Une visite urbaine

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Le sol crisse sous nos pas, Jeanne pose sa main sur mon épaule, elle a dû perdre l'équilibre. Elle a dû glisser sur quelque chose, le sol est jonché de vieux dossiers et d'objets brûlés ici. Je l'entend pester à voix basse tandis que sa prise se resserrait sur ma clavicule.

- Mais qu'est-ce qu'on fait ici au juste ?

Je soupire... elle le sait très bien.

Mais d'un autre côté je devine le sous-entendu. L'Urbex c'est pas son truc. Je pince les lèvres et tourne mon regard vers elle à l'instant où la lumière du soleil tombe sur son visage, elle si est belle. Cependant je sens son inquiétude.

- Ne t'en fais pas, ça ne sera pas long promis, faut juste que j'aille un peu plus loin que la dernière fois, Manuel a planqué mon chapeau dans les bureaux.

- Et vous êtes allés jusqu'où la dernière fois ? Ils sont où les bureaux ?

- On s'est arrêté au couloir, y'avait de la surveillance et on a dû fuir. Les bureaux sont au bout du couloir, je lui répond en indiquant la porte entrebâillée au bout de la pièce.

- Du coup c'est la zone la plus dangereuse quoi, le feu s'est déclaré dans la salle de pause à côté des bureaux non ?

- Mais naan, dis pas ça y'a rien de dangereux, Manuel m'a dit que c'était juste un sol jonché d'archives brûlées, il y est allé pour planquer mon chapeau, y'a pas de danger t'inquiète, je lui répond pour la rassurer.

J'avance le regard fixé sur le sol pour éviter de trop abîmer les objets et dossiers qui traînent. Arrivé au niveau de la porte je pose la main sur la poignée et pousse la porte pour l'ouvrir, ce qui la fait bruyamment grincer.

- J'aime pas cet endroit, avoue Jeanne à voix basse.

Je pose ma main sur la sienne en espérant la rassurer et continue d'avancer dans le couloirs aux murs noircis par l'incendie. A droite comme à gauche se succèdent de nombreuses portes donnant sur des bureaux sombres au sol jonché de dossiers et aux étagères renversées. Pas de chapeau en vue pour l'instant.

Jeanne a lâché mon épaule, j'entend le bruit de ses pas sur le papier brûlé. Je crois qu'elle est à ma droite. Je tourne la tête et la vois entrer dans le bureau que nous venons de dépasser, je me retourne et recule jusqu'à l'encadrement de la porte :

- Qu'est-ce que tu fais ? je lance.

- Bah je cherche. Si tu restes dans le couloir sans rentrer dans aucun bureau alors que c'est là qu'il t'a dit de chercher on va pas avancer. Et plus vite on le retrouve plus vite on se barre d'ici, elle me répond comme si c'était une évidence.

Elle n'a pas tort. Je hoche la tête et m'éloigne pour explorer le bureau suivant. J'y retrouve toujours la même chose : des papiers brûlés, un pot à crayons, un bureau renversé, des meubles de rangement abîmés.

Ça ne m'avance toujours pas. Je passe au suivant sans rien y trouver de plus si ce n'est des babioles ayant appartenu à celui qui travaillait là avant l'accident et deux cadres photos montrant des enfants qui devaient être les siens.

Je passe à un autre, il est en moins mauvais état que le précédent, je contourne le bureau blanc sale et me penche pour regarder en dessous. Il est là !

Je me met à genoux et le ramasse pour le remettre sur ma tête. Je me relève et me dirige vers l'entrée du bureau en lançant :

- C'est bon je l'ai, t'as trouvé quelque chose d'intéressant ?

Pas de réponse.

Je fronce les sourcils et revient sur mes pas en regardant par les différents encadrement de porte dans l'espoir d'apercevoir Jeanne. Après avoir vérifié trois bureaux je la retrouve finalement où je l'avais laissé :

- Hé, ça va ? je demande, inquiet.

Jeanne ne bouge pas d'un cil, elle reste plantée là au milieu des décombres, le regard fixé sur un papier déplié, comme si elle le lisait. Au bout de son bras ballant, dans sa main gauche se trouve une enveloppe noircie par la cendre.

Je m'avance vers elle, intrigué, et pose ma main sur son épaule en jetant un coup d'oeil au papier. C'est une lettre.

- Elle raconte quoi ? je demande.

Jeanne sursaute et lève les yeux vers moi, ils brillent. On dirait qu'elle va pleurer. Je la dévisage, surpris et saisis ses épaules pour la tourner vers moi.

- Jeanne, j'insiste, ça va ?

- Il voulait lui dire, Oscar... Il... il a sûrement pas pu lui dire... sanglote-t-elle.

- Qui n'a pas pu dire quoi Jeanne ? Parle-moi ! Qu'est-ce qui te met dans cet état ? j'insiste en resserrant mon étreinte.

Elle hausse les épaules pour que je la lâche et se blottit contre moi. Elle cesse de sangloter, sa respiration s'apaise peu à peu.

Elle est très sensible ma Jeanne, je me dis en la serrant contre moi tandis qu'un sourire se dessine lentement sur mes lèvres.

- Ça va aller, je murmure.

Je la sens hocher la tête :

- Désolé.

- Ne t'excuse pas Jeanne,y'a rien. Tu veux bien m'expliquer ? Je demande en frottant son dos.

- C'est une déclaration d'amour. Il voulait lui demander sa main... Il l'aimait tellement 'fin.. ça se sent ! Ses mots m'ont beaucoup touché, m'avoue-t-elle.

Elle soupire en s'éloignant de moi pour saisir de ses deux mains l'enveloppe et la lettre.

- Tu crois qu'il est... vivant ? elle me demande d'une petite voix.

Elle me fait de la peine, c'est normal qu'elle doute. Tout le monde connaît l'histoire de cet endroit. C'est ici qu'a eu lieu la plus grande catastrophe de la région. Beaucoup de blessés, des morts...

Je pince les lèvres. Moi aussi je doute, je ne pense pas que le mystérieux auteur de cette lettre soit encore de ce monde.

- Je ne pense pas, je lui avoue.

Elle baisse la tête et ses bras retombent le long de son corps. Elle est déçue et moi ça me fait de la peine.

- Il y a une adresse sur l'enveloppe ?

- Oui.

***

J'avance d'un pas chancelant, mal à l'aise. Je jette un regard autour de nous, je ne suis jamais venu dans ces rues auparavant. Mon regard se pose sur Jeanne. Elle avance d'un pas étonnement déterminé, sûre d'elle comme elle l'est plutôt rarement.

C'est elle qui a eu cette idée, moi j'étais pas chaud. Après tout je l'avoue, de nous deux c'est bien elle la plus positive.

Elle a proposé qu'on fasse une bonne action, juste au cas où.

"Après tout certains d'entre eux sont encore à l'hôpital ! Il est peut-être parmi eux, tu ne pense pas ? Ils ont peut-être encore une chance" a-t-elle argumenté tandis que l'on rebroussait chemin quelques heures plus tôt.

Moi je n'étais pas aussi optimiste. Mais bon je suis peut-être mauvaise langue...

Nous tournons à gauche dans une nouvelle rue pavillonnaire et Jeanne m'annonce que ce n'est plus très loin.

En effet, à peine quelques pas plus loin elle s'arrête devant un portail, son regard va de l'enveloppe au creux de sa main à la maison qui nous fait face.

- C'est ici, elle m'annonce.

Je la regarde presser le bouton de la sonnette puis dirige mon regard vers la porte.

La maîtresse des lieux fait bien vite son apparition, elle nous jauge du regard en fronçant les sourcils. Je me doute qu'elle doit être surprise, elle doit se demander pourquoi deux jeunes étant pour elle de parfaits inconnus viennent sonner chez elle.

Jeanne la salue d'un petit signe de la main, elle est un peu gênée. Je l'encourage en posant ma main sur son épaule et, enfin, elle ose :

- Bonjour ! Vous êtes bien Rose Leguerrier ?

- Oui c'est moi, pourquoi ? demande-t-elle en se rapprochant du portail.

- Parce que... J'ai trouvé quelque chose... et ce quelque chose vous est destiné, lâche-t-elle après quelques instants d'hésitation.

Elle pince les lèvres et tend maladroitement l'enveloppe à la jeune femme par dessus le petit portillon.

Je les observe, curieux de connaître la résolution finale de cette affaire. Même si je suis pessimiste je l'espère positive.

La jeune femme, une quarantenaire plutôt bien conservée, saisit l'enveloppe, surprise et en tire délicatement les feuilles de papiers que Jeanne avait soigneusement repliés et remises dans l'enveloppe lorsque nous avions terminé notre exploration. Elle commence à lire.

Nous observons sans rien dire tandis que son regard cours de ligne en ligne. Ses traits s'affaissent et le sourire qu'elle nous avait adressé s'efface bien vite et ses mains se crispent des deux côtés de la feuille.

Tout cela n'augure rien de bon.

Elle retourne la feuille fébrilement et continue sa lecture. Des larmes perlent bientôt au coin de ses yeux.

Maintenant c'est sûr... il n'a pas survécu à l'incendie.

Jeanne s'approche et pose sa main sur l'épaule de la femme, confuse et désolée. Rose lève les yeux vers mon amie, elle a l'air bouleversée.

- Je... je suis désolée Madame... on aurait... on aurait peut-être pas dû se mêler de ça... s'excuse Jeanne.

Rose s'essuie les yeux d'un revers de la main et s'approche pour enlacer Jeanne.

- Je ne veux pas entendre d'excuses. Je... Merci. Juste Merci, lâche Rose en resserrant son étreinte.

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