Le vieux pianiste
De longs doigts vermoulus sautent de noires en blanches
Puis léger sur les touches, ils se posent doucement
Carressant mi, frôlant do, ré mi fa sol do mi
La main qui les tient semble d'une momie
Délicate et surfine, tendue de ligaments,
C'est la main d'un vieillard au concert du dimanche.
Arrivé sur la scène le menton penché,
Son pauvre dos voûté par le poids des semaines,
Le bossus nous semblait pourtant à bout d'haleine.
Le public, par pitié, comme pour cacher sa peine
L'applaudit à tout rompre, à s'exploser les veines,
Accompagnant en rythme son pas sur le plancher.
J'étais là regardant ce pauvre musicien
Dont les airs, les rengaines m'avaient suivi toujours.
Ses syncopes désormais auraient le souffle court.
Et je voyais des yeux enlarmés alentours
Guetter la fausse note, à l'affût ces vautours,
Ou le dernier sursaut d'un puissant magicien.
Mais dès qu'il eût posé cet amas de phalanges
Sur l'infini chemin pavé d'os ou d'ivoire,
Et qu'il eût humé l'encre sèche de son grimoire
Et les fragrances fraîches de son auditoire
Un flot savant de notes monta dans ce grand soir.
La momie rabougrie et flêtries était ange.
Ce furent des volées de notes en rafales,
Des arpèges fusant comme feux de carnaval.
La salle en résonance s'emplissait à outrance
Et bientôt débordait d'accords fulminants.
Des femmes se pâmaient d'un trop plein d'harmonie
Des hommes s'étourdissaient des cadences, des reprises.
Et dans ces torses alors engoncés, enfermés,
Serrés presque sertis en habits de sortie,
Des coeurs fous s'emballaient à l'unisson des croches
Réduites de moitié qui volaient comme torches
Enflammées dans les airs s'échauffant de ferveur.
Le monde virevolta en oubliant les heures.
Il était arrivé petit bonhomme grêle
semblant être à la fin et préparer ses ailes
Pour son dernier voyage vers les demeures du ciel.
Mais sitôt qu'il s'assit à son clavier ce soir
A tous il put montrer que ce corps dérisoire
Cachait un feu sacré qui couvait plein d'espoir.
Ses doigts qu'on croyait morts étaient plein de vigueur
Ce fut son chant du cygne juste avant qu'il ne meurt.
Alors que je marchais, une journée glaciale,
Dans les allées gelées, bordées de mausolées,
Des hommes s'affairaient autour d'un tas de terre
Division quarante-quatre, ils creusaient son trou.
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