette femme profère des accusations contre nous.

— Elle peut dire ce qu’elle veut. Cette assemblée a pour but d’éclaircir et de juger la présence d’un intrus dans le harem. Si elle désire porter plainte, c’est son droit, mais il n’est pas à l’ordre du jour de la traiter.

Après cet intermède, Dayan s’appuya contre son dossier. Dursun en profita pour se rasseoir, imitée peu après par Deirane. Après tout, sa grossesse était maintenant officielle. Elle n’était pas censée se comporter comme ces Sangärens que l’on disait capables de chevaucher jusqu’au terme, une légende qu’elle soupçonnait d’être exagérée pour magnifier la supériorité des Sangärens sur les autres nations.

— Nous ne sommes pas ici pour juger une affaire, répéta Brun, mais pour annoncer la décision que j’ai prise concernant cette affaire.

Il posa sur Deirane un regard qui fit penser à un rapace qui observe une souris.

— Concubine Serlen, tu portes maintenant notre enfant. Tu ne peux plus rester parmi les novices. Dans trois douzains, tu déménageras dans une chambre libre.

— C’est un grand honneur que m’accorde le seigneur lumineux, répondit Deirane.

— Ce n’est pas un honneur. Toute femme présente dans ce harem que nous connaissons devient automatiquement concubine. Nous n’avions juste pas eu l’occasion de l’officialiser.

Deirane hocha la tête. Elle n’était plus chanceuse depuis quelque temps. Pourquoi ne l’annonçait-il que maintenant ?

— Puis-je poser une question ?

D’un geste de la main, il l’invita.

— J’aurais dû intégrer les quartiers des concubines depuis plusieurs douzains déjà. Mais ce n’est toujours pas fait. Et il reste encore trois semaines avant que je déménage. Pourquoi un tel délai ? Pourquoi pas maintenant ?

— Tu es pressée, jeune femme. Nous aimons ça. La suite que nous t’avons attribuée est située au quatrième étage de l’aile sud-est. Cet étage n’a jamais été utilisé, il n’est pas aménagé. Il faut laisser aux ouvriers le temps d’accomplir leur tâche.

— Dans ce cas, pourquoi cette chambre précise, Seigneur Lumineux ? Il s’en trouve des libres dans le harem.

— Parce qu’aucune d’elle ne jouxte nos appartements.

Le sourire que lui renvoya Orellide était éclatant. Toute l’aile sud-est pouvait accéder simplement au bâtiment qui abritait la suite royale. Deirane venait de monter en grade. Elle essaya de se remémorer qui logeait dans la zone en question. Le rez-de-chaussée hébergeait quelques artistes qui participaient à la renommée du harem. Le premier étage était le domaine de Lætitia et sa faction. Le deuxième, qui donnait sur les quartiers de Jevin était occupé par des concubines non affilées. C’est là que la chambre de Nëjya se situait. Mais elle n’arrivait pas à se souvenir qui vivait au troisième. En fait, elle avait l’impression qu’il était vide également. Or, les deux derniers niveaux communiquaient directement avec les appartements de Brun. Elle se demanda s’il ne les avait pas laissés volontairement vacants, peut-être pour éviter de favoriser qui que ce soit. Ceci, autant que le fait qu’il aménage un étage inoccupé plutôt que de l’installer dans l’une des suites restantes de la zone montraient qu’il avait en plus des projets pour elle.

— Concubine Serlen, reprit le roi, je vais maintenant annoncer notre décision.

La femme de Biluan blêmit. Elle avait remarqué le changement de titre de Deirane. Elle en avait tiré les conséquences.

— Le marchand Biluan s’est introduit illégalement dans le harem. Il a torturé une concubine et en a gravement blessé une autre. En conséquence, tous ses biens sont confisqués. Ils seront confiés aux deux victimes de son agression qui en seront propriétaires dans la proportion de trois parts pour la concubine Serlen et d’une pour la chanceuse Dursun.

Deirane regarda Dursun qui lui envoya un sourire de victoire.

— Mais seigneur, s’écria la femme, que vais-je devenir si vous me prenez toute ma fortune.

— Vos possessions restent à vous, seules celles du marchand Biluan sont concernées.

— Je ne possède rien. Tout appartenait à mon époux.

— Alors, peut-être parviendras-tu à un accord avec les nouveaux propriétaires de ta maison.

Elle comprit le message entre les lignes. Un tel accord ne se réaliserait que si elle ne portait pas d’accusations contre Deirane. Tout espoir de voir la mort de son mari vengée venait de s’envoler.

Orellide se pencha contre son fils et lui murmura quelque chose à l’oreille. Ce qu’elle lui dit dut lui plaire, au fur et à mesure de ses paroles, son visage s’éclairait d’un sourire mauvais.

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